Par Lotfi M'RAIHI Porte parole du Parti al Watani Ettounsi - Le journal « Le Temps » a consacré, dans sa livraison du samedi 11 février, une attention toute particulière à un article de Mr. Gilbert Naccache qui circulait sur le Net depuis le lundi 6 février. J'avoue avoir été tenté plus d'une fois d'y répondre. Maintenant, qu'une publication aussi réputée et saluée pour son sérieux et sa rigueur ait jugé de porter le débat sur la place publique, il devint incongru de ne pas s'y inscrire surtout que le parti accusé se trouve être aujourd'hui le mien et le camp mis en accusation est celui dont je porte la parole. Je souhaiterais de prime à bord m'adresser à M. Naccache pour lui exprimer publiquement le respect qu'il mérite pour avoir été l'homme d'un combat utile et courageux et que nos différences qui seront soulignées dans ce qui suit n'entachent en rien ce sentiment. M. Naccache, je comprends tout à fait votre appréhension face à ce que vous décrivez comme une machination fomentée et bien conduite. Cette suspicion ouvre hélas des portes à des associations d'idées et des supputations que seules peuvent excuser la sincérité et l'attachement à l'intérêt national qui vous sont reconnus. Monsieur Naccache, oui les destouriens sont de retour, ils ne sont pas seuls cette fois-ci. Ils sont de retour accompagnés de Tunisiens de tous horizons qui partagent leur modération et qui se sont rendus compte après les soubresauts qu'endure le pays qu'ils étaient Bourguibiens sans le savoir. N'en déplaise à certains Bourguiba va à nouveau prendre un rendez-vous avec l'histoire, fût-ce à titre posthume. Monsieur Naccache, je ne pense pas que l'impact de Bourguiba sur la révolution tunisienne vous ait échappé. Celle-ci ne fut-elle pas la conséquence des mutations sociales où l'éducation initiée par Bourguiba en a été le catalyseur. J'ose espérer que vous n'êtes pas de ceux qui pensent que notre révolution est celle d'un peuple affamé et miséreux mais plutôt un cheminement naturel d'une génération qui a engrangé les mutations de la Tunisie moderne. Monsieur Naccache, nul ne prétend que la Tunisie a cheminé, depuis son indépendance jusqu'à la révolution du 14 janvier, dans une voie de félicité et dans un parcours sans embûches. Il ne s'agit pas pour nous d'exercer un droit d'inventaire sur notre histoire contemporaine. Toutefois, qui oserait aujourd'hui renier les réalisations du peuple tunisien sous la conduite de Bourguiba. Je ne vous parlerai pas de l'école : lieu de savoir et école de la république et de la citoyenneté, ni de la santé, ni des acquis sociaux qui ont contribué à limiter les dérapages et les exclusions mais je voudrais plutôt vous rappeler ce qui à l'époque n'était pas assez souligné et qui apparaît aujourd'hui à la lumière de la tendance vers la bipolarisation de la société, comme un trait du génie politique de Bourguiba, j'ai désigné l'approche de la relation état-religion. Monsieur Naccache, Bourguiba n'en déplaise à certains avait une vision pour ce pays et nous en sommes dépositaires. Qui est Bourguibien aujourd'hui, me diriez-vous ? Et bien, celui qui se le dit être, qui se reconnait dans ce nationalisme dans lequel la Tunisie est l'émanation et la finalité de tout projet et qui croit en l'unité nationale comme bouclier contre les discordes mais garante en son sein de la diversité. Le Bourguibisme, somme toute M. Naccache, c'est de militer pour un pays qui nous rassemble dans sa réalité historique, culturelle, religieuse et socio-économique. M. Naccache, la Tunisie que nous appelons de nos vœux n'est pas un corridor traversé de courants d'air et qui navigue autant en emporte le vent, car voyez-vous ce pays a une histoire et des spécificités et n'est pas une génération spontanée qui a vu le jour après la révolution du 14 janvier. Toute tentative de s'approprier la Révolution est non seulement une contrevérité et l'œuvre de faussaires, mais pire un hold-up visant à capitaliser un fond de commerce qui s'emploiera en première intention à consacrer l'immobilisme pour garantir sa rente viagère. M Naccache, tout lecteur impartial, de votre œuvre maitresse « Cristal », ne peut que militer avec vous pour une Tunisie plurielle, démocratique et citoyenne. Vous avez toute la latitude de juger l'histoire et le parcours accomplis par la première république. Comme toute œuvre humaine, elle ne saurait se placer au dessus de l'évaluation et du questionnement mais de grâce n'insulter pas l'avenir. La grandeur appelle à dépasser les rancœurs, le litige que vous avez pu avoir avec un régime politique à un moment donné de son histoire ne légitime pas de déverser votre ire et de poursuivre de votre vindicte tous ceux qui se réclament de ses préceptes et de sa vision. Dans ce moment historique, où la Tunisie grâce à la sagesse de ses enfants de tous bords, a choisi de laisser l'Histoire aux historiens en préférant de rétablir l'unité nationale à travers une justice transitionnelle, il devient anachronique de jeter l'opprobre sur toute une frange de la population, sans discernement et d'appeler au châtiment et au bannissement collectif. Les Destouriens ont été les bâtisseurs d'un Etat et les rassembleurs d'une nation. Leur dévouement à ce grand projet s'il ne vous inspire pas le respect devrait au moins vous inciter à la retenue. La Tunisie ne peut se permettre, ni aujourd'hui ni demain, de bannir ni d'exclure ses enfants si elle veut assurer sa pérennité et consolider son front national. M. Naccache, le Destour c'est les destouriens dans leur diversité et la richesse de leur référentiel où le leadership de Bourguiba n'occulte en rien leur fierté d'un héritage national qui a connu les contributions valeureuses, de Abdelaziz Thaalbi ; Taher Hadded, Slimène Ben Slimène et autres…. Fiers de ce legs, autour duquel les destouriens se sont rassemblés aujourd'hui toutes générations et toutes régions confondues, ils militent pour une Tunisie apaisée, consensuelle et sans exclusion. Ils portent hauts les couleurs de leurs choix et s'inscrivent dans une force de proposition et d'alternative démocratique. Sachez M. Naccache que les destouriens s'inscrivent autant que tous les tunisien dans l'esprit de la révolution et œuvrent pour préserver son esprit et accomplir ses aspirations. Tout au long de la Révolution a-t-on vu en seul Destourien voler au secours du régime déchu ou appeler à une contre révolution ? La surenchère révolutionnaire ne nous ressemble pas, les destouriens sont de la trempe des bâtisseurs. Contrairement à d'autres contrées similaires, l'Etat Tunisien a su faire face à la conjoncture qui a suivi la chute du régime. Le peuple tunisien a pu continuer à bénéficier du service public et des prestations de l'Etat. Cela n'aurait été possible sans une administration structurée et compétente édifiée par les pères fondateurs. Je me permets enfin de vous rappeler que le grief de carence démocratique souvent exhibé pour dévaloriser l'œuvre de Bourguiba, ne doit pas occulter que les mouvements qui s'opposaient à lui prônaient des modèles dont la démocratie n'étaient pas la vertu première et émanaient de contrées qui n'en étaient pas les chantres.