• Les Salafistes iconoclastes ont déployé leurs troupes • Hamadi Rdissi et Zied Krichen, agressés • Affaire renvoyée au 19 avril 2012 Hier a eu lieu devant la chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Tunis, le procès de la chaîne de télévision tunisienne Nessma en la personne de son représentant légal Nabil Karoui. Cette affaire a éclaté suite à la diffusion par la dite chaîne du film « Persépolis », qui a été jugé blasphématoire à cause de la représentation de la Divinité. En réalité, dans ce film franco-iranien, qui est une sorte de dessin animé, c'est l'imaginaire d'une petite fille, qui était représenté. En tout état de cause cela a suscité le tollé de plusieurs Salafistes qui, rappelons le, étaient sortis dans les rues de la capitale, au lendemain de la diffusion du film, pour manifester leur colère , en lançant des slogans hostiles à Nessma et Karoui qui étaient traités de mécréants et de suppôts de Satan. Mais les choses ne s'étaient pas arrêtées là, puisque, quelque temps plus tard, un groupe d'avocats a présenté, au nom de l'ordre public a-t-il dit, une requête auprès du procureur de la République, contre le représentant de Nessma, Nabil Karoui en demandant de le poursuivre pour atteinte au culte et aux valeurs du sacré, ainsi qu'aux bonnes mœurs et enfin pour trouble à l'ordre public. Le responsable de Nessma ainsi, que son assistante, chargée du montage et du doublage du film, ont comparu devant le juge d'instruction, qui après les avoir entendus, a rendu une ordonnance de clôture, dans le sens de l'inculpation. Le dossier de l'affaire a été transmis à la chambre correctionnelle, d'où le procès d'hier. Devant le palais de Justice des centaines de personnes , représentant les deux parties au procès,se sont rassemblées, pour, lancer différents slogans, que ce soit par ceux qui étaient pour ou contre le procès. Des Salafistes brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire notamment des versets coraniques dirigées contre les mécréants « Ils n'ont point respectés Allah comme il se doit » A l'intérieur du Palais la présence de plusieurs personnalités politiques et membres de la constituante a été remarquée, dont notamment Béji Caïd Essebsi qui a regagné le barreau et qui était aux côtés de Radhia Nasraoui, pour appuyer la liberté d'expression. Il y avait également, entre autres Yadh Ben Achour, Khémais Ksila, Mahdi Bennour d'Ettakattol. et la cinéste Selma Baccar. Tandis que certains journalistes et intellectuels ont été bousculés et agressés, tels que Hamadi Rdissi connu pour ses œuvres d'histoire de l'islamisme ou du confrère Zied Krichen, directeur du Maghreb. La salle d'audience était pleine à craquer et dans le brouhaha monstre qu'il y avait on pouvait à peine entendre le président du tribunal. Nabil Karoui qui s'est présenté avec son assistante n'a pas été encore entendu, car les avocats de la défense ont soulevé un point de procédure alors que ceux de la partie civile ont demandé le renvoi pour présenter des conclusions. Procès politique ? C'est ce que semble affirmer certains avocats de la défense, puisque disent-ils, l'idée du président du tribunal semblait être déjà faite. Et comment donc, avons-nous demandé à l'un de ces avocats qui répondit comme suit : « Les faits dans cette affaire sont justiciables du code de la presse et non du code pénal. Or le dernier décret-loi réglementant le secteur médiatique ne prévoit pas de délit pénal. En outre, la partie estimée lésée doit selon le même décret-loi, en gager la procédure dans le délai d'un mois. A partir de quand ce délai commence-t-il à courir ? Eh bien à partir de la prise de connaissance des faits par l'intéressé. Soit en l'occurrence, à partir du jour où le film a été projeté. Or la