Nida Tounès dans le collimateur Un projet de loi organique ayant la prétention de « protéger la Révolution » a été soumis vendredi, à la présidence de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) pour examen et débat en plénière. Les groupes Ennahdha, Wafa, Congrès pour la République (CPR), la Dignité et la Liberté ainsi que certains indépendants ont été à l'origine de ce projet. Ce projet tient à exclure tous ceux qui ont occupé un poste gouvernemental sous le régime de Ben Ali, adhéré aux instances de l'ex- Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), ou ont été candidats de ce parti à la Chambre des députés, ou avaient appelé à la réélection de Ben Ali en 2014, des prochaines élections, tout en leur interdisant d'occuper des postes aux prochains gouvernements, de diriger un parti politique... durant 10 ans. Les anciens membres de la Chambre des Conseillers nommés par Ben Ali sont exemptés de cette interdiction. Le Temps a recueilli les réactions d'Ennahdha, Ettaktol, Nida Tounès, le Parti Républicain, le Parti des Patriotes Démocrates Unifié, d'Al-Massar et de Slaheddine Jourchi, militant des Droits de l'Homme. Les réactions de l'opposition ont été très virulentes dégageant, un mélange de colère et d'indignation. Une position qui n'est pas loin de celle des militants des Droits de l'Homme.
Néjib Gharbi : «Il est nécessaire d'immuniser la Révolution contre ceux qui veulent la détourner»
Chargé de l'information à Ennahdha, Néjib Gharbi dément que le projet de loi soit dirigé contre un parti donné. Il précise « la préparation de ce projet de loi de protection de la Révolution a commencé avant que l'idée de création du ‘parti Nida Tounès' qui est un recyclage des résidus du RCD et de la Gauche éradicatrice, intruse dans les instances de l'Etat. Nous disons à tous ceux qui affirment que cette loi est dirigée contre l'action d'un parti donné d'aller consulter un psychiatre pour les guérir de la paranoïa. C'est une ruse qui ne passera pas. La Tunisie est un petit pays, sa population n'est pas assez nombreuse ce qui fait que les Tunisiens se connaissent profondément à travers tout le territoire. Rien ne prouve ni suppose que la loi soit dirigée contre un parti bien déterminé. Des personnes ont commis des crimes et ont abusé de la volonté du peuple. Une révolution a bien eu lieu. Il est de son droit de demander des comptes aux corrompus et de se protéger. Comme le questionnement peut prendre beaucoup de temps, il est nécessaire d'immuniser la Révolution contre ceux qui veulent la détourner ».
Mohamed Bennour : « Il faut rompre avec le passé »
Porte-parole d'Ettakattol, Mohamed Bennour avance que « ceux qui ont participé au pouvoir de Ben Ali assume la responsabilité de ses choix. C'est-ce qui a engendré l'émergence ravageuse de la Révolution. Il faut rompre avec le passé ». Quant à la durée de l'interdiction 5 ou 10 ans, Mohamed Bennour, dit qu'elle n'est pas encore tranchée. Il ajoute « ce sont des personnes qui ont participé à la torture et ont participé d'une façon ou d'une autre par leur exaction à l'effondrement de l'Etat et du régime. Il y a ceux qui ont fauté et ceux qui les ont soutenus. Ils doivent être mis à l'écart durant une période donnée ».
Slaheddine Jourchi : «Je suis très réservé et craintif»
Militant des Droits de l'Homme, Slaheddine Jourchi est très réservé et ne cache pas ses craintes. Il déclare au Temps : « en tant que militant des Droits humains, je suis très réservé et craintif devant ce projet de loi. Je crains que les objectifs politiques qui sont derrière cet appel mènent à donner une image encore plus négative de la Tunisie postrévolutionnaire dans les milieux des défenseurs des Droits de l'Homme dans le monde. Le problème ne consiste pas à empêcher le retour aux postes de décision de ceux qui ont commis des crimes contre le peuple. La gravité ou la complexité du problème se situe à deux autres niveaux. Premièrement dans la généralisation. Toute généralisation mène à l'amalgame entre ceux qui ont fauté et les autres même si les auteurs du projet ont essayé de préciser les parties concernées. Ceci ne pourra éviter la punition collective. C'est une logique, en dépit de son aspect révolutionnaire, qui mène à la fin, le pays et la transition démocratique dans les eaux stagnantes des règlements de compte. La deuxième source de crainte est en rapport avec le contexte général dans lequel ce projet est présenté. La précipitation est liée à la création du parti Nida Tounès. C'est un parti avec lequel on peut diverger sur plusieurs points, mais en fin de compte, c'est un parti politique reconnu qui agit dans le cadre de la loi, sans recourir à la violence. Il peut intégrer des éléments qui ont appartenu à l'ancien parti au pouvoir. Ce n'est pas une raison pour essayer de le soumettre à un marquage individuel (Mouhassara), à travers ce projet de loi, d'autant plus que d'anciens Rcdistes s'activent dans d'autres partis y compris ceux qui sont au pouvoir. Le projet de loi n'est pas en dehors du contexte général. C'est ce qui alimente les peurs et les oppositions des militants des Droits de l'Homme. Je répète que la rupture avec l'étape passée est une revendication demandée et nécessaire. Elle doit se faire dans le cadre de la transparence politique, le respect des libertés et des Droits de l'Homme sinon, la période transitoire sera encore plus difficile. Cela peut amener le pays dans la logique de l'éradication qui s'oppose de façon claire au régime démocratique que nous voulons instituer et qui se fonde sur l'arbitrage de la volonté populaire ».
