De notre correspondant particulier à Paris Zine Elabidine Hamda - L'organisation des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) vient d'épingler la France dans un rapport intitulé “La base de l'humiliation”, portant sur les contrôles d'identité abusifs. Le rapport est le résultat de recherches effectuées en 2011 à Paris, Lyon et Lille et dans leurs régions qui indiquent que le système de contrôle d'identité peut donner lieu à des abus de la part de la police française, "laquelle se sert de ce système comme outil central dans le cadre de ses opérations et dispose de vastes pouvoirs pour interpeller et contrôler les individus, qu'elle les soupçonne ou non d'une activité criminelle. " Pour HRW, la police française « se livre notamment à des contrôles répétés(…), parfois accompagnés de violence physique et verbale.” Approuvées par certains tribunaux français, ces pratiques sont justifiées par les autorités françaises comme des mesures de sécurité. HRW conteste cette pratique et souligne que « le recours au profilage ethnique s'avère discriminatoire et enfreint à la fois le droit national et international lorsque la police prend systématiquement pour cible certains groupes lors de ses contrôles, même quand ces actions découlent de stéréotypes inconscients plutôt que d'une politique intentionnelle". L'ONG souligne que « pour les jeunes noirs et arabes vivant dans des zones économiquement défavorisées, les contrôles d'identité font partie de la vie courante ». Elle relaie les déclarations de certaines personnes interrogées qui ont déclaré avoir été traitées de «sale bougnoule», de «bâtard d'Arabe" ou de "sale négro". Pour HRW, "le Code de procédure pénale français accorde trop de pouvoirs aux forces de l'ordre dans l'exécution des contrôles d'identité, ouvrant largement la porte à l'arbitraire et aux abus. » L'organisation appelle le gouvernement français à « reconnaître les problèmes posés par les pouvoirs conférés pour les contrôles d'identité et à adopter les réformes juridiques et politiques nécessaires pour prévenir le profilage ethnique et les mauvais traitements lors des contrôles. » Pour la première fois, HRW demande aux autorités françaises d'amender le code de procédure pénale de manière à soumettre les contrôles d'identité à l'existence de «soupçons raisonnables et individualisés». Elle demande à ce que les contrôles soient encadrés, que la police soit obligée d'informer les individus contrôlés de la base juridique de la démarche et de leurs droits et qu'un procès-verbal, qui ne fait pas partie de la pratique actuelle, soit établi à chaque contrôle. La politique du chiffre A la base, les contrôles d'identité concernent principalement les personnes supposées être des « sans-papiers », ou en situation irrégulière. Mais ils touchent, habituellement, des profils ethniques que HRW identifie comme africains, arabes ou Rom. Une campagne d'expulsions est organisée depuis quelques années mettant en avant « une politique du chiffre ». C'est ainsi que les clandestins qui seraient au nombre de 400 000 en France sont la cible principale des expulsions. Les contrôles d'identité sont la base qui permet à la police de les identifier. D'après les chiffres officiels du ministère français de l'Intérieur, 23 200 personnes ont été expulsées en 2007, 29 796 en 2008, 29 288 en 2009, 28 000 en 2010 et 32 922 en 2011, avec un chiffre qui a largement dépassé les prévisions Une autre motivation est avancée par les autorités, c'est la lutte contre la délinquance. «La police suppose que certaines personnes sont plus susceptibles d'être des délinquants en se basant sur leur apparence, entre autres la race et l'ethnicité, plutôt que sur leur comportement», résume le rapport de HRW. "Les contrôles d'identité musclés" D'autre part, HRW dénonce « le recours excessif à la force » et en particulier les «fouilles intrusives» lors des contrôles d'identité, rappelant que «ni le code de procédure pénale, ni aucune autre loi écrite n'octroient explicitement le pouvoir de procéder à ce type de fouilles corporelles». Cette pratique policière singulière en Europe avait fait aussi l'objet d'un rapport d'Amnesty International qui avait dénoncé la mort de trois personnes suites à des contrôles d'identité musclés qui avaient dégénéré. Dans son rapport annuel publié en ami 20111, Amnesty International s'était alarmé de l'usage excessif de la force, de la lenteur des enquêtes et aussi d'un manque « d'indépendance et d'impartialité » de la justice. Son rapport a signalé trois cas de mort suite à des interpellations violentes. Le cas d'Ali Ziri, retraité algérien de 69 ans, mort le 9 juin 2009 après avoir été arrêté par la police à Argenteuil (Val-d'Oise). Deux expertises médicales établissent un lien entre le décès et la technique de maîtrise utilisée alors par la police. Un rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) fait part d'une interpellation «particulièrement violente.» Mais, en décembre 2011, le parquet de Pontoise a requis un non-lieu. L'affaire est en suspens dans l'attente de la décision du magistrat instructeur. Le deuxième cas est celui d'Abdelhakim Ajimi, 22 ans, mort le 9 mai 2008 à Grasse (Alpes-Maritimes). Lors de son interpellation musclée, le jeune homme blesse deux policiers (fracture de la clavicule, épaule démise) avant d'être sévèrement maîtrisé. Il décède pendant son transfert au commissariat. L'autopsie conclut à une mort par asphyxie par compression du thorax et du cou. Fin 2009, la chambre de l'instruction ordonne la mise en examen de deux policiers pour homicide volontaire. Cinq de leurs collègues sont également mis en examen pour non-assistance à personne en danger. Mais le 5 mai 2011, les deux juges d'instruction rendent une ordonnance de non-lieu à l'égard des deux policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC). Après l'appel du parquet, aucune audience n'a été fixée. Le troisième cas est celui d'Abou Bakari Tandia, 38 ans, mort après sa garde à vue. Interpellé en tant que sans-papiers, Abou Bakari Tandia sombre dans le coma au cours de sa garde à vue au commissariat de Courbevoie (Hauts-de-Seine), le 5 décembre 2004. Après plusieurs rebondissements, le rapport rendu en juillet 2009 par l'Institut médico-légal de Paris remet en cause la version policière : l'homme n'est pas mort d'un coup à la tête, mais des suites de violentes secousses. La partie civile, mais aussi le parquet, demandent depuis août l'audition des policiers, sans résultat. Ces cas ne sont pas isolés. Ils constituent le résultat d'un système de contrôle au faciès qui dégénère parfois en interpellations violentes dangereuses, et parfois fatales. Human Rights Watch est une organisation internationale qui compte du personnel dans plus de 40 pays et des bureaux à Amsterdam, Beyrouth, Berlin, Bruxelles, Chicago, Genève, Goma, Johannesburg, Londres, Los Angeles, Moscou, Nairobi, New York, Paris, San Francisco, Tokyo, Toronto, Tunis, Washington et Zurich.