requête a été présentée au-delà du délai d'un mois, et en principe l'action devrait être rejetée pour forclusion. Et l'avocat d'ajouter : « Or le président ne veut pas en entendre parler et soutient mordicus qu'il compte bel et bien poursuivre l'étude de l'affaire sur le fond. Le parti Ennahdha pour sa part a publié un communiqué dans lequel il soutient la liberté d'expression. Allez me dire après qu'il ne s'agit pas d'un procès politique ! » A quand l'indépendance de la Justice. ? Attendons le 19 avril 2012 date à laquelle l'affaire a été renvoyée, pour en savoir plus. Ahmed NEMLAGHI
Témoignages Kamel Jendoubi, président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) « L'instrumentalisation » « Indépendamment de Nessma, je pense que ce n'est pas le directeur de cette chaîne qui est visé, c'est une instrumentalisation dont le but est de faire une déviation dans le chemin emprunté par la Révolution. Certaines forces prennent pour alibi des éléments sacrés pour nous mener vers d'autres horizons. Ces forces qui ont toujours existé sont plus visibles aujourd'hui. Je considère que ce procès ne devrait même pas avoir lieu. Il est anachronique par rapport à la Révolution tunisienne celle des Libertés et de la dignité. Et voilà que l'une des libertés fondamentales risque une accusation. Ce genre de procès devrait disparaître du paysage tunisien, car on est en mesure de trouver des solutions à nos divergences en dehors des modalités judiciaires et des menaces de mort. C'est évident, On ne va pas être ramené à rappeler que les Libertés individuelles et collectives sont intouchables. Contrairement à ce que prétendent certains, qui disent que le pays a d'autres priorités, je crois que la liberté d'expression en est une. Il y a deux critères qui peuvent être des indicateurs fondamentaux en politique qui ne sont autres que la liberté et l'indépendance de la justice. Ces indicateurs virent au rouge. C'est une bataille. » M.B.G.
Abdessattar Ben Moussa, le Président de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) «Un procès d'opinion » « Je crois dur comme fer qu'il s'agit là d'un procès d'opinion. Je condamne ce procès puisqu'on est entrain de juger la liberté de penser qui est un droit de tout un chacun. La liberté artistique ne doit pas être l'objet de surenchères idéologiques. Je condamne ce procès mis à part la personne qui sera jugée. Car si aujourd'hui Nessma est visée demain ce sera le tour d'un penseur ou autre. On peut avoir un avis différent, c'est logique, mais il est inadmissible de l'imposer par la force, les insultes et l'attaque de l'intégrité morale et physique d'autrui. » M.B.G.
Me Farida Lâabidi, membre de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et membre du bureau exécutif d'Ennahdha « Une atteinte au culte religieux » « Quand on parle de démocratie, tout est possible. On peut saisir la loi si on croit que l'un de nos droits a été bafouillé. Je crois que ce procès est le résultat d'un dialogue social qui a au final incriminé la chaîne de télévision Nessma. Cette dernière a diffusé un film qui a provoqué un tollé dans la société tunisienne et a été considéré comme une atteinte au culte religieux. Dans toutes les démocraties du monde la liberté artistique a des lignes rouges à ne pas dépasser. Certaines personnes ont rappelé que ce film a été diffusé en 2008 sans pour autant créer autant de réactions. Mais pendant ces temps le pays était sous le joug de la dictature. On ne va pas prendre ces temps-là pour référence. Je crois que c'est une insulte à la Révolution que de considérer les faits en tant que tel. Le peuple a fait sa Révolution pour avoir la liberté de s'exprimer librement et de dire ce qu'il pense dans la mesure du respect des mœurs. » M.B.G.
