Dans le cadre du cinquième anniversaire de Bibliothèques Sans Frontière (BSF), une rencontre autour de la lecture et de l'écriture au temps des révolutions a eu lieu récemment à l'Institut du Monde Arabe à Paris. L'intitulé de la rencontre « Lire et écrire, c'est déjà être libre : bibliothèques et littérature dans les révolutions » a donné le ton aux discussions qui ont tourné autour des problèmes de censure, de violation des droits des créateurs, des bouleversements engendrés par les révolutions.
BSF a invité le poète Tahar Bekri, l'avocate et militante des droits humains Radhia Nasraoui et l'écrivain Lucien X. Polastron à dialoguer entre eux et avec le public autour des problématiques de la lecture, de l'écriture et de la violence.
L'organisation de cet événement est partie du fait que, lors de la révolution tunisienne de 2011, plus d'une quarantaine de bibliothèques avaient été incendiées et leurs fonds de livres totalement ou partiellement détruits. BSF, association à but non lucratif, s'est engagée avec Adiflor et Biblionef à reconstituer les fonds perdus. En quelques mois, ces associations sont parvenues à rassembler près de 40.000 ouvrages dont une partie a été acquise directement auprès de libraires tunisiens.
Lors du colloque, l'écrivain Lucien X. Polastron, auteur de « Livres en feu », a tracé l'histoire des bibliothèques et des livres avec le feu de la destruction. Il a notamment montré que, paradoxalement, chaque révolution depuis le XVe siècle s'était accompagnée de destructions de bibliothèques. 1000 châteaux brûlés avec leurs livres en France au XVIe siècle, six millions d'ouvrages perdus à jamais lors de la révolution de 1789,les livres anciens des Chinois lors de la révolution culturelle de Mao, la bibliothèque de l'Institut français du Caire en 2011 et les 40 bibliothèques tunisiennes brûlées dans un silence médiatique assourdissant, autant d'exemples que « le livre fait peur ». Il est à la fois « fragile et menaçant car, aux yeux des gens, il représente le pouvoir établi ».
Radhia Nasraoui a rappelé les combats menés par les créateurs, le rôle de la censure dans le système de répression des libertés du temps de Bourguiba , et surtout de Ben Ali, le nombre de procès intentés aux gens de la plume, les dizaines de clubs culturels fermés et les livres passés au pilon « pour que le nom de l'auteur soit effacé ».
Le poète Tahar Bekri est parti dune parole de Jean Guéhenno, « un livre est un outil de liberté », pour développer l'idée que le monde arabo-musulman a été grand quand ses écrivains et ses intellectuels avaient droit de cité. Il a rappelé que « sous les Abbassides, aux IXe- Xe siècles, on échangeait 1000 prisonniers contre un manuscrit », que la bibliothèque était un trésor (« khizana »). « Dans cet Orient tyrannique, despote, ce sont les intellectuels, les copistes, les scribes qui ont sauvé notre mémoire », a-t-il martelé. Aujourd'hui, « dans Tombouctou, lieu du savoir humain, les islamistes brûlent les livres », a-t-il ajouté. Il a rappelé le fait, par rapport à la révolution, que « la résistance intellectuelle qui précède les événements historiques est importante. En Union soviétique, au Chili, à Baghdâd, partout la pensée a été menacée ». Pour lui, « les écrivains ont écrit l'hiver arabe avant le printemps arabe ». Se disant « écrivain citoyen », Tahar Bekri termine, en reprenant Ismail Kadaré, sur un ton aigre doux : « Ceux qui étaient médiocres sous la dictature le resteront après ».
Le colloque de BSF clôture une opération associative qui a démarré par la collecte de livres pour les bibliothèques de l'Ariana, de Medjez El Bab, de Dar Chaabane et de Kasserine et qui continue, dans les semaines et mois à venir, en Tunisie en vue de mettre en place, en coopération avec la Direction des bibliothèques au sein du ministère de la Culture, d'un centre de lecture et de recherche sur la littérature jeunesse au Maghreb.
Bibliothèques Sans Frontières est une association française de bénévoles qui travaille, dans une vingtaine de pays dans le monde, au développement culturel et social par le livre. De notre correspondant permanent à Paris