On ne vous apprend rien. La phrase a été éructée par cette vieille bouche, patriarcale, ancienne et ancestrale de Tahar Hamila. Bien respectable. Sauf votre respect. Il faut dire « Tonton », parce que c'est ainsi, on doit les affubler d'un petit titre, familier ou diplomatique, oui il faut bien leur faire cet honneur, à nos vieilles instances costumées, avant qu'elles ne rejoignent l'anonymat de la poussière. Tonton Tahar Hamila, donc, « poussière d'avant la poussière », l'a sortie de sa bouche, la phrase, cette défécation constitutionnelle, c'est qu'il arrive qu'on chie par l'sophage à cet âge-là vous comprenez, problèmes gastriques, intestinaux, et puis ça se constipe un peu partout, y compris dans le cerveau, et là alors on ne s'en sort plus, et on met sa chéchia rouge dans l'Assemblée constituante, quitte à faire le gland, histoire de limiter les éjaculations séniles, voyez-vous, à moins qu'il n'y ait un courant d'air, parce que la poussière, ça s'envole dans un coup de vent. Et puis, en un coup de vent, il a pété de la bouche, le Tonton, et là nous allons procéder à une opération très délicate, c'est-à-dire saisir à la volée un pet de la bouche et essayer de le traduire en mots, en tout cas c'est bien pestilentiel : « Ce sont les déchets de la francophonie. » Gargarismes C'est sûr que ça pue. Et pas que de la bouche. En même temps, on ne peut pas demander à tout le monde de se gargariser sept fois la bouche avant de parler. Non, on ne peut sûrement pas dire cela à Tonton, parce que c'est Tonton, quoi, il faut lui faire plaisir, ne pas le contrarier. Et puis tout ce beau monde qu'il y a autour, ces sit-inneurs désœuvrés qui nous annoncent qu'il y aura une deuxième saison du campement sans avoir fini (achevé) la première, soit dit en passant, mais rassurez-vous, on vous aime quand même qui brandissent des slogans, maintenant ils vont bien faire les déchets. En avant le relent ! Déchets de la francophonie. C'est beau. Parce qu'il y a l'idée de la vie, derrière, la francophonie vit, c'est presque un être humain. Ou un animal, c'est selon. Enfin, on s'en fout, du moment que ça mange et que ça chie. Car c'est au moins ce qui nous rassemble, supposés être humains, au règne animal, c'est bien les excréments. Très profond que tout cela. Aussi profond que l'intestin d'où ça vient, tout ça, les sit-inneurs, ces déchets. Ils viennent d'où, au fait ? De quel ventre ? Ils sont issus de quelle digestion ? Il a dû y avoir un problème au niveau du processus, ce n'est pas normal, il y a sûrement une intolérance quelque part, on ne peut pas avoir de ces choses-là dans le ventre du pays, pas de francophonie, voyons La Francophonie ? Vous savez, cette «chosonie», cette chose honnie, créée par Senghor, Diori et Bourguiba Hein, Bourguiba ? Enfin, pour les deux autres, on ne sait pas qui c'est, on s'en fout, mais celui-là, on n'en parle surtout pas, quoi. Il n'en demeure pas moins que, voilà, ils ont lancé cela, et le principe c'est de réunir sous la même enseigne tous les peuples qui ont en commun la pratique de la langue française. Il y a même une organisation qui travaille pour ça, un truc énorme, dont un Africain est à la tête, et il parle français, tu te rends compte, un Africain. C'est une façon pour la France de protéger sa langue, mais aussi de fédérer les gens autour d'une nouvelle culture, qui soit une inter-fécondation de plusieurs cultures des cinq continents, et que les peuples se retrouvent autour de valeurs nobles, et tout cela, blablabla. C'est ce qu'ils disent. Parce que, entre nous, la France veut tout simplement nous dépouiller de notre identité. Et puis, Bourguiba chut !, comme tu le sais, en plus d'être un collabo et d'avoir tué Farhat Hached (un vieil ami à Tonton, mais il est mort, enfin on l'a tué, mais il serait sûrement déjà mort si on ne l'avait pas tué, enfin je me comprends) c'était un franc-maçon. Encore un truc d'athée, ça. Et puis tous ces gens rassemblés au Bardo, ils sont athées, peut-être même francs-maçons. Oui, ce sont des déchets, quoi, ils parlent francophone, le franco-arabe. D'ailleurs notre ami Moncef Marzouki, notre probable futur président de la République, en donne une excellente définition, du franco-arabe : « Le franco-arabe est la langue de certaines catégories bourgeoises occidentalisées, qui