Par Youssef BEN ABDELJELIL (Historien- géographe, Docteur en Sciences géographiques) - Le 30 mars 2011 le journal français Libération publiait un article « Et si la Tunisie entrait dans l'Union Européenne?», rédigé par des académiciens tunisiens et français (Pierre Bechouche, Ali Bennasr, Mohamed haddar) et Jean-Yves Moisseron. Les auteurs utilisaient quelques arguments très précis pour étayer leur proposition, notamment le mot-clé « transition ». Ils comparaient la situation de la Tunisie d'après Ben Ali à celle que connurent le Portugal, l'Espagne, la Grèce et les nouveaux membres de l'Union Européenne de l'Europe de l'Est. La question la plus pertinente sera alors si cette proposition tiendra la route et si la Tunisie pourra effectivement offrir les conditions préalables d'adhésion ? Une autre question s'impose aussi, quels sont les atouts que la Tunisie présente à l'Union Européenne ? Une analyse politique, géographique, socio-économique, environnementale et historique pourra nous éclairer sur ces conditions. La Tunisie se trouve actuellement dans une situation comparable à celle de l'Espagne, le Portugal et la Grèce avant leurs adhésions à l'Union Européenne. L'Espagne d'après Franco a connu le même chaos politique, économique et social que connaît la Tunisie actuellement. Les deux pays sont passés par la dictature, le Portugal et la Grèce aussi. L'Espagne a adhéré à l'Union Européenne le 1ier juin 1986 au moment où elle vivait une sortie douloureuse du franquisme avec une économie très arriérée, des structures politiques à réformer selon les souhaits de l'Union. Une des conditions sine qua non de l'adhésion à l'Union était la réalisation de la démocratie, investir dans les droits de l'Homme selon la charte européenne, développer l'économie, adapter des réformes multiples, etc. Quant au Portugal et jusqu'au 12 juin 1985, date de la signature de son adhésion à l'UE, le pays a connu des décennies de dictature et d'instabilité politique énorme qui ont paralysé toutes les structures du pays. Son adhésion lui imposait de profonds ajustements pour rattraper son retard économique. A partir de cette date, le pays connaît une forte croissance économique bénéficiant des fonds structurels européens. Mais l'entrée dans la Communauté européenne lui imposait aussi une politique d'austérité. Le gouvernement mène une politique de libéralisation économique et beaucoup d'entreprises sont privatisées. Cela passe obligatoirement par une nouvelle révision constitutionnelle votée en juillet 1989. Avec la fin de la réforme agraire, c'est encore un acquis de la révolution qui disparaît. La Grèce moderne a connu aussi une période très douloureuse causée par la dictature des colonels. Ce nom est donné au pouvoir politique en place en Grèce de 1967 à 1974, qui provoqua en outre l'exil du roi Constantin II monté sur le trône en 1964. Cette dictature est issue de la prise du pouvoir par une junte d'officiers alors dominée par Georgios Papadopoulos. La Grèce adhère en 1981 à l'Union Européenne et connait le même sort que l'Espagne et le Portugal. Une remarque saillante pour les trois pays est qu'à partir de leurs adhésions à l'Union Européenne, ils connaissent une croissance économique jamais connue dans leur histoire, grâce aux fonds structurels de l'Union Européenne. Mais aussi à cause des atouts qu'ils offrent. La Grèce et l'Espagne ont connu une explosion touristique jamais vécue. Revenons à notre Tunisie. Notre pays offre de multitudes atouts. Tout d'abord une côte de 1200 km avec des plages magnifiques et parsemée de nombreuses iles avec une faune et une flore très spécifiques. Cette côte offre un équipement touristique de grande qualité. La Tunisie pourra devenir une destination préférée des Européens, bon marché et assurant une grande qualité de service. La Tunisie forme aussi un carrefour de brassage ethnique, historique et de civilisations multiples qui pourra offrir un tourisme culturel guidé très intéressant. Les vestiges des civilisations carthaginoise, romaine, grecque un peu partout dans le pays et les nombreuses villes médiévales d'origine arabe et musulmane, les divers musées (en particulier le musé du Bardo à Tunis), offrent une autre richesse de grande envergure. La Tunisie offre aussi une main-d'œuvre hautement qualifiée et trilingue (arabe, français, anglais) et autres, une infrastructure universitaire, hospitalière et bancaire très décentralisée, une législation (même sous les anciens régimes) favorable aux investissements étrangères. La Tunisie offre aussi pas moins de 8 aéroports, ouvertst sur toute l'Europe et une bonne partie du monde, une structure ferroviaire qui relie toutes les grandes villes de la Tunisie, appuyée par des lignes de trams et métros dans certaines villes, un parc de transport commun et privé très confortable. Ajoutons à ceci une infrastructure portière très équipée dans les villes les plus importantes du pays. Le port de la Goulette de Tunis assure des lignes croisières avec nombreuses villes européennes, dont Marseille, Naples, Gène, Palerme, etc. N'oublions pas de passage que la longue période de colonisation française et l'introduction d'un système parlementaire et présidentiel par Bourguiba (ancien étudiant de la Sorbonne) après l'indépendance, ont fait de la Tunisie un des pays les plus européanisés du bassin méditerranéen, donc le candidat le mieux placé à l'adhésion à l'Union Européenne. N'oublions pas enfin que la Tunisie fait trois quarts de ses échanges commerciaux avec l'Europe. Regardons par la suite les critères d'adhésion exigés par le Conseil européen en 1993. Le Conseil européen de Copenhague précise que l'adhésion d'un nouveau pays est soumise à des conditions préalables : • la mise en place d'« institutions stables garantissant l'état de droit, la démocratie, les droits de l'Homme, le respect des minorités et leur protection » ; • « une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union » ; • « la capacité (...) [d'] assumer les obligations [d'adhésion à l'UE], et notamment de souscrire aux objectifs de l'union politique, économique et monétaire ». L'énonciation de ces critères (auxquels on se réfère depuis sous l'appellation « critères de Copenhague ») apparaissait comme une acceptation de principe de l'adhésion des PECO (Les Pays d'Europe centrale et orientale) à l'Union européenne et en fixait les modalités (et indirectement le calendrier). Nous terminons par une dernière question : est-ce que la Tunisie est capable de répondre aux critères de Copenhague ? La réponse est plus qu'affirmative. N'oublions pas que la Révolution en Tunisie qui a « contaminé » tous les pays arabes, s'inscrit tout en fait dans les lignes directives du conseil européen imposées à toute candidature. En appuyant la Tunisie pour adhérer au club des 27, l'Europe pourra rencontrer un candidat loyal et assidu. Le modèle tunisien pourra aussi devenir un projet-modèle pilote pour tous les pays arabes, africains et même pour d'autres pays dans tous les coins du monde.