Jamel Arfaoui, ce journaliste abonné à Nessma TV et presque aussi assidu sur ses plateaux de débat que son collègue Soufiène Ben Hamida, l'autre commentateur politique de la chaîne, participa mercredi soir, bien évidemment sur Nessma TV, à une émission sur les résultats des élections de la Constituante. Sa présence était cette fois, quelque peu ambiguë : était-il là, comme à l'accoutumée, en sa qualité de « journaliste de la chaîne » ou bien en tant qu'invité parmi d'autres représentant un angle de vue particulier dans la lecture de la nouvelle donne politique en Tunisie? En tout cas, mercredi soir, Jamel Arfaoui fit tout pour ne donner que cette impression d'être sur le plateau en tant que thuriféraire d'Ennahdha : il s'est érigé à chacune de ses interventions en défenseur et en apologiste du parti de Rached Ghannouchi. En revanche, il s'est permis toutes les attaques et bien des sarcasmes contre les candidats perdants et prioritairement contre ceux qu'il appelle les modernistes. Que fallait-il en conclure ? Qui parlait en lui, ce soir-là ? Un sympathisant d'Ennahdha qui a voté pour son mouvement politique favori ? Sur ce point du reste, il a laissé échapper, en parlant, une phrase qui autorise cette première hypothèse : il a dit en effet : « nous avons élu Ennahdha pour qu'elle apporte le plus !» ! Le pronom « nous » (qui l'ignore ?) inclut ou remplace « je », n'est-ce pas M. Jamel ? Mea culpa de la chaîne ? Ce dernier était-ce, sinon, un cynique pourfendeur et un sadique lamineur des partis sanctionnés par les résultats du dernier scrutin ? Mouvements dont il a au demeurant allègrement dénigré le discours en le qualifiant d'inaccessible « même pour les dictionnaires » ! Autre supposition enfin : Jamel Arfaoui était peut-être sur le plateau pour contribuer au rachat de Nessma TV auprès de ses téléspectateurs islamistes, très remontés comme on le sait contre sa direction après la diffusion du film Persepolis. D'ailleurs, ces derniers jours, Soufiène Ben Hamida aussi se fait très doux à l'égard d'Ennahdha et plutôt implacable avec la gauche « éclairée ». Mais lui au moins, il se fait plus discret dans la défense de ce parti pris presque flagrant de la chaîne. En tout cas et pour en revenir à la « prestation » de Jamel Arfaoui lors du débat de mercredi soir, on ne peut pas dire qu'elle honora la fameuse règle d'objectivité et de neutralité journalistique. Certaines affirmations de Si Jamal semblaient même sortir de la bouche d'un manipulateur médiatique : était-ce sensé par exemple de soutenir que les pays où les droits de l'homme sont bafoués se comptent désormais sur le bout des doigts d'une seule main ? Et cette soi-disant pointe qu'il a lancée à l'adresse d'on ne sait qui à la fin de l'émission**-et qui peut toujours compter pour une flagornerie gratuite (??)- était-elle pertinente et surtout devait-elle émaner d'un journaliste soucieux d'objectivité et de neutralité ? La nouvelle génération de flatteurs Mercredi soir, donc, les interventions de Jamel Arfaoui n'étaient guère à classer parmi les meilleurs auspices quant à l'avenir du journalisme sous nos cieux! Elles auguraient plutôt d'un funeste sort pour l'indépendance de la presse et pour celle des médias d'une manière générale ! A ce propos, nous avons constaté que certains journaux électroniques ont engagé de nouvelles plumes dès avant la proclamation officielle des résultats partiels des élections de l'Assemblée constituante : ces recrues ne laissent planer aucun doute quant à leur couleur politique. Dès le titre, leurs articles respectifs trahissent cette appartenance au camp des «vainqueurs» et aux rangs des «conquérants». C'était à prévoir et il faut s'attendre à ce que ce genre de «cavaliers de la plume» prolifère dans la presse écrite, sur les écrans de nos télévisions et sur les ondes de nos radios. Osons quand même espérer que leur tintamarre prépayé ne couvrira pas totalement les voix des journalistes libres et intègres. Oui, osons rêver, avant que ce ne soit plus possible! L'insulte aux droits de l'Homme Il y a en effet de quoi abattre le plus optimiste des observateurs : mercredi soir toujours, le sociologue invité au même débat de Nessma TV nous gratifia de quelques maladresses dignes d'un analphabète. Remarquons au passage que cet universitaire, de plus en plus médiatisé, s'en donna à cœur joie lui aussi en vilipendant les candidats « progressistes » et « modernistes » des dernières élections. Il alla même jusqu'à laisser entendre qu'ils servaient des causes étrangères à notre pays et à notre société. La défense des droits de l'homme, par exemple, représente selon lui un combat « importé » de l'Occident ! Il s'en fallait de peu pour que notre « savant » décrète l'impiété de tous ceux qui ont milité et militent pour cette cause juste et universelle. D'autre part, que doit-on penser d'un sociologue qui, au nom de la préservation de notre identité arabo-musulmane, raille le rationalisme et l'esprit scientifique. Ce professeur qui, à notre connaissance n'a aucun penchant islamiste, s'est même fait plus royaliste que le roi : alors que, dans leur programme électoral, les Nahdhaouis prônaient le modernisme, lui y voyait presque un blasphème. Un autre sociologue de l'Université tunisienne (pas tout à fait blanc) fait des siennes lui aussi sur les plateaux de télévision et sur les colonnes des journaux arabes : farouche adversaire de la francophonie et de tout ce qui évoque l'Occident, il part au quart de tour en croisade contre ce qu'il appelle les « inventions » de l'Europe et de l'Amérique impérialiste. Un laïc, un francophile, un démocrate, un moderniste, tout ce monde c'est pour lui un ramassis de traîtres à la Nation arabe. Selon lui, les valeurs authentiquement tunisiennes sont défendues et préservées seulement dans le Sud tunisien dont il est originaire; ailleurs les mœurs familiales sont, estime-t-il, dissolues et «les gens y succombent facilement aux tentations des sataniques envahisseurs occidentaux»! L'école d'aujourd'hui et de demain C'est franchement étrange, louche même, que la plupart des sociologues invités, ces derniers temps, par les radios et interviewés par les journaux soient à ce point superficiels et si prodigues en préjugés dignes des pires fanatiques et des pires dogmatiques. On en arrive à croire que l'Université tunisienne n'embauche que des sociologues « intégristes »; Dieu sait pourtant qu'elle compte en son sein des centaines de professeurs suffisamment lucides et intelligents pour défendre des thèses dignes de leur rang intellectuel et qui honorent le Savoir sous nos latitudes. N'est-ce pas désespérant d'entendre des universitaires parler le langage de leurs grands-mères illettrées? N'est-ce pas affligeant d'entendre un enseignant du Supérieur affirmer que Rached Ghannouchi a remporté les élections parce qu'il ne portait pas de cravate? Si c'est de cette manière qu'il pense, qu'en est-il des générations d'étudiants qu'il forme et à qui il impose très souvent ses convictions ? Au secondaire aussi, le nombre des professeurs «intégristes» augmente régulièrement: il ne s'agit pas forcément d'islamistes ou de salafistes ! Non, mais de nationalistes arabes, de gauchistes marxistes, de « destouriens » opportunistes et de faux démocrates. L'école, hélas, n'enseigne plus l'ouverture d'esprit, n'éveille plus l'intelligence, ne renforce plus la pensée rationnelle, encourage de moins en moins l'esprit critique et dispense de plus en plus de clichés et d'idées reçues. Et l'on s'étonne après cela que les A.G. des étudiants se transforment aujourd'hui en foires de bêtisiers. C'est désormais le prêt-à-penser que notre enseignement favorise et développe. Qu'en sera-t-il demain si nos futurs dirigeants «réformaient» dans le même esprit d'embrigadement et d'endoctrinement les programmes scolaires ? Un «intégriste» qui en chasse un autre, voilà ce que nous aurons tant que nous taxerons les partisans de l'esprit libre, éclairé et tolérant de « traîtres à la Nation » et d'impies. C'est en tout cas dans l'air du temps depuis la «défaite» des progressistes aux élections de la Constituante. L'autre jour, c'était l'avocat Ahmed Inoubli qui s'était «régalé» aux dépens de ce clan de la Gauche dont on ne sait si lui, fait partie ou pas. Si au moins ce n'était qu'une mode; mais l'ennui c'est que dans beaucoup d'esprits, cette mentalité s'est au fil des siècles et des générations irrémédiablement fossilisée. Dommage, vraiment ! Parce que la Tunisie et le monde arabe méritent beaucoup mieux que le retour aux ères de l'obscurantisme ! Badreddine BEN HENDA
**Jamel Arfaoui a évoqué une manifestation de joie des Nahdhaouis pendant laquelle ces derniers auraient brandi le drapeau tunisien; ensuite il fit allusion à d'autres manifestants non islamistes qui auraient, eux, porté haut des étendards étrangers!