Quand tout cela aura disparu, que nos villes, tout comme nos régions, auront, petit à petit perdu ce qui a valeur d'âme, lorsque l'uniformité, suintant l'ennui, aura étendu son morne manteau, sur tous nos paysages architecturaux, du nord au sud, d'est en ouest, noyant d'oubli, ce qui en fondait la spécificité et la richesse, alors, ces « lieux de mémoire » qui faisaient qu'on appartient bien à cette terre, et pas à une autre, seront perdus à jamais pour les générations qui viendront après nous, et qui ne pourront pas mettre leurs pas dans les nôtres, pour rejoindre un passé commun, pas si lointain que cela, où le visage d'une ville, racontait toute une histoire, la nôtre en somme, sans la parsemer de blancs, ni en masquer les cicatrices car elles sont aussi sa vérité. Et ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible d'éradiquer toute entreprise de démolition, qui menace la pierre, tout comme la mémoire, menaçant de faire basculer le pays dans un néant, que des esprits obscurs appellent de tous leurs vœux ; mais ce n'est pas demain la veille… Il se trouve que nous avons un patrimoine architectural et urbain à préserver, et que l'Association –Patrimoine 19-20- a été fondée justement, dans le dessein de protéger et promouvoir, cet héritage- là, dans l'esprit et la lettre d'une entreprise citoyenne, ouverte à tous, et qui prendrait en compte, en toute urgence, le patrimoine récent en Tunisie ; à savoir : celui du XIXéme et XXème siècle. Le « combat », s'il en est, n'est pas anodin, puisque cela concernerait, au final, la mémoire de tout un pays, à travers ses édifices, ses espaces urbains, et tout ce qui contribue à en façonner le paysage. Il suffit de se promener dans la ville de Tunis par exemple, le nez au vent, en en parcourant l'artère principale et ses ramifications, en acceptant également de se perdre dans le dédale de ses rues et ruelles, pour constater que des joyaux architecturaux, laissées à l'abandon et à l'érosion du temps, n'en finissent pas d'étaler leur tristesse et leur mélancolie, semblant regarder d'un air morne, leur propre décrépitude après leur lustre d'antan, témoins des ravages d'une époque qui n'est pas tendre, et qui s'en fout comme d'une guigne de leurs vieilles blessures, tout comme de leurs bleus à l'âme. Si on n'y prenait pas garde, bientôt ils auront disparu, et ne figureront même pas dans un quelconque inventaire pour recensement de ce qui a été, et de ce qui ne sera plus. Et c'est bien pour éviter un « massacre » généralisé que l'Association 19-20 s'est fixée des objectifs clairs, dont, ce qui n'est pas le moindre, la mise en valeur de ce patrimoine architectural récent de la Tunisie, toutes régions confondues, en l'inscrivant, à court et à moyen terme, dans la logique d'une dynamique de développement durable, après revalorisation de ce qui est déjà acquis, et qui risque, hélas à ce rythme, de s'en aller à vau-l'eau. Il existerait, cependant, « un cadre juridique pour le classement des édifices, renforcé notamment depuis la promulgation en 1994 du Code du patrimoine. Sauf qu'à l'heure actuelle (…), le bilan de la protection des édifices datant de la période 1800-2000 serait plutôt insatisfaisant. Moins de trente bâtiments, dont une majorité d'édifices institutionnels ont été classés, et ceci malgré l'abondance des œuvres architecturales héritées du XIXe et XXe siècles ». Ce qui se passe de tout commentaire. Ce qui induit aussi une urgence : celle de passer à l'acte, en contrant les vautours. C'est ce que « Patrimoine 19-20 » tend à mettre en œuvre, avant qu'il ne soit trop tard pour entreprendre quoique ce soit.