Les « Salafistes » et les milices sont les composantes logiques du parti dogmatique qu'est « Ennahdha » Notre invité de ce dimanche est un diplomate chevronné, le seul à avoir été le chef de la diplomatie tunisienne aux trois époques, celle se Bourguiba, celle de Ben Ali et celle de l'après 14 Janvier. Cet amalgame politique traduit une richesse, certes, mais jette, également, le flou sur l'homme qui a suscité une polémique suite à ses déclarations déniant la Révolution et sa rencontre avec l'ex ministre français des affaires étrangères qui a proposé les services de son gouvernement à Ben Ali pour réprimer le mouvement populaire. Ces attitudes jugées « hostiles » à la grande œuvre du 14 Janvier ont provoqué son départ, un départ réclamé par les fonctionnaires de son ministère qui ont observé un sit-in. Pour dissiper ce nuage qui enveloppe l'ancien diplomate, nous lui avons donné la parole. Alors, à lui de s'expliquer sur toutes ces questions controversées. -Le Temps : Comment se porte la diplomatie actuelle, d'après vous? -Ahmed Ounaies : elle est boiteuse et ne fait qu'accumuler les déboires. La dernière en date est celle des événements dramatiques de l'Ambassade des Etats Unis d'Amérique. Par cette attaque des « Salafistes » du symbole de leur souveraineté, « Ennahdha » a trahi les Américains qui ne leur pardonneront pas leur bourde, ce « sacrilège » commis sera lourd de conséquences. Les dégâts auraient été plus importants si Mr Marzouki n'avait pas envoyé la garde présidentielle à la rescousse. Toutefois, il n'a bronché que suite à la menace formulée par Hilary Clinton qui a lui fait comprendre qu'elle allait envoyer ses troupes stationnées à la base américaine de Sicile. Et c'était l'adjointe du secrétaire d'Etat aux affaires étrangères qui a, une semaine après, fourni au gouvernement les photos des auteurs de cette attaque. Cet épisode met au grand jour le manque d'expérience criant de « Ennahdha » dans la gestion des affaires de l'Etat. L'autre grande maladresse est celle relative à la manière dont cette dernière a négocié la question syrienne où les nouveaux responsables politiques auraient pu aider à faire aboutir les revendications démocratiques, pacifiquement, sans s'impliquer. Au lieu de cela, ils ont expulsé l'ambassadeur de ce pays frère, écarté certaines parties du soi-disant « congrès des amis de la Syrie » et misé sur les nations Unies pour résoudre ce conflit. Où étaient-elles pendant ces 45 ans où l'intérêt suprême du peuple syrien qu'elles prétendent défendre est mis en péril, je veux parler du « Golan » colonisé par Israël. Les choix de la politique étrangère manquent de pertinence, cette politique est à l'image de celle du gouvernement. La diplomatie actuelle connaît un fiasco total -Comment se présentent les priorités de la Révolution pour vous? -Les priorités, en ce moment, sont de deux ordres. En premier lieu, il faut faire aboutir les projets démocratiques de la Révolution. La Tunisie et le monde arabe, d'une façon générale, accusent un grand retard par rapport aux remparts de la démocratie. Le dernier rendez-vous avec celle-ci c'était à la chute du mur de Berlin, c'était-à-dire la chute des régimes totalitaires, date de l'inauguration de l'ère du libéralisme et de la démocratie. Cette vague n'a échoué sur nos plages que vingt ans après. C'est pourquoi la réussite de la Révolution, dans notre pays et dans les autres pays arabes, est une nécessité pour réaliser cette œuvre civilisationnelle d'autant plus que même l'Afrique a entamé une nouvelle époque de démocratie, nous devons rattraper notre retard. En second lieu, il est indispensable d'assurer les besoins économiques et sociaux, de réaliser l'essor dans ces deux domaines vitaux sans lesquels la Révolution n'aurait pas de sens. -Qu'est-ce qui a changé par rapport aux deux premiers gouvernements ? Avant le 14 Juillet, le régime de Ben Ali vivait de mensonges faisant croire à ses partenaires européens que la Tunisie était un paradis où régnaient la stabilité politique et l'épanouissement économique, alors que la réalité était autre, leurs consignes en matière de démocratie n'étaient pas observées par ce régime despotique. La Révolution était venue redorer le blason de notre pays qui aurait bien pu décoller s'il y avait une volonté politique sincère œuvrant dans ce sens. J'admets qu'au niveau social aucun gouvernement n'est capable de satisfaire toutes