Une année après la Révolution, comment les syndicalistes tunisiens jugent la situation prévalant dans le pays sous le prisme de la Démocratie, le travail et l'économie ? Entre autres quel regard portent des syndicalistes italiens, portugais, maltais, marocains, égyptiens, libanais ? Ils étaient réunis, à l'initiative de l'Union Régionale du Travail de l'Ariana avec la collaboration de la confédération syndicale italienne la CGIL, hier jour d'anniversaire de la naissance de Mohamed Bouazizi, martyr devenu célèbre suite à son immolation par le feu. Mme Lucrezia Frittoli, secrétaire pour l'Europe de la CGIL, rappellera que « c'est une date symbolique qui devait être un jour de fête pour Mohamed Bouazizi, né le 29 mars 1984. Le 17 décembre il s'était immolé devant le siège du gouvernorat et devait décéder 20jours plus tard. Il était à mille lieux de penser que par son acte il était entré dans l'histoire en déclenchant la Révolution dans son pays, pour balayer une dictature tyrannique et sanguinaire, un acte salvateur qui s'est embrasé dans le monde arabe et a généré le printemps arabe.» Mohamed Chebbi, secrétaire général de l'Union régionale du Travail de l'Ariana, précise que ce séminaire, n'a pu être organisé l'année dernière parce que la Tunisie était absorbée par les tournants de sa Révolution. Enzo Parziale, responsable de la politique internationale au sein de la CGIL, précise que « la Tunisie vit un moment historique particulièrement difficile. C'est un moment délicat en Méditerranée. La Zone méditerranéenne est fortement intéressée par ce qui se passe dans chacun de ses pays. Contrairement à ce que pensent certains en Europe, nous devons être solidaires ». Il rappelle que le Printemps arabe renvoie à « la renaissance morale et politique. Le grand espoir d'une meilleure présence tunisienne sur la scène internationale grâce au Printemps arabe est très touchant. C'est une source de grands espoirs qui ont changé la Tunisie et une grande partie de la zone maghrébine et méditerranéenne. Nous voulons aborder les questions nonobstant le côté officiel ». Les problèmes de travail, de précarité, de chômage, doivent stimuler une réflexion dont la portée pratique est la construction d'un système de pensée qui permettra aux syndicalistes italiens et tunisiens de jouer un rôle protagoniste. La goutte qui a fait déborder le vase Dans son intervention vivement attendue, Houcine Abbassi, secrétaire général de l'Union Générale Tunisienne de Travail (UGTT), a rappelé les péripéties de la Révolution du 14 janvier et le rôle joué par son organisation. La Tunisie a été le premier pays où s'est déclenchée la Révolution qui s'est répandue en Egypte, Libye et le Yémen. Aujourd'hui, la Syrie et le Bahreïen sont touchés à leur tour et rejoignent le cycle révolutionnaire. « Toutefois, les Occidentaux ne cachent pas leur inquiétude que la Révolution ne s'étende aux autres pays du Golfe qui ne reconnaissent pas les syndicats. La presse occidentale utilise la politique de l'Autruche et ne veut pas que les pays arabes vivent leurs Révolutions. » Le secrétaire général de l'UGTT rappelle que beaucoup de jeunes s'étaient immolés avant Bouazizi, sans que cela provoque une Révolution. D'ailleurs, lorsque le président déchu était au chevet de Bouazizi à l'hôpital, ce dernier n'était déjà plus de ce monde. Cette Révolution est le résultat de plusieurs facteurs dont le pouvoir de la société civile et de l'UGTT. L'immolation de Bouazizi a été la goutte qui a fait déborder le vase. « Jusqu'à maintenant, la Révolution n'est pas terminée. Elle a besoin de gardiens », dit-il en ajoutant que son organisation n'a pas été le seul acteur de cette Révolution. Mais elle a su rassembler au vu de son histoire et son militantisme. « Nous sommes concernés par toutes les questions qui intéressent la Tunisie. Personne n'a le droit de nous imposer un secteur donné où nous pouvons intervenir. Certes, nous exerçons dans le secteur social. C'est insuffisant car le politique, l'économique et le social sont intimement liés ». L'UGTT n'a pas trahi