Amnesty International: "Les autorités tunisiennes doivent retirer les charges pesant contre le patron de la chaîne de télévision qui a diffusé Persepolis" Avant la comparution de M. Nabil Karoui devant le tribunal, Amnesty International a déclaré lundi que les mesures judiciaires prises contre le propriétaire d'une chaîne de télévision tunisienne suite à la diffusion du film " Persepolis " est une atteinte à la liberté d'expression. Nabil Karoui, propriétaire de Nessma TV est inculpé de " violation des valeurs sacrées " et " troubles à l'ordre public ", suite à la diffusion par sa chaîne du film d'animation français Persepolis, considéré comme blasphématoire à l'égard de l'Islam car il comporte une scène montrant une représentation de Dieu. S'il est inculpé, Nabil Karoui risque jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Dans ce contexte, Philip Luther, directeur par intérim du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnesty International a déclaré : " Il est très inquiétant de voir Nabil Karoui poursuivi pour la seule raison qu'il a diffusé un film montrant des scènes imaginées de Dieu ". Et d'ajouter: "Les autorités tunisiennes doivent respecter le droit de Nabil Karoui à la liberté d'expression et retirer ces charges immédiatement ". La diffusion en octobre par Nessma TV de Persepolis, un film primé sur la révolution iranienne de 1979 racontée du point de vue d'une petite fille, a provoqué des réactions de colère. La maison de Nabil Karoui a été incendiée le 14 octobre à la suite d'une manifestation devant les bureaux de Nessma TV, dans le centre de Tunis. Des militants salafistes sont soupçonnés d'avoir mené l'attaque. Une plainte a été déposée contre le président et deux employés de Nessma TV par 144 personnes, notamment des avocats. Des journalistes tunisiens ont été la cible de multiples attaques ces derniers mois, menées par des membres des forces de sécurité et par d'autres personnes, selon les informations recueillies. Alors qu'il circulait dans les transports publics à Tunis le 18 janvier, Mohamed Ali Ltifi, du journal Al Oula, a été frappé par des policiers et forcé de descendre d'un train après avoir montré sa carte de presse. Les fonctionnaires n'ont avancé aucune raison pour justifier leur geste. Le journaliste de Nessma TV Sofiene Ben Hamida a été agressé physiquement le 11 janvier alors qu'il couvrait une manifestation devant le ministère de l'Intérieur. Le mouvement avait été organisé par des policiers qui entendaient protester contre la suspension de l'un des leurs soupçonné d'être impliqué dans la mort de manifestants lors du soulèvement. Sofiene Ben Hamida pense que ses agresseurs appartiennent à un groupe extrémiste ayant organisé une contre-manifestation simultanée. Plus tôt ce mois-ci, deux femmes journalistes – Sana Farhat, du quotidien de langue française Le Temps, et Maha Ouelhezi, du site d'informations Web Manager Center – ont été brutalisées par des policiers en civil alors qu'elles couvraient une manifestation devant le ministère de l'Enseignement supérieur. Sana Farhat a été traînée par les cheveux et battue par des membres des services de sécurité. Philip Luther a encore dit que la Tunisie progresse dans certains domaines des droits humains, mais elle a de toute évidence encore beaucoup de travail à faire pour le respect de la liberté d'expression. Le récent rapport d'Amnesty International intitulé " Une année de rébellion : la situation des droits humains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord " montre que le gouvernement provisoire de la Tunisie n'a toujours pas mis en place la réforme globale des droits humains réclamée par les manifestants il y a un an. Un an après la fuite de l'ancien président Zine el Abidine Ben Ali, les autorités ont pris quelques premières mesures positives, notamment en adoptant des traités importants relatifs aux droits humains et en accordant, en règle générale, davantage de liberté aux médias et aux organisations de défense des droits fondamentaux. Dans la plupart des cas cependant, les forces de sécurité du pays ne sont toujours pas amenées à rendre compte de leurs actes et les victimes de violations des droits humains continuent d'attendre que justice soit rendue, selon le rapport. En mars 2011, la redoutable Direction de la sûreté de l'Etat, coupable de violations pendant des années sous Ben Ali, a été dissoute. On craint cependant que ses membres n'aient simplement été intégrés dans d'autres organes, dont le fonctionnement reste opaque et qui ne sont pas soumis à l'obligation de rendre des comptes. Amnesty International a recensé depuis le départ de Ben Ali une série de cas dans lesquels des manifestations et des sit-ins pacifiques ont été dispersés par la force et des manifestants ont été roués de coups.