Alors que Magic Mike, son vingt-huitième film en vingt-huit ans de carrière, est sorti sur les écrans mercredi 15 août 2012, le réalisateur américain Steven Soderberghannonce qu'il veut arrêter le cinéma. « Là, j'ai besoin de tout détruire et de tout recommencer à zéro. Je voudrais réinventer le langage du cinéma. Trouver une nouvelle narration. Le langage de base du cinéma n'a pas changé depuis des années. Il faut faire un reboot. », a-t-il ainsi expliqué au Nouvel Obs.
Promesse d'ivrogne, évidemment, qu'il a déjà faite par le passé à plusieurs reprises. Sa filmographie foisonnante embrasse tous les genres (SF, polar, action, film historique), expérimente tous les formats (caméscope pourri, HD dernier cri, 35 mm), part dans toutes les directions, du film tourné en trois jours avec un budget riquiqui et des acteurs inconnus (Bubble) au blockbuster doté d'un casting cinq étoiles (Ocean's Eleven et ses suites).
Toujours à l'affût de nouvelles technologies, de nouvelles formes, de nouvelles histoires, Soderbergh tourne plus vite que son ombre et sa filmographie s'en ressent un peu. Pour y voir plus clair, et se souvenir des belles choses, voici nos cinq films préférés. Un choix forcément très subjectif, qui fait l'impasse sur pas mal de films ambitieux (Traffic, Che), qui nous plaisent moins que certains jugés mineurs. A vous de corriger le tir.
1- L'Anglais (1999)
Avec Terence Stamp, Peter Fonda, Lesley Ann Warren.
On est tout de suite certain que Wilson, cet Anglais débarqué à Los Angeles, va venger la mort de sa fille et qu'il ne lui arrivera rien de fâcheux. Les scènes d'action sont traitées avec une nonchalance qui leur donne un goût de bonne vieille série. Comment Wilson va-t-il s'y prendre ? Qui va l'aider ? Soderbergh va même jusqu'à dégoter un passé à son personnage... dans un vieux film de Ken Loach (Pas de larmes pour Joy).
Astuce de cinéaste, ces flash-back d'emprunt sont aussi l'hommage d'un cinéphile à son acteur, Terence Stamp. Autre riche idée, confronter Terence à une autre figure des années 60 : Peter Fonda, hâle doré, sourire gingival. Alors chacun parle de soi, de sa génération, d'une même voix grave et fêlée.
2- Sexe, mensonges et vidéo (1989)
Avec James Spader, Andie MacDowell, Peter Gallagher, Laura San Giacomo.
Ann Melaney ne supporte pas qu'on la touche. Son mari, John, se console en la trompant avec sa sœur, aussi délurée qu'Ann est coincée. La venue d'un ami de John bouscule cette organisation affective. Lunaire et introverti, Graham Dalton n'a qu'une seule activité : il enregistre au Caméscope les confessions sexuelles des femmes qu'il rencontre.
Une Palme d'or, grandement méritée, vint récompenser ce premier film délicat et intimiste. Un inconnu de 26 ans, Steven Soderbergh tourna cette « auto-analyse sauvage » en très peu de temps, chez lui, en Louisiane. Fort de son expérience d'amoureux volage puis engourdi, il signe un bouleversant traité sur l'introspection et l'incommunicabilité.
Les images reflètent ce cloisonnement intérieur : ces autistes de l'amour continuent de parler quand ils ont disparu de l'écran, inconscients de mener des vies parallèles. Steven Soderbergh croit en l'image rédemptrice, au point d'adopter la vidéo comme cinquième personnage, révélateur des faiblesses humaines. Son film est unique, inclassable, génial.
3- Hors d'atteinte (1998)
Avec George Clooney, Jennifer Lopez, Ving Rhames.
C'est tout de même humiliant pour un officier de police (Jennifer Lopez, craquante) de se retrouver dans le coffre d'une voiture, sans arme ni badge, serrée contre un mauvais garçon. Pas vilain du tout. Flirteur juste ce qu'il faut. Et visiblement troublé d'être pour la première fois de sa vie troublé par un flic...
Fidèle à l'univers du romancier Elmore Leonard, Soderbergh s'est visiblement amusé. Au tout début, on voit George Clooney (le charme même) arracher rageusement sa cravate, puis perpétrer un hold-up qui finira mal. Mais pourquoi diable a-t-il ainsi arraché sa cravate, se demande-t-on ? On ne le saura qu'une heure et demie plus tard, lorsque se seront assemblés tous les indices que Soderbergh sème avec une intelligence joueuse.
4- Erin Brockovich, seule contre tous (2000)
Avec Julia Roberts, Albert Finney, Aaron Eckart.
Elle n'a rien, pas de travail, trois enfants et pas de mari. Mais Erin Brockovich est une battante et elle va faire triompher la vérité et la justice en débusquant une affaire d'eau empoisonnée. Histoire vraie : la véritable Erin Brockovich a bel et bien combattu les salauds en talons aiguilles et décolleté pigeonnant.
Steven Soderbergh a fait mieux qu'un film-dossier. Sa mise en scène est d'une élégance enlevée, d'une légèreté piquante. Elle repose sur les qualités de son interprète, Julia Roberts (oscar pour elle). A aucun moment, Soderbergh ne cherche ni à démythifier Erin, ni à la sublimer. Son regard est juste.
5- Solaris (2002)
Avec George Clooney, Natascha McElhone, Jeremy Davies, Viola Davis.
En adaptant ce classique, Soderbergh fait à peine de la science-fiction et encore moins un remake du chef-d'œuvre, aujourd'hui « canonisé », que Tarkovski en avait tiré il y a trente-cinq ans. Il est allé, en fait, au bout d'une vision très personnelle, qui peut dérouter les amateurs de périples bien balisés.
Le cinéaste fait le vide dans l'œuvre originale, met un terme à toutes les discussions scientifiques, effleure à peine les interrogations sur les limites du savoir humain et une éventuelle intelligence extraterrestre. Et il déporte toute l'action sur cette voie unique : la love story passée, présente et future du Dr Kelvin et de sa femme qui s'est suicidée dix ans plus tôt.
Aucune accélération intempestive de l'action, coups de théâtre rares : tout le film, mis en scène avec une élégance millimétrée, tend vers une épure à la fois dramatique et visuelle. Et repose sur la présence de George Clooney.