méprisent le large public, et le qualifient de plouc*. » Il se respecte tout seul… C'est un homme très respectable, Moncef Marzouki. On lui met un Tonton, alors ? Non, mais disons qu'on le respecte, on est bien obligés. Déjà, il se respecte tout seul. Son propre ego le respecte. Pour en arriver à mettre l'image de ses vieilles lunettes, sur lesquelles tout le monde l'a critiqué, l'a taquiné ou l'a léché, dans le logo de son parti, il doit y en avoir de l'ego, là derrière, et ce n'est sûrement pas petit. Non, c'est gros, trop gros. Mais il veut être président de la République, il a le droit. Enfin, on disait, Moncef Marzouki ce n'est pas du tout un bourgeois occidentalisé. Non, il vient de la campagne, mais il a passé une bonne partie de sa vie en France, il a fait ses études à Strasbourg, et tout ça, il est médecin, et il a écrit des livres et des livres Mais ça ne devait pas être facile de ne parler qu'arabe en France. Et d'écrire des livres en arabe, même quand c'est en français. Et surtout avec ce genre de lunettes, la vache. Le docteur, qui n'a jamais parlé français de sa vie, jamais de la vie, voudrait que l'on ne parle plus qu'arabe. Ou africain. « Il faut qu'on aille plus loin que cela en suivant les langues africaines prometteuses, tout en s'assurant de l'existence d'un nombre suffisant de spécialistes pour pouvoir les inculquer. » Quel est le Tunisien qui n'a jamais rêvé de pratiquer le fongbe, l'aja, le mina, le mooré ou le vezo ? Surtout quand les peuples qui les parlent utilisent aussi le français au quotidien. C'est sûr qu'il faut se donner encore vingt ou trente ans pour former une génération capable de parler ces langues-là et qu'enfin on puisse former une union africaine en dehors de la CAN. À condition que d'ici-là, ces langues existent encore. Ou alors, tu sais quoi ? On va se contenter de l'arabe, sinon on risque de perdre du temps, pendant que ces francophones ont déjà dépassé ce problème, qu'ils font évoluer la langue française, changer, hybrider, quand tu te rends compte qu'on ne parle plus français comme il y a deux ou trois siècles, c'est quand même incroyable ces gens qui acceptent de perdre leur identité, comme ça, en intégrant des anglicismes et des arabismes dans leurs dictionnaires, et de perdre leur temps avec cette francophonie, des millions de gens à travers le monde qui perdent leur temps comme ça. «Pollution sonore» On ne va pas perdre notre temps, d'accord ? Car, comme dit le docteur, « tant que le Coran existe, la langue arabe demeurera, et se développera ». C'est bon, on a l'aval de Dieu. Le docteur, en revanche, si, il a tout compris de ce que Dieu a dit, et Rached Ghannouchi aussi l'a compris, forcément, quand on a passé vingt ans de sa vie en Angleterre à lire l'anglais en arabe, forcément, on ne fait que parler la langue de Dieu, et Dieu a investi Ghannouchi de la mission d'informer au bout de vingt ans de séparation, le pauvre, il est revenu et il ne reconnaissait plus rien de ce qui l'entourait, il faut le plaindre le peuple que la langue qu'il parle au quotidien, c'est de la « pollution sonore ». On va se mettre à l'ouvrage, maintenant. Et ça a déjà commencé. Les directives du CPR, en télépathie avec Ennahdha, sont claires et nettes : « Parmi les mesures à prendre celle d'exiger l'utilisation de l'arabe littéraire et du dialecte tunisien raffiné dans les radios et télévisions, tout en criminalisant l'emploi du "créole". » L'exemple à suivre, grosso modo, c'est celui de « 1984 » de George Orwell, c'est-à-dire qu'il n'existe plus qu'une seule langue et on coupe la tête à celui qui ne parle pas arabe, parce que, quand on ne parle pas arabe, c'est qu'on parle franco-arabe, et le franco-arabe, c'est du francophone, donc du bourguibisme, quoi, c'est-à-dire de la franc-maçonnerie, et puis les francs-maçons, ils sont tous athées, et pour les athées, Dieu nous a bien dit en arabe qu'il faut leur couper la tête. À présent, on va dire tout cela en arabe. Eh ! bien, oui, il faut bien qu'ils comprennent toute cette merde, c'est que la diarrhée de Tonton est contagieuse. Khalil KHALSI
* Extrait de l'article de Moncef Marzouki intitulé « Quelle langue les Arabes parleront-ils au siècle prochain ? », paru sur le site d'al-Jazzera et traduit de l'arabe par Gnet.tn varlenge sihem un tunisien lambda FaouziB