Par Kamel ESSOUSSI - Cadre et chercheur CNRPS - Le Code du statut personnel est la première œuvre bourguibienne de référence qui a lancé la Tunisie dans le giron de la modernité. Les acquis qu'il a générés pour la femme sont indéniables (interdiction de la polygamie, de la répudiation, légalisation de l'avortement, droit pour l'épouse de travailler, se déplacer, d'ouvrir des comptes bancaires et même des entreprises sans autorisation de l'époux,). Ce même code a toutefois servi de vitrine et de fonds de commerce que s'évertuait à faire briller pour l'Etranger le régime dictatorial de Ben Ali mais hélas sans apport substantiel pour l'enrichir. Pour preuve, le droit des successions en Tunisie continue en effet de trainer les tares d'une discrimination des femmes, ô combien flagrante, que même le courage politique de Bourguiba n'a pas pu balayer dans son élan de faire sauter tous les verrous entravant l'émancipation des femmes. La fille hérite toujours la moitié de ce qu'hérite le garçon. La citoyenne tunisienne non musulmane est toujours inéligible à hériter de son mari contrairement à sa consœur musulmane. Ce n'est pas un hasard qu'aujourd'hui, dans cette phase transitoire où tout le peuple est appelé à voter pour un nouveau projet de société, cette question d'héritage, longtemps occultée, ressurgit de la plus belle des manières entre les deux écoles d'Ennahda et Ettahrir d'une part qui crient au scandale et à l'hérésie si on osait toucher à ce texte clair du Coran et les femmes de la société civile - femmes démocrates- d'autre part qui estiment qu'ils faut curer le droit positif tunisien de cette discrimination trop criarde par son " injustice " si on veut parachever l'œuvre d'émancipation de la Femme entamée par Bourguiba. - voir Assabah du jeudi 10 mars- Dans ce débat qui s'annonce houleux, sous la bannière de la laïcité et de la modernité, la législation de la sécurité sociale a déjà fait et refait tranquillement des pas de géant dans l'instauration de l'égalité des sexes. La sécurité sociale, en droit autonome, regorge déjà de dispositions souvent méconnues du grand public, où les droits des femmes sont arrachés bribes par bribes, conquises en silence, mises au diapason des droits conférés à la gent masculine sans que se focalisent sur elles l'attention du grand public malgré le fait qu'elle dépasse largement en montants les héritages classique dus en vertu des successions parfois dérisoires qui peuvent même se transformer pour le récipiendaire en dettes lorsque le défunt n'a pas laissé grand chose. La notion d'homme ou de femme est indifférenciée en sécurité sociale. L'article 1 de la loi de 1985 sur les retraites annonce la couleur dés le départ en signifiant que les prestations sont accordées indistinctement aux assurés sociaux quel que soit leur sexe. Mais la concrétisation de cette parité totale homme femme, en contradiction avec le droit des successions et d'héritage se manifeste lorsque l'assuré social décède. Le conjoint survivant- veuf ou veuve- quelle que soit sa confession et contrairement à la décision justement célèbre de la cour de cassation qui déshérite une épouse non musulmane-, perçoit immédiatement quel que soit son sexe une pension mensuelle dite de réversion égale à 75 % de ce que percevait l'époux. De plus, ce même conjoint homme ou femme se voit débloquer à son profit et au profit de ses enfants en bas âge une somme consistante qui atteint généralement 30 mensualités du salaire d'activité de l'époux ou de l'épouse. Les pensions temporaires d'orphelins laissés par l'époux ou l'épouse salariés défunts ainsi que le montant du capital décès sont partagés à parts égales entre tous les orphelins, filles et garçons percevant le même montant au millime prés. En Tunisie où la sécurité sociale joue un rôle primordial et vital de tous les jours, il me semble que le problème de ce que peut laisser la mère ou le père en héritage réside à ce niveau de teneur des prestations de sécurité sociale offertes de droit à la famille stricto sensu et non sur l'héritage classique très souvent dérisoire légué à la majorité des familles tunisiennes ; exception faite des familles fort nanties depuis longtemps et qui se comptent sur le bout des doigts, Le débat de l'héritage de la fille par rapport au garçon est un débat clos depuis fort longtemps en matière de sécurité sociale et personne ne s'en aperçoit ou n'en saisit l'importance malgré le droit consistant se traduisant en monnaie sonnante et trébuchante servi à caractère viager de surcroit. Dans le milieu renfermé des penseurs de la sécurité sociale, le débat se situe maintenant plutôt au niveau de l'introduction d'une aberration dans ce système bien huilé de l'égalité des sexes, devenue depuis 1997 une vraie institution qui a rompu l'égalité parfaite entre les deux sexes. C'est l'introduction d'une discrimination positive en faveur de la fille qui peut jouir à n'importe quel âge de la pension d'orpheline lorsqu'elle n'est pas à la charge d'un mari (divorcée ou célibataire) et ne dispose pas de ressources. L'homme paradoxalement est exclu de cet avantage. Les soubassements de la création de cette institution en 1997 est la résultante d'une démarche d'un penseur probablement pieu, à la limite de l'islamisme, qui considère toujours la femme comme un être fragile et faible par rapport à l'homme sensé être fort et qui peut se débrouiller quand bien même il serait non marié et ne dispose pas de ressources. Les femmes qui n'en demandaient pas tant, ont bien su s'engouffrer dans la brèche. La conséquence directe de cette réflexion basique a été l'émergence de nombres d'entre elles, pour abandonner leur travail ou pour ne pas en chercher et parfois même pour divorcer ou pour s'abstenir de chercher un mari, afin que les caisses de sécurité sociale n'interrompent pas la pension et continuent à leur verser leurs subsides qui dépassent largement ce qu'elles percevraient en salaires, si elles se mettaient à travailler. Le temps des vaches grasses de la sécurité sociale est révolu et il est temps d'éliminer cette discrimination positive en faveur de la femme. Le temps des vaches maigres de l'héritage classique - la fille hérite la moitié de la part du garçon- est lui aussi révolu et il est temps d'éliminer cette discrimination criarde négative en défaveur du sexe féminin. C'est le moment de braver l'interdit occulté et d'agir pour cette égalité tant au niveau de la sécu que de la succession. Le climat des libertés que nous respirons et des débats démocratiques que nous engageons s'y prête.