les revendications que je trouve exagérées et qui ont provoqué des dégâts, puisque près de 150 entreprises en import/export ont fermé leurs portes. Mais, sur le plan politique, il y a, certainement, beaucoup à faire. Seulement, le gouvernement de la »Troïka » a tout gelé, sa politique a créé beaucoup de problèmes avec les partenaires étrangers. Ses prédécesseurs, le gouvernement de Mohamed Ghannouchi et surtout celui de Essebsi ont obtenu le soutien financier des puissances et institutions étrangères telles que la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement(BERD), la Banque Européenne d'Investissement(BEI), la Banque Mondiale, le groupe des 8, les EU, la Chine et le Japon. « Ennahdha » n'a pas respecté ses promesses électorales pour rassurer ces dernières et les encourager à s'engager dans leur programme de soutien à notre pays. C'est la raison pour laquelle l'UE accepte d'accorder à son gouvernement le statut de partenaire privilégié et non pas celui de partenaire avancé qui requiert de vraies garanties en fait des droits de l'homme et de démocratie, conditions qui font défaut chez « Ennahdha ». -Qu'est-ce qui empêche « Ennahdha » de s'inscrire dans cette continuité ? « Ennahdha » veut mettre en place un Etat rentier à l'image de ce qui existe chez les bédouins qui, lorsqu'ils s'emparent des biens des tribus conquises, se partagent le butin. Elle ignore la définition de l'Etat, celle de l'économie, celle du processus historique des contradictions, c'est pourquoi elle refuse de libérer le journalisme et la magistrature et de respecter les libertés. Toutes ces valeurs ne pourraient germer que sur un terrain favorable à la culture des contradictions. Le 14 Janvier nous a ouvert la porte grand-ouverte pour rejoindre la civilisation, mais « Ennahdha » n'en a pas la conception, ni celle de la gestion des sociétés modernes, elle n'a pas la profondeur philosophique pour comprendre la philosophie de la Révolution qu'elle instrumentalise et croit que s'appuyer sur l'Islam lui permet de refuser la démocratie. « Ennahdha » veut nous faire régresser, puisqu'elle vit encore au temps du prophète et empêche, ainsi, l'essor civilisationnel de la société tunisienne. L'année 2012 se caractérise par l'absence de conditions politiques favorables pour permettre l'essor économique escompté. Par son hostilité au projet démocratique, « Ennahdha » retardent les aides et investissements étrangers -Mais « Ennahdha » prétend s'inspirer du modèle turc ? -Tout d'abord, il n'y a pas lieu d'établir des comparaisons entre les turcs et nous, puisqu'ils nous devancent de 50 ans sur le plan économique. De plus, « Ennahdha » n'a rien à voir avec le « AKP » qui est un parti démocratique. C'est lui qui a sauvé la Turquie de l'emprise de l'armée en l'affaiblissant, et qui a instauré un pouvoir civil à la place du pouvoir militaire qui étouffait toutes les libertés. Les islamistes turcs ont une vraie morale islamique et font bon usage de l'Islam qu'ils emploient pour instituer la solidarité entre les citoyens. Contrairement aux nôtres qui en usent pour confisquer les libertés, ils n'essayent pas de construire pour l'avenir, ni de prendre conscience de l'histoire. Stefan Füle, Commissaire européen à l'Elargissement et à la Politique européenne de voisinage, a, dans le cadre du plan d'action 2015/2016, insisté sur la nécessité de la mise en place des institutions démocratiques pour la réalisation de ce plan. Mais malheureusement, avec « Ennahdha » nous n'avons rien de démocratique, ni institutions, ni morale, ni pratiques. Nous sommes restés dans le giron de Ben Ali ayant, le premier, amorcé la première phase de l'Etat rentier renforcé par les « Nahdhaouis » qui s'acquittent de cette tâche avec brio. Leurs rapprochements avec le Qatar et les autres alliés du Golfe, pays rentiers par excellence, sont édifiants à ce propos. -D'après ce que vous dites, la Révolution est, essentiellement, politique et vous reléguez au second plan les aspects économique et social qui constituent la base de toute vraie révolution. -Effectivement, sans base économique, il ne peut pas y avoir de démocratie. Mais il y a belles lurettes que nous avons initié une assise économique grâce au grand apport de Ahmed Ben Salah qui a institué une économie nationale où la Tunisie était dotée d'une infrastructure reliant les régions entre elles facilitant l'implantation des usines et la