Le cinéaste tchadien Mohamed Salah Haroun, primé au festival de Cannes 2010 avec « L'homme qui crie », écrit dans un article toute sa déception de voir disparaître le Fonds Sud d'aide aux films d'Afrique, Amérique latine, Asie et certains pays d'Europe de l'Est et son remplacement par l'Aide aux cinémas du monde, qui n'est autre qu'une fusion du Fonds Sud et de l'Aide aux films en langue étrangère. Auparavant, chacun des deux fonds avait sa propre spécificité : le Fonds Sud était destiné au soutien des cinématographies des pays du Sud et l'Aide aux films en langue étrangère était, elle, axée sur les films européens. A la place du Fonds Sud, qui était une aide destinée aux auteurs et à la création cinématographique, un nouveau dispositif "dédié à la coproduction internationale" est désormais mis en place. Ce qui constitue un virage inédit dans la politique française d'aide au développement des cinémas du monde.
Le soutien des films ne concerne plus seulement les cinématographies des pays émergents mais tous les cinémas du monde. Mohamed Salah Haroun s'inquiète à juste titre sur la place qui sera accordée aux cinématographies du Sud dans cette nouvelle configuration. Car, selon les textes, les bénéficiaires de cette aide peuvent avoir droit à un montant équivalent à 50% ou 80%, selon les cas, de la part française. Autrement dit, plus un projet a un apport français important (part du producteur français, minimum garanti distributeur et vendeur, télévision française, etc.), plus l'aide accordée sera importante.
En revanche, concernant les petites productions, dont la part française est faible, elles seront pénalisées. Or, le Fonds Sud octroyait des subventions sans tenir compte de la part française. Il était même considéré par de nombreux professionnels comme un label de qualité permettant d'accéder à d'autres sources de financement. Avec l'Aide aux cinémas du monde, on privilégie désormais les projets dont l'apport français est important. C'est en quelque sorte une prime aux films bien financés. Or, c'est connu, dans leur très grande majorité, les films du Sud n'ont pas de minimum garanti distributeur et vendeur en France, ils ne bénéficient que très rarement, voire pas du tout, du soutien d'une télévision française.
En conséquence, la petite part accordée par le coproducteur français ne leur rapportera que des miettes. « Il est évident que ce nouveau dispositif dessine en creux la fin de l'épanouissement des voix singulières, audacieuses venues des pays du Sud, la fin d'une forme d'équité » estime le cinéaste. La plupart des projets du Sud auront un apport moins important que les films du Nord, déjà largement soutenus dans leurs pays respectifs ou par les fonds européens.
Par ailleurs, les projets des cinéastes du Sud notamment africains ne supportent pas la concurrence. Ils seront toujours devancés par des scénarios mieux élaborés même s'ils sont proposés par des réalisateurs appartenant à la même confrérie, celle du cinéma du Sud. Il assez regrettable de voir disparaître le fonds Sud qui existe depuis plus de 25 ans et qui a permis de révéler ou d'accompagner des auteurs originaires de pays dont les cinématographies nationales sont fragiles, voire inexistantes.
Des auteurs dont certains sont devenus des voix majeures dans leur pays et dans le monde à l'instar de Souleymane Cissé, Rithy Panh, Lucrecia Martel, Apichatpong Weerasethakul, Aida Beijic, Merzak Allouache, Pablo Trapero, Moufida Tlatli... Cette année, sept films, financés par ce Fonds, étaient présentés à Cannes dont « Post Tenebras Lux » de Carlos Reygadas. Au total, plus de 500 films ont été soutenus par ce dispositif qui a largement contribué au rayonnement de la France à l'étranger.
Mohamed Salah Haroun propose de réexaminer ce nouveau dispositif et d'y injecter un peu plus de justice et d'équité en tenant compte de la réalité cinématographique de l'ensemble des pays auxquels ce soutien est destiné notamment les pays dont les cinématographies fragiles sont vouées à la disparition. Une idée à recreuser avec sagesse et bon sens.