«Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion» - Voltaire Quand des discours incendiaires, diffamatoires et haineux embrasent la cité et sonnent le glas de la paix sociale, fou celui qui fait la sourde oreille, fou celui qui fait l'indifférent, qui se détourne de l'inquiétude ambiante. Quand « les blés sont sous la grêle », honte à celui qui minimise la tempête, celui qui est aveugle aux blessures des épis gaulés, honte à celui qui observe le ciel et promet une éclaircie miraculeuse alors que l'horizon s'assombrit et que le déluge menace d'engloutir le rêve d'un peuple. Quand des prêcheurs ignorants et fanatiques croient apporter la bonne parole à des individus démunis qui désespèrent de leurs semblables et s'accrochent à une foi naissante et vacillante, en mal de repères, quand la religion s'affiche comme on enfile un uniforme, devient barbe, voile, niqab, quand elle est vidée de sa dimension spirituelle, de ses valeurs, quand elle n'est plus réfléchie, pensée, quand elle n'est plus croyance privée et personnelle et qu'elle n'engage plus l'âme, mais, surtout, le corps, quand la pensée s'étiole, quand le raisonnement périclite et se meurt, quand la méditation disparaît et que la contemplation est bannie, quand les traits du visage se durcissent, quand le front porte l'empreinte fallacieuse de la dévotion, quand les signes de la foi sont exhibés pour susciter admiration et envie, quand l'hypocrisie sociale travestit la religion, quand des dogmatiques osent se substituer à la volonté divine, quand la foi devient jeu social, quand la religion n'est plus vécue comme facteur d'unité, d'union, d'amour, d'entente, de solidarité et de fraternité, quand la spiritualité est assassinée sur l'autel du fanatisme, alors, les « marchands » de la pseudo-pensée religieuse pullulent. En mal d'ouailles, ils se précipitent sur leurs « victimes » pour leur vendre un Islam dévoyé, maculé d'idéologies pernicieuses, saupoudrées de platitudes, de phrases toutes faites, de préjugés moyenâgeux, de mots clinquants pour éveiller l'enthousiasme d'un auditoire médusé par l'éloquence d'un tribun dont l'unique atout est de posséder parfaitement la langue, d'exceller dans le sophisme, d'utiliser le registre précieux, familier ou théologique ésotérique en fonction du destinataire et de l'idée qu'il veut transmettre. Il y mélange la vox populi en l'intégrant dans une idéologie bien précise. Un orateur enfin, écouté et « reconnu », qui va s'ingénier, pendant des heures, à prouver à ses auditeurs qu'ils sont les élus de Dieu et qu'ils seront récompensés et que tous les autres sont dans l'erreur : des êtres ignobles, méprisables, haïssables, des impies, l'incarnation du diable qu'il faut combattre. Une démarche sectaire visant à jeter l'anathème sur tous ceux qui pensent autrement. Le mal, c'est l'autre contre lequel il déverse insultes, injures, condamnation. Suit la description détaillée et interminable du châtiment divin, une vision dantesque de l'enfer. Le discours est d'une violence inouïe qui évolue crescendo, les termes de « tolérance », « acceptation », amour », « paix » sont bannis, alors que les mots chocs « enfer », « péché » se répètent à l'infini, destinés à choquer et ébranler afin que les termes soient, à jamais, gravés dans la mémoire d'une assemblée qu'on manipule à sa guise, assemblée conquise et acquise à la « bonne » cause, qui boit les paroles enflammées, les ingère, s'en délecte et le prouve par des cris stridents qui disent son admiration, son adhésion et sa soumission à ce « génie » de la providence, ignoré chez lui, chassé de plusieurs pays, accusé de terrorisme. Le discours est manichéen à souhait, long et fastidieux. Des citations émaillent ses dires, références religieuses toutes détachées de leur contexte historique et social. Le tribun choisit ce qui l'arrange, même les propos non authentifiés, en inonde l'assemblée béate. Le discours dérive, quitte la sphère religieuse et aborde le domaine politique. On s'octroie le droit de s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Etat. On n'hésite pas à donner son avis, à juger les uns et les autres, à accuser penseurs, intellectuels, journalistes, artistes d'être des « vendus » de l'ancien régime, des « damnés » il vilipende, dénonce, condamne, il lance la malédiction sur ceux qui le critiquent, attise la haine contre les impies. « Du fanatisme à la barbarie, il n'y a qu'un pas », le tribun est transporté hors de lui-même, le discours s'accompagne de mimiques, de gestes saccadés, les yeux sont exorbités, le ton grave, le style ampoulé, il manie l'hyperbole, joue son rôle à la perfection avec des tremolos dans la voix et la larme à l'œil. C'est un show avec toute la mise en scène nécessaire. La voix dit l'exaltation de l'illuminé qui précipite l'auditoire dans la folie de son délire. Un discours de guerre, de haine et de combat pour exacerber le fanatisme de l'assemblée. Des cris frénétiques lui répondent. Toute la salle est en transe. Elan, effusion, déchainement collectif d'une foule tenue en laisse par un tribun qui préconise l'excision des femmes pour les « rendre plus belles », qui appelle au « djihad ».