circulation des marchandises, ce qui a permis à notre pays de produire et d'exporter quatre fois plus qu'avant. Cette grande œuvre, inaugurée par Ben Salah et réalisée sur des étapes et consistant au passage d'une société féodale à une société avancée susceptible d'évoluer sur le plan économique et social, contrairement à l'Algérie et la Libye, était rendue possible grâce à la conjugaison de l'action de l'UGTT et de l'action émancipatrice politique. La Tunisie était la seule parmi tous les pays arabes à s'appuyer sur ces deux structures d'échafaudage. -Ne voyez-vous pas que vous exagérez outre mesure ? Car une révolution n'en serait pas une si elle ne profite pas à l'ensemble du peuple et n'établit pas l'égalité sociale. -Les disparités sociales sont dues à l'absence de la démocratie et à l'opportunisme de la classe politique. On aurait bien pu procéder à une répartition équitable des richesses d'autant plus que nous étions, seulement, 4 millions d'habitants. Les congrès de Monastir I de 1971 et Monastir II de 1974 ont tout chamboulé, étant donné que les tentatives des libéraux réformateurs étaient vouées à l'échec, et l'essor économique s'est trouvé de ce fait handicapé par l'absence de démocratie. On ne peut jamais voler avec une seule aile. Si, à l'époque, cette condition était remplie, on aurait pu dépasser des pays comme la Tchécoslovaquie et la Pologne. Actuellement, et après l'action corrosive que lui a fait subir Ben Ali comme en témoignent les révoltes du bassin minier de Redeyef en 2008 et de Remada de 2010, il est indispensable que notre économie retrouve sa bonne santé, et cela ne serait possible qu'en s'attachant à l'économie européenne tout en observant nos intérêts supérieurs. Nous devons établir un lien viscéral avec l'économie la plus puissante et la plus développée au monde et nous en faire vacciner pour assurer l'essor de la nôtre. Il s'agit, là, d'un choix stratégique. Toutefois, cet effort serait vain s'il n'est pas appuyé par la démocratie. L'essor économique ne pourrait pas avoir lieu sans fondement démocratique -Pour plusieurs observateurs et politiques, l'intérêt qu'affiche l'Union européenne pour notre pays traduit l'importance que représente ce dernier pour son économie. -Il est évident que les Européens s'attachent à leur intérêt personnel, mais au-delà de cela, il existe d'autres considérations plus profondes qui s'expliquent par l'histoire et la géographie. L'Europe ne veut pas et ne peut pas rompre avec son voisinage, ce choix obligé est dicté par la nécessité d'une coordination civilisationnelle et sécuritaire. Les crises successives en Algérie ont fait plané la menace sur l'Europe pendant toute la décennie meurtrière où l'élite intellectuelle menacée de mort a trouvé refuge chez elle et non pas dans les pays du Golfe, par exemple. Ce choix du modèle universel profite, de toute évidence, aux Européens à tous les niveaux, culturel, politique, économique et social. Et même les transactions dans ce domaine étaient soumises à des conditions strictes touchant aux droits de l'homme. En effet, le contenu du contrat de partenariat signé avec Ben Ali en juillet 1995, dans le cadre de l'Union Pour la Méditerranée créée par le Processus de Barcelone, avait un contenu démocratique posant comme conditions sine qua non, entre autres, l'indépendance de la justice et les libertés fondamentales. A l'époque, la Tunisie était à l'avant-garde des dix partenaires arabes de l'UPM. Ben Ali n'a pas respecté ses engagements en matière des droits de l'homme qu'il a bafoués et ce n'était pas un hasard que les rapports du Wikileaks portaient sur la Tunisie à côté de l'Egypte, le Maroc et la Jordanie. -D'aucuns prétendent que les Européens et les Américains interviennent dans nos affaires. Vous confirmez ces prétentions ? -Oui, je les confirme, seulement, ils le font par des moyens pacifiques, contrairement à ce qui passe chez notre voisin libyen où l'exploitation des gisements de pétrole était immédiate. Aussitôt débarrassés de Kadhafi, ils ont mis la main sur les richesses de ce pays qu'ils ont mis à sac après avoir procédé à l'éviction des Chinois et des Coréens du marché libyen. Donc, comparée à ce qui se passe chez les voisins de l'est, on peut dire que leur intervention en Tunisie est beaucoup moins grave. -Vous ne voyez d'autre alternative que celle de se jeter dans les bras des Européens et des Américains ? -Parallèlement