Ridha Belhaj : « Une initiative qui fera beaucoup de mal à ses initiateurs et au pays»
Directeur exécutif du parti Nida Tounès, vers lequel les regards sont braqués, Ridha Belhaj parle de panique auprès des auteurs du projet. Il dit au Temps : « Au début c'était un projet d'ajout d'un paragraphe dans la loi sur les partis. Puis la stratégie a changé, suite à la panique constatée chez les initiateurs du projet. Ce projet touche plusieurs lois comme la loi électorale, la loi des partis... C'est un projet illégitime et illégal. Il pervertit l'Assemblée Nationale Constituante en un tribunal. C'est l'anarchie générale qui rappelle les tribunaux populaires. Ils ont senti le danger lorsqu'ils ont vu la réaction des citoyens qui ont commencé à faire des comparaisons entre les transitions démocratiques. Les initiateurs du projet ont eu une réaction rapide et intempestive, lorsqu'ils se sont sentis isolés. Ils ont vu que Nida Tounès prenait de l'ampleur. C'est une initiative qui fera beaucoup de mal à ses initiateurs et au pays ».
Issam Chebbi : « Ils n'ont pas rompu avec l'ancienne mentalité de Ben Ali »
Porte-parole du Parti Républicain, Issam Chebbi s'étonne de la présentation de ce projet. « Au moment où nous avons cru que le projet de Justice transitionnelle avait trouvé son chemin à la Constituante, pour tourner la page du passé de façon transparente et légale en garantissant les droits de tous, nous avons été surpris par Ennahdha et ses alliés. Ils nous proposent une loi qui au nom de la protection de la Révolution instaure la punition collective. C'est une carte utilisée pour se débarasser de certains adversaires politiques en jouant sur la corde sensible des citoyens qu'ils avaient exploitée lors des dernières élections pour arriver au pouvoir. Non à la punition collective et à l'exclusion, sauf à travers une justice équitable. Le criminel doit être jugé individuellement. Quant aux règlements de compte politiques, ils doivent se faire à travers les urnes. J'ai vu les 11 articles du projet proposé. Toutes les responsabilités centrales, régionales et locales du RCD depuis 1989 ont été citées tout en omettant de façon insidieuse et sciemment les membres de la Chambre des Conseillers désignés par Ben Ali. Ceci révèle une vérité. Ennahdha avait présenté la candidature d'un ancien membre de la Chambre des Conseillers au poste de Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie. Elle doit reconnaître qu'elle s'est trompée. Elle agit de façon sélective avec le passé en l'instrumentalisant politiquement. Ils n'ont pas rompu avec l'ancienne mentalité de Ben Ali qui utilisait les lois pour éliminer ses adversaires politiques ».
Abdejlil Bédoui : « Une volonté d'exclusion pour garantir à l'avance les résultats des prochaines élections »
Vice-président de la Voie Démocratique et Sociale, plus connue sous le nom Al-Massar, Abdejlil Bédoui, se dresse contre l'exclusion. Il dit « on ne peut parler de transition démocratique basée sur l'exclusion. La transition doit se faire par l'intégration du maximum de personnes. Il revient à la justice de demander des comptes à ceux qui ont fauté. L'exclusion ne doit pas être collective ou à travers une position politique. Elle doit se faire par le biais de la loi de façon individuelle par les tribunaux. C'est très grave sur le plan politique. Ennahdha, à l'instar de Ben Ali choisit ses adversaires ainsi que ses alliés. C'est là une volonté d'exclusion pour garantir à l'avance les résultats des prochaines élections. C'est une démarche dangereuse qui ne présage de rien de bon concernant la vie politique, les libertés individuelles et collectives, la transition démocratique et les prochaines échéances électorales ».
Chokri Belaïd : « Ce projet vise à protéger les manœuvres et la stratégie d'Ennahdha pour les prochaines élections »
Secrétaire général du Parti des Patriotes Démocrates Unifié, Chokri Belaïd, avance : « ce projet de loi a une arrière-pensée électorale. Son objectif est de se débarrasser d'adversaires et se fonde sur le principe de la punition collective et l'éradication. Au parti des Patriotes Démocrates Unifié, nous le rejetons et considérons que le questionnement doit se faire à travers les tribunaux, sinon les personnes visées sont des citoyens tunisiens comme les autres. L'hypocrisie politique est claire dans ce projet puisque nous constatons que de nombreux symboles de l'ancien régime et des ex-Rcdistes, ont été désignés par le Gouvernement d'Ennahdha dans des postes sensibles dans le secteur de l'information et le cabinet du chef du Gouvernement. Ce projet de loi a été présenté au moment où Béchir Tekkari, un des sbires de Ben Ali a été libéré. Nous croyons que ce projet vise à protéger les manœuvres et la stratégie d'Ennahdha pour les prochaines élections. Il n'a rien à voir avec la Révolution car la Révolution s'immunise et se protège par la réalisation de ses objectifs et à leur tête le questionnement effectif de tous ceux qui ont commis des crimes contre le peuple, les grands symboles de la malversation, ceux qui ont détourné les fonds publics dont un bon nombre sont sous la protection d'Ennahdha ».