Nolens, volens, l'ANC approuvera la nomination de Chedly Ayari parce que la géostratégie au sein de l'hémicycle est basée sur le compromis. C'est l'évidence même. Et le compromis a voulu que Nabli soit sacrifié sur l'autel du ridicule, transaction pour calmer la fureur d'un Marzouki se sentant trahi par Jebali – et surtout non informé – quant à l'affaire Baghdadi Mahmoudi. Sauf que l'homme qui prendra vraisemblablement la place de Nabli – que les hautes sphères de la finance regretteront – Chedly Ayari, précisément, n'est pas n'importe qui. Grand docteur en économie, professeur émérite, Chedly Ayari aura formé des générations d'économistes ayant occupé sous Bourguiba les centres névralgiques de l'administration tunisienne. Sur ce plan il aura été – avec Hédi Nouira – un architecte décisif de ce qu'est devenue la fameuse archéologie des technocrates tunisiens. Son empreinte fortement estampée jusqu'à ce jour sur la genèse et la mise en forme de la BAD lui confère par ailleurs une stature continentale et internationale. Bien sûr, on s'est empressé de lui sortir un certain ralliement à Ben Ali comme membre de la Chambre des Conseillers. Mais encore une fois : qui ne s'est pas rallié ? L'opposition toutes tendances confondues – et même Ennahdha - a, à un certain moment composé avec lui, peut-être aussi parce qu'il a su illusionner tout le monde... Sauf que la nomination – donnée pour acquise – de Chedly Ayari met fin à la marginalisation des compétences affirmées et intègres ayant servi le pays à l'ère Ben Ali. La Troïka met, donc, fin au délire redempteur, conjure le syndrome Rcédiste, et s'avise d'en finir avec la comédie burlesque de la chasse aux sorcières. Et c'est dans cet esprit qu'Ennahdha, moteur de la Troïka, s'ouvre sur l'environnement des libéraux, des technocrates et s'apprête (après avoir, ratissé large dans l'administration), de tendre la main aux autres forces centristes et contribuera elle-même à la bipolarisation de la vie politique... Après la « victoire confortable » qu'elle est sûre de remporter aux prochaines élections, bien sûr...