à ce choix, on peut s'orienter vers le Maghreb, d'ailleurs, monsieur le président Moncef Marzouki a lancé un appel pour la tenue d'un sommet maghrébin qui n'a, malheureusement, pas trouvé d'écho. A ce propos, nous accusons un grand retard historique à cause de l'absence de cette culture régionale. Notre pays ne peut évoluer seul, il a besoin de coopération internationale à commencer par les voisins surtout algérien qui dispose de 2000 milliards de dollars de réserve. Le partenariat euro-méditerranéen inauguré en 1995 énonçait qu'en même temps que la coopération entre les pays arabes et les Européens, il fallait instaurer un échange libre sud/sud. L'UE a même précisé que l'absence d'union entre les pays maghrébins les fait régresser de deux points au niveau du classement économique mondial. Le gel de l'Union maghrébine et de la démocratie, dont nous souffrons, énormément, nous fait installer dans l'attentisme. -Votre déni de la Révolution a soulevé un tollé, votre approche est-elle toujours la même ? -En 1995, on est sorti de l'économie de gestion de l'Etat et on est passé à l'économie libre, c'est-à-dire la privatisation où on a lâché la bride à la libre initiative et au libre échange et institué le dédouanement qui en est le corollaire. Ces mesures étaient importantes mais insuffisantes, il nous manquait des organes de contrôle démocratiques, et la révolution qui était censée combler cette lacune n'a pas, encore, atteint cet objectif, nous avons obtenu la liberté mais pas la démocratie. Voilà mon approche de la Révolution qui était mal comprise et mal interprétée. -Cette privatisation à outrance, que vous louez et où on a concédé des secteurs publics au privé, était désastreuse aussi bien pour notre pays que pour l'Europe. -Tout d'abord, Mohamed Ghannouchi n'a pas cédé des secteurs vitaux, tout ce qu'il a cédé c'étaient quelques autres industries parmi lesquelles le ciment et les télécommunications qui sont devenues plus rentables. Ensuite, comme je l'ai expliqué, les organes de contrôle qui devaient assurer la bonne marche de ce projet faisaient défaut, ce qui a fait avorter le projet. Je le répète, le socle de tout planning c'est la démocratie. -Et Michèle Alliot-Marie ? Même si le protocole diplomatique vous obligeait à l'épargner, la conjoncture révolutionnaire ne vous permettait pas de lui témoigner de la sympathie d'autant plus qu'en soutenant la dictature, elle a trahi l'histoire de son pays. -Mais comment je pourrais m'en prendre à quelqu'un dont le tort était de ne pas avoir prévu la fuite de Ben Ali ? D'ailleurs, personne d'autre n'était en mesure de le faire. On me demande de la sanctionner, de l'expulser comme on a fait avec l'ambassadeur syrien et me passer de Sarkozy, c'est absurde ! Je ne pouvais le faire ni moralement, ni politiquement. Alliot-Marie était la première à prendre la parole au parlement européen pour souligner que le soutien de la Révolution tunisienne et sa réussite étaient quelque chose d'indispensable et de stratégique. -Cette déclaration qui était venue après coup ne s'insérait-elle pas dans la sphère de l'opportunisme politique ? -Pas du tout, cette déclaration était sincère et tout ce qui a précédé ne l'était pas et c'était la faute du peuple tunisien, il n'a qu'à assumer ses responsabilités. C'est pourquoi je considère que notre Révolution était tardive. Celui qui veut être respecté par les autres doit le mériter par son action. Quand je me suis rendu au parlement européen après la réalisation de celle-ci, j'ai ressenti de la dignité, c'était un sentiment que je connaissais pour la première fois dans ma carrière diplomatique. La partie à blâmer le plus pour ce long silence assourdissant qui a duré 23 ans, est, bien sûr, l'opposition que je n'ai, personnellement, intégrée qu'à deux reprises dans le cadre de l'initiative démocratique soutenue par « Attajdid » lors des élections présidentielles de 2004 et 2009. A ces occasions, j'ai réalisé l'ampleur des affrontements entre une société attachée à la liberté et à la démocratie et un régime qui interposait, entre elle et cet idéal, un rideau de fer. La phase actuelle impose une coalition large de toutes les forces démocratiques -L'opposition a-t-elle changé de comportement ? L'opposition n'a pas su s'organiser au temps de Ben Ali et continue à le faire jusqu'à maintenant, elle reste, toujours, éparpillée. C'est là où réside le mal. L'étape par