« La fureur dogmatique a bouleversé plus d'un état… Quand une nation connaît les arts, elle sort aisément de ses ruines et se rétablit toujours » Voltaire « Essai sur les mœurs » Quand la barbarie aveugle s'attaque à la culture, quand elle prend pour cibles les penseurs, les artistes, les journalistes, il est temps que la colère gronde car il y a péril en la demeure. La liberté de pensée, longtemps muselée et interdite, a pris, enfin, son envol, et la voilà menacée d'un linceul par les forces de l'ombre. Des événements graves se sont déjà déroulés annonciateurs des dangers actuels : interventions violentes pour empêcher certains intellectuels de donner des conférences, attaque contre une salle de cinéma, saccage du lieu, menace des spectateurs, un tollé à cause de la programmation du film « Persépolis », projeté par une chaine de télé, entre autres et tout dernièrement, l'agression contre la troupe musicale « Awled El Manajem » qui donnait un concert à la Maison de la Culture de Meknassi le 17 Décembre. Ajouter à tout cela, ce qui se passe à la Faculté de La Manouba, des actions violentes contre des jeunes voulant fêter l'avènement de l'année nouvelle. Ces faits sont loin d'être anodins, quand on sait que la plupart de nos mosquées et de nos universités deviennent des lieux de propagande salafiste, au vu et au su de tous où des tribuns barbus tiennent des discours identitaires populistes et enflammés. Il est même question de listes comportant des noms d'intellectuels, de penseurs et d'artistes déclarés « kouffars » par des fanatiques assoiffés de vengeance. Ce qui expliquerait la virulence de ces actes serait la réaction, plutôt, tiède de la part de l'Etat et de la justice. Même si cette mouvance est minoritaire, il n'en demeure pas moins qu'elle suscite inquiétudes, angoisses et questionnement quant à l'avenir du pays et celui de la culture. Il est vrai que les déclarations de certains politiques sont interprétées comme des encouragements pour des salafistes qui s'autorisent le recours à la violence. Les attaques de Ghannouchi contre les journalistes en est un exemple flagrant. La pensée et l'art sont les cibles privilégiées d'une idéologie figée et anachronique qui s'attaque, ainsi, aux fondements mêmes de la démocratie et, surtout, au principe de liberté. Combattre la pensée progressiste et moderniste, celle qui exhorte à réfléchir, à remettre en cause, à débattre, à douter de nos certitudes bien ancrées, c'est vouloir éliminer ceux qui pensent autrement et qui l'expriment ouvertement, haut et fort. C'est vouloir saper les libertés fondamentales de penser et de s'exprimer. C'est, également, imposer une pensée unique, une vision uniforme et étriquée de voir le monde, c'est forcer l'autre à admettre que cette vision est la seule viable, c'est imposer la dictature du dogme, ne tolérer aucune discussion possible, aucune démonstration, aucune remise en question. C'est appliquer un système pyramidal où l'individu ne ferait qu'obéir aux supérieurs, sans contestation, sans protestation aucune. C'est, enfin, revenir à un modèle dépassé par l'histoire qui nie le rôle de l'Etat, garant des libertés fondamentales. Cet archaïsme religieux est dangereux parce qu'il rejette l'essence même de la liberté, parce qu'il ne reconnaît nullement la liberté de la création artistique, parce qu'il bafoue le droit à la critique, parce qu'il s'octroie le droit de porter des jugements définitifs et parce qu'il prépare un projet pernicieux et funeste : la mort de la pensée et de l'art. Condamner l'art, s'attaquer aux créateurs, perturber les manifestations culturelles est un travail de sape de la pensée. Museler l'art, c'est étouffer une nation. L'intimidation, la menace, la force, la violence ne pourraient être tolérées. La vigilance est une nécessité et la résistance, un devoir. Tounès THABET