La Tunisie vit actuellement l'une des périodes les plus dures de son histoire moderne dont les répercussions se font ressentir dans tous les domaines. Sur les visages mêmes des gens, dans leurs discussions animées sur les terrasses de café, dans les médias, dans les rues, aux murs tagués et aux façades parfois détruites, se lit le désarroi des Tunisiens. Nous savons tous qu'il s'agit d'une période passagère et qu'un jour viendra où tout rentrera dans l'ordre. Le peuple tunisien, doit assumer sa révolution et la mener à bon terme. Entretemps, les touristes désertent le pays, c'est compréhensible, mais ils ne tarderont pas à y revenir… En attendant, le ministère du Tourisme multiplie les efforts pour véhiculer une belle image de la Tunisie, toujours debout fière malgré ses blessures encore béantes. Il est vrai que les troubles ravageant quelques zones, épargnent d'autres et que dans quelques régions de la Tunisie, rien ne laisse croire qu'une révolution ait passée par le pays… Mais si entre Tunisiens, nous essayons de trouver des solutions et que l'on se soucie aussi de l'arrivée des touristes qui contribuent quand même à faire tourner la machine économique, il existe une communauté qui se sent perdue et qui essaye de vivre une situation qu'il faudrait composer avec… Il s'agit de la communauté étrangère vivant, depuis des décennies pour nombreux d'entre eux, sur le sol tunisien. Ils sont hommes ou femmes d'affaires, conjoints de Tunisiens, familles entières ayant décidé de s'installer ici, enseignants (…) ou autres. Bref, ils constituent une société dans notre société qu'ils considèrent comme la leur. Comment vivent-ils la situation en Tunisie ? Ont-ils peur ? Décideront-ils un jour de quitter ce pays qui leur est cher pour plusieurs d'entre eux, ou du moins représentant leur attache ? Nous avons alors essayé de collecter quelques témoignages…
Alina Wozniak, artiste polonaise «J'ai peur, mais je reste optimiste» Sur le plan politique, j'ai peur que les Islamistes arrivent au pouvoir. Je me pose alors la question sur ce qui sera du sort des chrétiens au cas où ça arrive. Je ne voudrais pas qu'on tombe dans le problème interreligieux. Je crains l'éventualité d'une expérience vécue par l'Algérie à l'époque du FIS… Je me demande même si je serais alors acceptée en tant qu'étrangère résidante ici. J'ai peur également que la révolution en Tunisie ne suscite une vague d'augmentations de prix à l'échelle mondiale. Je ne me sens certes pas en sécurité, j'évite de m'aventurer au centre ville, je vais de moins en moins à l'église, et même si j'y vais, je me rends à celle de la Goulette plutôt que celle de Tunis. D'autres personnes de ma communauté continuent, elles à vivre normalement, et si par hasard, elles se retrouvent au milieu de manifestations lors d'une visite au centre ville, elles n'en ressentent aucune peur. Quant à moi et même si j'ai peur, je ne quitterai pas la Tunisie. Il y a du beau ici. Et malgré toutes ces inquiétudes, je reste optimiste… Je comprends tout à fait qu'une révolution ne donne point ses fruits en quelques semaines ou quelques mois, il faut savoir attendre. C'est pour cela que quand j'entends un immigré tunisien clandestin dire qu'il a quitté la Tunisie car la révolution ne lui a point offert d'emploi, cela me surprend. Beaucoup de Tunisiens se montrent impatients, or la patience est de mise. En Europe de l'Est, nous avons également vécu une révolution et des problèmes politiques majeurs, mais la situation était différente. Non seulement, il y avait l'armée, mais nous nous sommes naturellement « armés » de sang froid. Les gens ici sont impatients et passionnés, « le sang chaud » comme l'on dit, ça se répercute sur les réactions…
Emmanuel Caltagirone, homme d'affaires français «Les grèves et les revendications handicapent la compétitivité des entreprises»
Sur le plan personnel, je m'inquiète pour ma sécurité, mais aussi pour mes biens, l'augmentation des cambriolages oblige ! Même les balades au centre ville, deviennent pour nous risquées. Quand on voit ce qui s'est passé au Maroc, nous craignons que ça n'arrive en Tunisie. L'armée au sud pour maintenir l'ordre dans le pays, les frontières « sont à découvert », la police débordée. Tout peut alors arriver. Le couvre feu m'inquiète également. Je me demande s'il sera maintenu jusqu'au 25 juillet. Sur le plan politique, il y a un flou et l'on ne sait pas ce que cela va donner. Tout le monde se montre rassurant, mais la situation prouve le contraire. Je crois que notre sort, ainsi que celui des 1250 entreprises et des 110 000 emplois qu'offrent les investisseurs français se décideront au lendemain des élections. Là on pourra savoir si l'on devrait rester et investir encore plus… Quant aux « discours » tenus au centre ville, cela ne m'inquiète point du moment où c'est loin de la banlieue où vivent les Français en général. Etant homme d'affaires j'au dû faire face à des grèves et à des revendications, aussi bien pour la titularisation que pour l'augmentation salariale laquelle engendre une augmentation des prix et cela nous nuit sur le plan compétitif. D'ailleurs les grèves rendent difficile d'honorer ses engagements et de livrer à temps. Seulement, il ne faut pas oublier que la Tunisie n'est pas seulement en compétition avec les pays du Maghreb, mais aussi avec ceux de l'Europe de l'Est.
Camille. L, journaliste indépendante «Il faut être patient et apprendre à attendre»
Etant venue m'installer ici, justement au lendemain de la révolution, je n'ai nullement peur, d'ailleurs je vis à la Médina et je n'ai eu aucun problème. Parfois j'appréhende les complications qui peuvent arriver dans toute transition démocratique, comme les quelques jours qu'on vient de vivre, mais j'y étais préparée sachant qu'il n'y ait point de transition démocratique sans problèmes. Je m'attendais aussi à ce que la sécurité ne soit pas toujours assurée. Je reste optimiste quant aux élections, il est vrai que je n'ai pas encore quitté Tunis, mais tous ceux à qui j'ai parlé ici me semblent modérés. Et sur la scène politique, il existe différentes forces politiques modérées également… Il faut être patient, ne pas exiger que ça aille plus vite. On ne doit point s'attendre à ce qu'il n'y ait plus tout d'un coup de corruption, à ce que l'économie aille bien et à ce que tout le monde soit d'accord.