Par Khaled GUEZMIR – Depuis la chute de Grenade en 1492, et jusqu'aux mouvements réformistes au 19ème siècle, le monde arabo-musulman a traversé pratiquement cinq siècles de despotisme « tranquille » et s'est fait oublier par le reste du monde et par ses peuples. Entre-temps, l'Occident a réalisé, d'abord, sa Renaissance. Il a séparé l'Eglise de l'Etat puis il a accompli une série de révolutions économiques et culturelles qui l'ont placé à la tête de l'univers. Aujourd'hui, que nous le voulions ou pas – et je ne vois pas pourquoi on ne doit pas admettre la vérité historique – le modèle de référence universel au niveau du développement politique et occidental entendez : Europe – Etats-Unis ou l'Asie du Sud-Est. Certains parlent de la « polyarchie » pour signifier que la base du modèle démocratique occidental c'est le pluralisme. D'autres parlent de « démocratie » pour affirmer certaines valeurs fondamentales : la sacralité de l'individu, la participation politique et l'alternance au pouvoir de manière pacifique. Dans tous les cas de figures la démocratie ne peut se faire sans séparation des pouvoirs ce qui implique que les institutions doivent être diversifiées, spécialisées et jouissant d'une autonomie fonctionnelle conformément aux vocations pour lesquelles elles ont été créées. Ceci pour le cadre général et global. Venons-en à la pratique des systèmes. Tout d'abord, il faut admettre qu'à 99% - excusez le chiffre qui nous ramène aux mauvais souvenirs de nos anciennes élections totalitaires, les systèmes démocratiques occidentaux sont parlementaires qu'ils soient monarchiques ou présidentiels. Seul le régime politique américain a pu instituer un présidentialisme démocratique pour des raisons historiques spécifiques. De fait, et je le dis tout de suite, il est difficilement transposable ailleurs pour deux raisons importantes : L'existence aux Etats-Unis de la Cour suprême un organe sophistiqué et compliqué techniquement, difficile à mettre en œuvre et à imiter en dehors des Etats-Unis. Puis, la décentralisation pratiquement totale et très élargie qui est une tradition d'auto-gouvernement, que Alexis de Tocqueville relatait, d'ailleurs, avec admiration déjà en 1835, dans son livre capital : La démocratie en Amérique. Par ailleurs, la structure fédérale du système américain réduit les pouvoirs du Président au niveau régional et local pour en faire un super-ministre « mondial » de la Défense et des Affaires étrangères. M. Obama , par exemple, n'a aucun pouvoir de gestion ou très peu dans les Etats-gouvernorats et encore moins dans les villes américaines, même de petites dimensions, qui sont totalement autonomes budgétairement au niveau des ressources financières et des programmes de développement, et même au niveau des lois. En revanche, le système parlementaire a pu se développer surtout sur le vieux continent parce que plus simple au niveau de la mise en œuvre et surtout moins coûteux. J'entends parler ça et là d'une orientation-aspiration, à un présidentialisme à l'américaine pour la Tunisie post-révolutionnaire qui serait guidée par la volonté de réhabiliter l'autorité de l'Etat et lui donner les moyens d'interventions légitimes après le flottement actuel. S'il est vrai que certaines régions laissées pour compte pendant 23 ans, par l'ancienne dictature, exigent un « plus d'Etat » pour intervenir et injecter de gros investissements dans l'infrastructure et les méga-projets économiques tant attendus ... s'il est vrai aussi qu'il faut rétablir la sécurité, l'ordre et permettre l'application des lois, on ne peut prévoir raisonnablement une évolution du système politique tunisien vers un présidentialisme à l'américaine. Soyons plus modestes et plus pratiques et voyons plutôt du côté de ceux qui nous sont plus proches : la Pologne, la Roumanie et bien sûr, la Turquie. Les deux premiers ont institué un parlementarisme adopté à leurs histoires et à leurs conditions géo-économiques. La dernière, depuis Attaturk, a institué une République parlementaire « laïque » qui permet, aujourd'hui, de la manière la plus démocratique, l'accès de l'islamisme modéré et rationalisé de Rajep Taïep Erdogan au pouvoir et de contrôler la majorité parlementaire et former le gouvernement turc. Entre le « présidentialisme » légitimé temporairement par la nécessité de rétablir l'autorité de l'Etat, et le « parlementarisme » nécessité par notre ambition de créer un système démocratique durable, et surtout irréversible, Corneille n'aurait pas beaucoup hésité ! A vous de réfléchir ! Le 24 juillet, c'est demain !