Qui pouvait imaginer ça avant notre Révolution : la télévision nationale mise au pilori et accusée de jouer les trublions, par qui ? Par le gouvernement ! C'est du jamais vu depuis plus d'un demi-siècle ! Béji Caïd Essebsi n'a pas mâché ses mots, le porte-parole du ministère de l'Intérieur non plus ! Ils étaient bien remontés contre la chaîne nationale de télévision et contre sa couverture des derniers événements violents survenus à Tunis et dans plusieurs autres villes du pays. On a estimé, en effet, que dans les commentaires des journalistes de la chaîne il y avait de quoi mettre le pays à feu et à sang. Nous avons pour notre part suivi le 20 heures de vendredi soir et avons remarqué que les questions du présentateur au représentant du ministère de l'Intérieur étaient quelque peu provocantes ; il nous parut également évident que la chaîne nationale défendait les manifestants de Kasba 3 contre les agents de l'ordre et même contre le gouvernement. L'irritation que la volte-face provoque récemment parmi certains membres du gouvernement de transition peut paraître déplacée et donc inopportune ; mais elle reste à notre sens très compréhensible. Trahison ou révolution ? Peut-on facilement concevoir qu'un organe de télévision, instrument puissant de démagogie et de manipulation des foules, qui 55 ans durant vous appartient, vous sert comme un domestique, vous suit partout et vous lèche à toute heure les mains et les pieds, qui en toute occasion renvoie de vous le meilleur des profils, qui glorifie la moindre de vos paroles et le plus insignifiant de vos actes, qui vous magnifie même et surtout lorsque vous n'accomplissez rien de bon, qui vous défend bec et ongles contre tous vos adversaires locaux et étrangers, contre les mécontentements et les soulèvements intérieurs et extérieurs, contre tous les « pêcheurs en eaux troubles », qui présente vos bourdes comme des éclairs de génie, qui vous trouve des excuses avant même que vous n'y pensiez, qui se soumet à tous vos caprices et à ceux de vos proches et amis ; qui fête plus longtemps que vous vos jours heureux et qui pleure davantage que vous dans vos circonstances endeuillées ; peut-on donc admettre sans peine que cet instrument jusque-là si docile et si servile puisse se rebeller contre son maître et lui échapper? Blasphème ! Trahison ! Sacrilège ! Non ; Révolution tout court! Se pouvait-il autrefois qu'un ministre, de quelque rang qu'il soit, s'en prenne à un journaliste de la Nationale et le violente ? Aujourd'hui, c'est arrivé et il n'est pas exclu que le geste désobligeant du Premier Ministre à l'encontre de Naïma Abdallah se reproduise de la part d'un autre haut responsable du gouvernement. Manifestement, les journalistes de la télé « roulent » pour qui bon leur semble, désormais. Un jour, ils sont favorables à « Ennahdha » ; un autre, ils soutiennent Hamma Hammami ; le lendemain, ils appuient le parti Afeq pour le lâcher plus tard au profit d'El Watan. C'est peut-être ainsi qu'ils entendent la liberté de presse et la…démocratie! Boîte de Pandore Cela dit, la vague de sympathie qu'a suscitée la mésaventure de notre consœur de l'ex-TV7 avec Béji Caïd Essebsi n'excéda que très peu le milieu journalistique. A lire les commentaires des face-bookers sur l'incident, on relève beaucoup plus d'antipathie que de complaisance envers la belle Naïma Abdallah et à l'encontre de nombreux autres journalistes de la télévision qu'on vilipende cyniquement et sans mesure. On trouve inconvenante, indécente et méprisable l'impression reluisante que les flagorneurs de l'ancien régime veulent donner aujourd'hui d'eux-mêmes auprès des téléspectateurs. Il ne suffit pas, pensent les face-bookers, de contredire systématiquement le gouvernement pour se refaire une virginité révolutionnaire. Mais quoi qu'on dise sur le sujet, on ne l'épuisera pas de sitôt ; toujours est-il qu'une chaîne de télévision, même publique, a le droit de choisir son clan politique. Si l'on tient à lui faire jouer le rôle dégradant du temps des dictatures, autant la supprimer et la remplacer par une chaîne de variétés ou d'émissions sportives. Cela ferait plaisir à une majorité de Tunisiens. D'autre part, et contrairement à ce qu'on soutient dans les discours démagogiques, il n'y a pas d'information neutre ni de journaliste objectif. En revanche, on préfère lire et écouter un journaliste qui, dans l'exercice de son métier, se montre plutôt indépendant, politiquement. On attend de lui qu'il rapporte ou commente l'information sous plus d'un angle et qu'il donne la parole à des interlocuteurs d'horizons politiques divers. Pour tout dire, le différend entre notre gouvernement de transition et les journalistes de la Nationale nous ramène à une vérité toute simple, mais o combien profonde : la télévision, comme tous les autres médias en fait, est comme le contenu de la boîte de Pandore : selon l'usage qu'on en fait, il profite ou nuit aux hommes ! Et c'est cela justement son côté risqué !