Le Pouvoir n'est pas seulement une épreuve, mais c'est aussi une drogue qui donne l'illusion à son possesseur d'être indispensable et infaillible. D'où la peine et l'amertume agressive qu'il ressent à sa perte. Aujourd'hui, la Nahdha s'y accroche, comme tous ceux qui l'ont précédé, quoi de plus légitime, mais en oubliant l'essentiel : Son «contrat social» et moral avec les Tunisiennes et les Tunisiens qui ont fait la Révolution du «Jasmin». Ce contrat prescrivait absolument la construction d'un système démocratique irréversible pour la Tunisie, parce qu'ayant expérimenté toutes les formes de l'autoritarisme à travers le « Parti-Etat », le charisme des dirigeants et la personnalisation à l'extrême du pouvoir, l'étouffement des libertés, la « jeunesse » de notre peuple et pas seulement par l'âge, en a ras-le-bol de tout ce qui peut la ramener de nouveau à la dictature. Tous les pouvoirs qui ont précédé la Révolution de janvier 2011 ont usé d'une certaine contrainte « acceptée » et tolérée pour justifier la construction de l'Etat national moderne unitaire, la mobilisation des énergies et des moyens potentiels de la Nation pour bâtir une économie en développement, arracher le peuple à l'analphabétisme, à la pauvreté extrême et au déficit sanitaire. Toutes ces périodes de gouvernements successifs de Bourguiba à Ben Ali, ont connu à des degrés divers, le népotisme, le régionalisme et l'enrichissement illégitimes. Mais, on a fait avec, en voyant quand même l'édification de ce nouvel Etat décolonisé où les barrages poussent comme des champignons, ainsi que les écoles, les lycées, les universités et les hôpitaux. Personne ne peut nier les « boums » touristiques et industriels. La Tunisie à plus d'un niveau est devenue « exportateur » de biens et de service. Mais tous ces élans ont été handicapés par un déficit majeur : le sous-développement politique. Seule la Chine de par le monde, a pu réussir le « miracle » d'être un gouvernement autoritaire et despotique, régi par le système du « Parti-Etat » et de réussir une sorte de sur-développement économique et financier… et encore jusqu'à quand ! Mais la Chine n'est pas la Tunisie. Elle dispose d'un milliard trois cent millions de personnes formées à la discipline du travail et de la production avec le perfectionnisme qui caractérise les populations asiatiques depuis l'antiquité. Elle a aussi profité largement du libéralisme économique mondial, l'ouverture des marchés occidentaux surtout américains et européens, à sa production avec des charges sociales presque insignifiantes et par conséquent une plus-value considérable. La Tunisie n'a pas cette dimension et son environnement proche c'est l'Europe, alors que la Chine est engouffrée en Asie et adossée à la Russie, dont le développement politique est bien limité, rien qu'à voir les contestations et la problématique des dernières élections dans le pays des Tsars. La Nahdha qui a été portée au pouvoir par la démocratie naissante en Tunisie doit faire très attention pour ne pas tuer la « poule » aux œufs d'or et mordre la main des électeurs qui lui ont donné leurs voix ! Tous les indices montrent à quel point ce mouvement est tenté par un nouveau contrôle de la vie publique. Nous avons parlé des ratages « religieux » et des dérives institutionnelles, quelqu'un peut-il nous dire pourquoi M. Kamel Jendoubi et sa commission indépenante pour les élections ont été « frigorifiés », si ce n'est pour nous servir à nouveau une « commission maison » et nous assommer à nouveau par des élections à venir tout à fait « démocratiques et transparentes » (sic) directement « fabriquées » aux normes des recettes du passé ! Les cadres de la Nahdha en savent quelque chsoe, eux qui ont été illégitimement écartés du pouvoir en 1979, puis en 1989, par une manipulation grotesque des élections par le pouvoir destourien et bénaliste. Laisser traîner en longueur les travaux de la Constituante, où personne ne semble pressé de rédiger une Constitution bloquée depuis six mois à l'article 1 de son corpus, voilà qui pose bien des questions quant à la volonté réelle des dirigeants actuels. Pour notre part nous avons le sentiment et nous espérons nous tromper, que le projet démocratique en Tunisie est en train de s'émousser pour ne pas dire se voir reléguer, au statut de «projet non prioritaire ». Seule la résistance pacifique, jusque là admirable, de la société civile et démocratique permet de maintenir le projet en « réanimation ». La presse libre est bel et bien menacée, les acquis de la femme le sont aussi, et idem pour le modèle de société qui a fait que la Tunisie a toujours été cette synthèse heureuse entre l'Occident libéral et progressiste et l'Orient conservateur et identitaire traditionnel, une osmose parfaite entre Sadiki et la Zitouna. Malgré tout cela nous demeurons optimistes et attendons un véritable sursaut de vérité et d'orgueil de la Nahdha, pour revenir aux sources identitaires de son âme : Le réformisme de la Nahdha historique, celle de Kheïreddine Pacha, du Cheikh Mohamed Abdou, de Beyram V, de Tahar et Fadhel Ben Achour etc… Dans son maître livre « Aqwam Al masalik fi maârifati ahwal al mamalek » (les meilleures voies pour connaître l'état des nations), Kheïreddine recommandait de construire les systèmes arabo-musulmans sur les bases de la liberté et de la justice et surtout de prendre de l'Occident tout ce qui ne nuit pas à la Chariaâ islamique. Ennahdha a intérêt pour le présent et le futur à respecter son contrat moral avec les Tunisiens qui consiste à bâtir une véritable démocratie libérale, pluraliste et irréversible, qui empêche le retour de toute forme de totalitarisme. Elle trouvera aussi dans la pensée réformiste du 19ème et 20ème siècle, et ses propres références historiques, le lubrifiant adéquat pour rectifier le tir et éviter les revirements et les dérapages qui peuvent la discréditer auprès des masses populaires et des élites. Un seul et dernier conseil, bien marseillais : « Droit au but » vers la démocratie, et rien d'autre. Après tout, c'est grâce à la démocratie qu'elle est au sommet de l'Etat. « Wa dhakher fa inna Edhekra tenfaâou al Moumine » ! Dieu a dit vrai ! Prions pour qu'il fasse, que nous ne soyons jamais plus des « Martyrs… au Vivant » ! K.G