Les conséquences de ces fameuses élections libres du 23 Octobre 2011 ont été d'abord l'élection d'une Assemblée Constituante de 217 élus en charge de rédiger une constitution dans l'année qui suit puis dans la foulée de la formation d'un gouvernement provisoire. Néanmoins, l'analyse de ces deux conséquences démontrera un manque flagrant soit de compétences soit de moyens.
Qui aurait cru il y a un an à tant de désillusions et a tant de tristesse ? Rares sont ceux qui avaient vu venir une si grande crise émotionnelle. Car c'est bel et bien une crise émotionnelle que traverse aujourd'hui la Tunisie dont tous les espoirs ont été réduits à néant et qui perd tous les jours un peu plus de confiance en ses dirigeants.
Depuis quelques jours, le palais du Bardo, qui abrite les travaux de l'Assemblée Constituante, est entouré de barbelés, ce qui ne rajoute aucune forme d'espoir pour le peuple. Une image plus que négative qui renvoie un bilan encore plus négatif de la situation. Depuis le 23 Octobre, les 217 députés amorcent symboliquement l'examen en séance publique de la constitution. C'est l'occasion de revenir sur les raisons du retard de la rédaction de la Constitution en échafaudant quelques questions afin d'y voir plus clair...
La Constitution tunisienne est prévue pour 2013 ...
La Constitution tunisienne dont on parle depuis plus d'un an maintenant peine à être rédigée. Elle devait initialement être fin prête pour le 23 Octobre dixit Foued Mbazaa qui avait selon le JORT n°59 du 9 août 2011 page 1432 signé ce décret stipulant (article 6) que « l'ANC doit préparer la constitution dans un délai maximum d'un an après son élection ». Ceci étant dit, lors de la rédaction de la mini-constitution les élus ont vite fait de changer cet état de fait...
Habib Kheder, rapporteur général de la Constitution confirme ce que tout le monde savait déjà, c'est à dire : que la Constitution ne sera pas prête pour le 23 Octobre, rien de surprenant en soi. Il a néanmoins, repoussé la dead-line à Avril 2013. Ce sera donc en 2013, soit plus de deux ans après le départ de Ben Ali, que la Tunisie aura une Constitution. Il ne faut néanmoins pas se réjouir trop vite, il faut encore que le brouillon actuellement étudié, soit viable. En effet, il faudra corriger les erreurs juridiques, les contresens, les parallèles audacieux, les confusions, les approximations et autres surprises du même genre. La Constitution rédigée, reste encore un horizon très lointain. La Constitution tunisienne ne sera probablement pas prête dans les temps, une fois de plus.
A la date anniversaire du 23 Octobre, beaucoup ont été déçus du manque d'implication de la société civile et des politiques dans la dénonciation du retard accumulé par l'Assemblée Constituante. Effectivement, mise à part une manifestation devant le Palais du Bardo et un boycott somme toute pas sensationnel des élus de l'opposition lors de la tenue d'une séance plénière extraordinaire, rien de notable n'a été entrepris. Le boycott de l'Assemblée Constituante par l'opposition, outre le fait que ce n'est pas époustouflant, c'est même un peu léger. Pour des personnes qui revendiquent le droit et les promesses, une démission des élus aurait été logique. Une démission n'aurait certes, pas été souhaitable pour le pays, mais il n'en reste pas moins que le comportement des élus parait un peu faible. On comprendra par là, qu'ils ne démissionnent pas parce qu'ils veulent finir la Constitution, attitude somme toute louable, mais ô combien simpliste. En ce qui concerne la Troika, elle a tout de même essayé de “célébrer" ce 23 Octobre et d'en faire une sorte de fête nationale. Bilan des courses : un jour bien triste pour la Tunisie.
Comment ce retard s'explique-t-il ?
Que faut-il déduire de la non-existence aujourd'hui de cette constitution ? Est-ce que la Constituante s'est égarée ? Est-ce que ce sont les députés qui n'ont pas été assez assidus en terme de présence lors des plénières ? Est ce le gouvernement qui à travers divers événements a détourné l'Assemblée Constituante de sa mission principale ? Toutes les questions sont nécessaires afin de permettre au citoyen de se forger sa propre opinion.
Néanmoins, des éléments de réponses aident à se créer un avis.
Ainsi, la principale raison serait l'accumulation des tâches. L'assemblée constituante a trois fonctions : rédiger la constitution, légiférer et “contrôler le gouvernement" (même si on ne sait plus vraiment qui contrôle l'autre...). Ces diverses fonctions se font de l'ombre et empêchent la concentration des efforts des élus dans la seule rédaction de cette Constitution.
Autre point à souligner, celui de la hausse des salaires, qui ont pratiquement doublé. Est ce que cette hausse pourrait être une des raisons du retard ? Est ce que les élus aimeraient garder leurs postes coûte que coûte ? Une question qui dérange, certes, mais qui mérite d'être posée.
Quoi qu'il en soit, le manque de compétences et d'organisation qui règne au sein de l'assemblée constituante est navrant. “La Constitution se rédige dans une jungle" explique un des députés qui préfère garder l'anonymat. En effet, il n'y a pas de feuille de route claire, ni de moyens mis à la disposition des élus pour gérer leurs travaux, pour avoir un feedback, une sorte de résumé des dernières séances.
Même si ce retard, peut être expliqué de mille et une façons, il n'en reste pas moins que c'est le pays qui paye l'addition.
A qui la faute ?
Est ce que la responsabilité de ce retard et des comportements parfois très inappropriés auxquels on a pu assister toute l'année peuvent être mis sur le dos de Mustapha Ben Jaafer ? Encore une question qui se pose.
C'est bien ce monsieur qui a pris la décision de “doubler" les salaires (décision rendue publique le 3 août 2012) et c'est encore lui à qui incombe la responsabilité de la finalité des travaux de la Constituante. Ainsi, Mustapha Ben Jaafer doit rendre des comptes au peuple pour ce retard et pour cette piètre organisation.
Sa décision de rejoindre la Troika a t-elle détruit sa personne et ses valeurs ? Les a-t-il bradées lors des séances plénières où il n'a pas toujours donné la parole à celui qui la demandait, et s'est égaré parfois dans un relan d'autoritarisme ? A-t-il commis des erreurs de jugements ? Certainement, mais quel homme ne fait pas d'erreur ?
Dans le cas de Mustapha Ben Jaafer, les erreurs sont néanmoins vraiment grossières et trop encombrantes pour être oubliées. L'on se souvient parfaitement de l'affaire de Mustapha Kamel Nabli, remplacé par Chedly Ayari par un décret antidaté. Cette faute (une parmi tant d'autres) peut être désignée comme majeure et impardonnable.
Tout cela permet de tenir Mustapha Ben Jaafer en partie responsable des maux certains de l'ensemble de l'Assemblée Constituante.