Par Mohamed Abdelkefi - Très chère compatriote ! De très loin dans l'espace et le temps, je viens avec un fort désir de dialoguer avec toi car ce que tu viens de réaliser en surprenant le monde entier a été le but, l'espoir et le rêve de plusieurs générations dont la mienne. Je dis bien de très loin car physiquement des milliers de kilomètres nous séparent, quant à la différence d'âge, elle dépasse le demi siècle. Malgré cela Je tente quand même et je le fais en employant les mêmes moyens que tes camarades et toi avez utilisés durant votre glorieuse révolution : les derniers cris des inventions et techniques modernes. Dialoguer avec toi, c'est-à-dire avec toute la jeunesse de notre cher grand-petit pays, est pour moi une nécessité et un devoir ; nécessité pour me prouver a moi-même qu'enfin je peux, nous pouvons nous exprimer librement sans contrainte ni censure ; un devoir car, pour le fait même de prétendre être patriote je dois, par la parole au moins, participer dans cette grande œuvre dont nous avons rêvé depuis notre jeune âge et pour laquelle beaucoup de nos camarades sont tombés sur le parcours payant ainsi par leur sang et leur sacrifice une portion du prix de la délivrance . Je me permets de te tutoyer, sans même m'excuser? car, même si je t'écris en français, je pense en arabe et notre langue, caractérisée entre autre par l'esprit égalitaire, n'a pas le vouvoiement d'autres langues, même si beaucoup imitent et utilisent le pluriel en s'adressant à une seule personne ce qui sonne comme une fausse note : tu permets donc que je te tutoie car mon âge me le permet. Je constate que tu sais écouter et laisser ton interlocuteur parler ; c'est un bon signe qui prouve ta disposition au dialogue ; mais je vois dans ton regard un étonnement ou est-ce une question car je ne me suis pas présenté et tu penses que je viens d'un autre monde. En effet, j'appartiens au moins à une autre génération ; mais ne craint rien nous avons beaucoup de points en commun. Nous sommes tous deux fils de ce vieux-jeune pays pour lequel nous avons souhaité et nous souhaitons encore, nous avons œuvré et nous œuvrons toujours pour le voir, comme nous l'avons rêvé, vivre en libertés, prospérité et en paix. Pourquoi fronces-tu les sourcils ? Ah ! Non, non, je n'ai pas commis de faute ; le pluriel est bien intentionné car, si bien la vrai liberté embrasse en elle-même toutes les libertés qui reviennent de droit à tout etre humain, la situation actuelle impose les précisions. Tu sais sans doute que plusieurs générations se sont succédées, luttant sans trêve pour atteindre ce but - le minimum de leurs espoirs - mais tout ce qu'elles ont pu réaliser c'est chasser l'étranger colonisateur et commencer à édifier un état moderne mais hélas tout est tombé dans le personnalisme , l'égoïsme, le parti unique, le despotisme, le népotisme et la corruption sans oublier de rompre les ponts entre les générations pour garantir l'éternité de la soumission du peuple et de faire de lui, ce que quelqu'un a nommé une poussière d'individus. Quoi ? Tu veux savoir qui a osé le dire ? Non cher concitoyen, il ne s'agit pas de regarder en arrière mais surtout en avant, vers le futur ; l'avenir, dont votre révolution a bien mis la base et nous devons maintenant nous unir tous pour ne pas refaire les faux pas et les erreurs du passé. Comment çà ? C'est dur et simple à la fois. Je vois l'étonnement et les questions dans ton regard et sur tes lèvres. Tu dois d'abord te rappeler que se sont les peuples qui font les dictateurs ; voilà pourquoi je voulais dialoguer avec toi car c'est toi le présent et l'avenir de notre chère patrie. Il faut que tu saches que notre génération, contente et heureuse de ses exploits et débarrassée du colonialisme étranger, s'est crue à l'abri et s'est laissée bercer par les douces paroles et les grandioses promesses. Je vois que çà t'étonne ; non, non, ne dis rien, s'il te plait, nous sommes humains, donc loin d'etre parfaits ; sans oublier aussi que le peuple est crédule et le politicien est rusé et voilà les deux ingrédients nécessaires pour étendre le piège dans lequel sont tombés et tomberons les peuples. Que faut-il faire ? Je m'attendais à cette question et c'est la raison qui m'a poussé à dialoguer avec toi ; je ne sais pas si tu connais notre fameux proverbe qui dit : demandes à un expérimenté mieux qu'à un medecin.(is-al el moujarrib ma tis-alchi tbib)- c'est d'ailleurs une vieille chanson populaire - ? Eh bien ce Moujarreb , ce personnage expérimenté, qui est passé par de longues et dures années, de lutte d'abord et de souffrance physiques et morales ensuite, c'est notre génération qui , le moment venu ne sut pas dire halt- stop- arrêt- qif, et ne pas se laisser faire comme durant la période coloniale. Tous les défauts humains se sont accumulés : égoïsme, régionalisme, cupidité, convoitise, ambition, hypocrisie, abus et la liste est longue. Le résultat a été la raison pour laquelle vous vous êtes révoltés. Quoi ? Que devez vous faire ? C'est bien simple ; ne pas suivre notre exemple, ne pas croire aux paroles ni aux promesses mais seulement et uniquement aux faits, aux réalisations. Soyez vigilants et ne dormez pas sur vos deux oreilles car ce qui reste à faire maintenant est l'essentiel, le but de votre révolution, l'espoir de tout le peuple, c'est l'édification d'un nouvel état ; l'édifier sur des bases solides pour éviter toute déviation future. Et tu me demandes comment ? Avant tout être vigilant ; être unis sans perdre la pluralité des opinions et des tendances pour ne pas vous laisser trahir comme nous l'avons été et convertir la prétendue union nationale en un parti unique omni présent et un pouvoir personnel sans égal. Il ne faut croire qu'en ce qui est réel et n'approuver que les réalisations qui répondent à tes ambitions et tes rêves. Que la constitution et toutes les lois à venir soient bien protégées contre les manipulations et les dérogations intéressées et que tout ce que vous comptez édifier, rédiger , élaborer et organiser, faites le avec la garantie d'un large consensus issu de la participation unanime où toutes les voix trouvent leur place et leur participation. Pour ceci il faudrait savoir choisir tes représentantes et tes représentants dans tous les rouages législatifs, exécutifs, juridiques et administratifs après avoir garanti une saine loi électorale. Et surtout et avant tout éviter la république présidentielle, si il y a une majorité qui l'approuve, pour ne pas commettre les erreurs du récent passé. Dois-je ajouter qu'il serait préférable d'exiger que le président doit être indépendant n'appartenant à aucun parti ? Vue notre douloureuse expérience ce serait l'idéal. Quoi ? La tache est lourde ? Bien sur et le chemin est long. Ne crains rien ; notre chère Tunisie est riche, très riche en potentiel humain ; ta génération est bien préparée, peut être plus que la notre pour diriger le pays vers la réalisation de nos et tes rêves que j'ai résumé au début de notre conversation en trois mots ou trois bases principales qui servirons de cadres à tout le reste : LIBERTES. PROSPERITE, PAIX. En avant donc, sans crainte ni hésitation mais toujours en première ligne, vigilant, contrôlant, exigeant et disant non quand il faut le dire car les pharaons des intrigues et des justifications sont toujours là aux aguets.