laquelle nous passons impose sa coalition. On vit une bipolarisation constituée d'Islamistes et de modernistes qui est l'œuvre de l'historique, le choix est entre l'amour de la vie et le renoncement à cette vie, entre « Ennahdha » et « Nida Tounes ». L'évolution de la société tunisienne l'inscrit dans la voie du progrès, ce qui veut dire qu'aller à contre courant est une régression. -Mais vous ramenez le modèle moderniste à « Nida Tounes » comme s'il en était la seule incarnation. -Nous avons une opération de sauvetage à accomplir, on doit mettre en place une plateforme correcte pour qu'on puisse choisir notre société et éviter d'être précipité dans le fond du gouffre. Nous nous sommes retrouvés dans un vide qui menace nos acquis, mais on s'estime heureux, car on préserve encore la liberté, aussi le choix reste-t-il possible bien qu'il soit limité. L'alternative qui se présente à nous c'est avancer ou régresser. Ce choix n'est pas le fruit de la démocratie qui n'est pas encore acquise et connaît de très sérieuses menaces ; on doit la défendre pour qu'elle ne chute pas. Le gouvernement actuel, qui essuie un échec total, refuse d'instituer la haute commission des élections, de fixer la date de ces élections, d'achever la constitution, des tâches qu'il aurait bien pu remplir en 45 jours. Et en tant que forces démocratiques, nous avons le devoir de dessiller les yeux des électeurs et d'attirer leur attention sur ce danger qui nous guette tous, on n'a pas le droit de leur disperser l'esprit par la multiplicité des voix, tout ce que nous devons faire, en ce moment, c'est leur montrer le choix entre la lumière et l'obscurité. Tous ceux qui croient à la démocratie, à l'avenir et à l'émancipation doivent former un front unique contre les forces obscurantistes pour nous sauver de ce danger. Notre mission est ardue, car, contrairement à d'autres nations telles que le Brésil et la Tchéquie, par exemple, nous avons affaire à une pensée religieuse réactionnaire prêchant l'ignorance et la vie des ténèbres. Quand nous aurons réussi à mener à bien notre entreprise et instaurer un climat démocratique, là on s'engagera dans la multiplicité des choix et la vie contradictoire. La démocratie n'est pas unicité, mais variété, la conscience se trouve, toujours, ligotée de contradictions, c'est l'essence même de la vie qui nous impose des choix antinomiques dans tous les domaines. « Ennahdha » n'est pas capable d'assimiler la culture des contradictions -Quel est le jugement que vous portez sur les « Salafistes » et ce qu'on appelle les milices de « Ennahdha» regroupés dans ce qu'on appelle les « ligues de protection de la Révolution » ? -C'est un mouvement qui nous est totalement étranger, il se manifeste dans les sociétés primitives. Chez nous, il ne peut pas s'agir de groupes, mais tout simplement d'individus n'ayant pas de projet et représentant un danger occasionnel, mais cela n'empêche que la situation devient alarmante, puisque le sang a coulé et les vies sont menacées : le terrorisme politique s'installe chez nous. Il est de même de ces milices que vous évoquez. Les uns et les autres sont les composantes logiques d'un parti dogmatique s'opposant au rationalisme qui est, par définition, ouvert à toutes les idées et admet toutes les éventualités. Quelqu'un de rationnel tend à construire un avenir qui ne ressemble pas au passé ; les horizons sont, constamment, ouverts devant lui, alors qu'ils sont, complètement, fermés en face du dogmatique, car il ne reçoit des ordres transcendants, venant d'en haut, et non pas rationnels. Les partis islamiques se condamnent à vivre dans le passé et sans avenir. Ces terroristes sont, pour moi, l'émanation de la philosophie dogmatique islamique. Ce danger qu'incarnent ces intrus de « Salafistes » s'est faufilé dans notre société par la porte de « Ennahdha » qui, si elle n'assume pas ses responsabilités, elle-même sera victime de ces fanatiques et entraînera derrière elle l'histoire de la Tunisie. Plus on ferme les yeux sur ces crimes, plus le danger grandit, alors, il est grand temps de réagir. Notre Islam, nous l'avons développé grâce à l'apport des éminents penseurs réformateurs tels que Chédli Ennaifer et Taher Ben Achour, on l'a sorti du Moyen Age et inscrit dans l'esprit du vingtième siècle. Notre Islam est éclairé et non pas obscur comme le leur. Que Dieu préserve ces obscurantistes et nous préserver d'eux !