le peuple. Elle s'est portée à l'avant-garde et a accéléré le processus. La Centrale syndicale a appuyé et était solidaire avec le mouvement de protestation avant le 14 janvier. Elle était présente à Sidi Bouzid, par ses militants Mohamed Sâad, l'ex-secrétaire général, Ridha Bouzriba…Le secrétaire général révèle qu'il était resté quatre jours d'affilé à Sidi Bouzid. Les décisions prises par l'UGTT et la grève générale à Tunis dont le nombre d'habitants représente le quart de la population tunisienne ont précipité les évènements. La manifestation du 14 janvier est partie de la Place Mohamed Ali. La société civile était présente en force. « C'est-ce qui avait obligé Ben Ali à fuir », dit-il. Les partis politiques opposés à Ben Ali ont joué un rôle très important. « C'est une lutte commune de tous les Tunisiens et à leur tête l'UGTT. Après la fuite de Ben Ali, nous sommes passés à l'étape suivante qui a mené aux élections du 23 octobre, les premières élections libres », précise le S.G. Réussir la prochaine étape Le chemin était ardu et compliqué. Après le départ de ZABA, certains voulaient confisquer la Révolution. Le RCD voulait se travestir et reprendre le pouvoir. Au début on avait parlé de l'article 56 de la Constitution, puis quelques heures après de l'article 57. Or cet article n'était pas applicable pour le cas de ZABA. Le premier gouvernement provisoire a été formé entaché de beaucoup de compromis. L'UGTT a tout fait pour faire tomber les deux Gouvernements de Ghannouchi. Elle a collaboré avec d'autres forces de la société civile, come la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, le Conseil de l'Ordre des avocats…La constitution a été suspendue, le RCD dissous, la Chambre des députés ainsi que la Chambre des Conseillers. Il fallait créer de nouvelles institutions et former un gouvernement provisoire. L'UGTT a eu cinq représentants dans la Haute Instance de Sauvegarde des Objectifs de la Révolution, présidée par Yadh Ben Achour. Malgré les critiques cette commission a réussi dans sa mission avec l'organisation des élections du 23 octobre. Le gouvernement actuel, issu de ces élections, achèvera sa mission avec la rédaction de la nouvelle Constitution. D'ailleurs l'UGTT a présenté au congrès de Tabarka, son projet de Constitution élaboré par des experts avec la participation de la société civile. « Ce projet est considéré comme un des quatre véritables projets de constitution proposés à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) », dit non sans fierté Houcine Abbassi, en ajoutant que « l'UGTT joue toujours un rôle modérateur et d'équilibre, même si aucun de ses membres ne siège à la Constituante ». C'est le cas du 1er article de la Constitution de 1959 lequel défend bec et ongles l'UGTT. « D'autres articles peuvent soulever des polémiques. Les constituants peuvent s'inspirer du projet de l'UGTT pour les dépasser », dit-il. Le secrétaire général, précise qu'une centaine de constitutions avaient été consultées avant de rédiger le projet de l'UGTT. Les problèmes économiques et sociaux ont été évoqués dans certains articles. Après la rédaction de la Constitution, certaines lois concernant le travail doivent être révisées. « Le succès de l'UGTT permettra de réussir la prochaine étape après 2013. La Tunisie sera un modèle pour les autres pays arabes », dit-il, tout en rappelant que le dernier congrès de l'UGTT avait voté une motion chargeant la nouvelle direction de protéger les objectifs de la Révolution. La situation est délicate. Avec tout le sérieux, les syndicalistes joueront un rôle d'équilibre. Le secrétaire général de l'UGTT, rappellera à ses amis italiens et européens, qu'il faudra protéger les émigrés « et construire une coalition afin que personne ne puisse exploiter les travailleurs tunisiens». Nouri Toumi, de l'UGTT de l'Ariana, fera un exposé chiffré sur la situation économique et sociale du pays en 2010 et 2011 et recommande au pouvoir « de lancer des signaux et des garanties au peuple. L'UGTT continuera à jouer un rôle de locomotive de la société civile ».