Par Alix MARTIN - En ce moment où le temps, très perturbé, « souffle le chaud et le froid », sortir, en direction du sud, c'est prendre une double assurance. Le temps, « incertain » au départ, peut se dégager. Les premières pentes boisées de la Dorsale tunisienne offrent de superbes objectifs de promenades à moins de cent kilomètres de la capitale. Vers le sud Voulez-vous essayer, avec nous, en empruntant un matin la route d'El Fahs ? Dès la sortie sud de Tunis, vous allez vous régaler : les champs forment un camaïeu vert piqueté de tâches de couleur. Les plantes se trompent de saison, la douceur des journées a fait s'épanouir les fleurs des champs, en avance d'un trimestre, au moins. Dans l'air du matin, voilà qu'apparaissent les hautes arches de l'aqueduc de Carthage. Caressées par la lumière blonde d'un lent soleil automnal, elles se dressent et découpent leur silhouette ocre sur l'azur du ciel et le vert cru des champs. A peine ont-elles été restaurées, qu'elles ont été réoccupées par les oiseaux à la recherche d'un trou pour y construire leur nid. De petits faucons crécerelles roux font « le Saint-Esprit » : immobiles, les ailes frémissantes, agitées de petits battements courts et rapides, ils guettent un passereau dissimulé dans l'herbe. Les pigeons plus ou moins sauvages, trop rapides et trop puissants pour être inquiétés par les crécerelles, vont et viennent entre l'aqueduc et les méandres de l'Oued Miliane où ils se nourrissent. Au sommet d'une colline bordant la route, appelée le Jebel Sidi El Ajmi, on remarque la blancheur des murs du marabout qui a donné son nom à la colline. Il est curieusement construit sur ce qui semble bien être les restes d'un tumulus de terre cendreuse mêlée de pierres et de tessons de céramique antique. Vestiges d'une « M'zara » plus ou moins musulmane ? D'une « R'madiya » préhistorique ? D'un lieu de culte berbéro-romain ? Avons-nous tort d'affirmer souvent qu'un des traits remarquables de l'histoire de l'Afrique du nord est la pérennité des mœurs et des cultes populaires ? Le petit marabout est curieux : sa coupole n'est pas hémisphérique. Elle est très surbaissée et sa base paraît ovale. Il était vénéré et recevait régulièrement des offrandes sous forme de pièces de monnaie et de céramiques – en morceaux ou cassées volontairement après les dévotions ? – Sa construction remonterait aux années 1970-71. Auparavant, c'était le « tumulus » qui servait de lieu de culte et un oléastre occupait la place du marabout, parait-il. La dernière fois que nous y sommes allés, il semblait abandonné et une partie de sa coupole était effondrée – naturellement ? – Aurait-il éveillé la désapprobation de « puristes » qui ... ne pourront tout de même pas nier l'histoire de ce pays ? Aujourd'hui, nous avons choisi d'emprunter la route qui mène au bourg appelé Bargou après avoir été traditionnellement nommé Robaâ Ouled Yahia ou Souk El Arbaâ des Ouled Yahia qui était la tribu installée dans la plaine aux alentours. On traverse alors un petit massif couvert de Pins d'Alep et de lentisques dont les sous-bois aux senteurs balsamiques abritent plusieurs espèces d'orchidées sauvages et vibrent d'innombrables roucoulements de tourterelles des bois dès le début du mois d'avril. Soyez attentif : au creux d'une vallon, une plaque assez ancienne subsiste à l'orée d'un carrefour avec une petite route qui mène au barrage de l'Oued El Kébir. Nous y reviendrons. Le temps s'améliore, nous sommes d'humeur vagabonde, nous poursuivons donc vers « la belle endormie », « oubliée » devrions-nous dire. Comme nous ne sommes pas en train de participer à un rallye, nous nous arrêtons auprès d'un sanctuaire important, bien entretenu, où nous sommes reçus très aimablement par un gardien fort disert. Au bord d'un humble cimetière, un arc de cercle de grosses pierres : un « assès », rappelle le souvenir du Saint gardien des lieux : Sidi Naoui et prouve que les cultes antiques préislamiques n'ont pas complètement disparu. Quelques kilomètres plus loin, dans un hameau qui entoure un autre sanctuaire vénéré consacré au Marabout Sidi Aouidat, un carrefour indique la direction d'Oueslatia que nous empruntons avec grand plaisir. La petite route s'enfonce très vite dans des collines tapissées de pins d'Alep : les verts, sombres ou clairs, de leur frondaison formée de « boules » denses, tranchent sur celui des céréales qui couvrent les clairières et sur l'ocre rouge des terrains nus. Soudain, au bord de la route, se dresse un « arc de triomphe » dont la « baie » est malheureusement remplie de constructions maçonnées qui l'empêche de s'écrouler. Nous voilà à Seressi antique appelée aujourd'hui Oum El Abouab : la mère des portes parce qu'un autre « arc » a été construit sur la colline d'en face. Seressi a été une ville romaine importante qui serait devenue municipe vers la fin du IIème siècle. Des archéologues de l'Institut du Patrimoine dont Melle Naïdé Ferchiou et Mr. Ghalia ont entrepris de dégager un certain nombre de beaux monuments. On peut y admirer ce qui nous a semblé être le Capitole transformé plus tard – à l'époque chrétienne ? – en huilerie. Les parties qui n'ont pas été fouillées laissent voir une couche de cendres et de charbons qui prouve que le bâtiment a été détruit par un incendie. La place d'un grand marché a été dégagée. On peut deviner un théâtre. En dehors de la ville, se dessinent les murs d'un amphithéâtre et se dresse un grand mausolée. Sur une piste « coloniale » qui traverse, sans respect, le site entier, nous avons remarqué une mosaïque, sans doute unique en Tunisie parce qu'elle contient d'innombrables tesselles de gypse qui étincellent au soleil. Le pavement, à ciel ouvert, achève de disparaître : chaque pluie l'emporte un peu plus avec les eaux de ruissellement. Les pieds droits d'un arc dont la baie est très étroite ont été dégagés. Une inscription gravée à l'intérieur de la baie, malheureusement masquée par la maçonnerie qui soutient l'arc, construit à l'entrée de la ville, rappelle que Armenia Auge et Bebenia Pauliana ont participé au financement de sa construction et de sa décoration. Elles étaient mère et sœur d'un citoyen de la ville, fonctionnaire de haut rang qui avait légué, par testament, une somme d'argent pour construire l'arc. Les habitants de Seressi avaient aussi construits, en grosses pierres de taille, des quais qui protégeaient la cité de l'érosion des eaux d'un oued la traversant. Et ... là haut sur la colline, au-dessus du hameau, caché dans les pins, il faut aller voir les vestiges d'un superbe petit temple, construit sur un podium à la façade arrondie. Peut-être était-il consacré au dieu du vent, nous a-t-on dit. Sa position, dominant la ville, nous a fait penser qu'il abritait certainement le dieu protecteur de la cité. Pourquoi le site de Seressi n'est-il pas mis en valeur ? Il pourrait être une des joyaux des tourismes culturel et écologique – dont on parle tant en ce moment ! – du gouvernorat de Zaghouan. Si les bois de Pins ou les clairières n'ont pas réussi à vous retenir pour un pique-nique à savourer dans un silence agreste ou si vous n'avez pas souhaité aller si loin – même pas 100 kilomètres ! – alors descendez vers le barrage de l'Oued El Kebir, blotti au fond de la vallée. Nous y avons été reçu très aimablement par les employés présents. Ils nous ont raconté l'histoire du barrage. Ils nous l'ont fait, longuement, visité. Ils nous ont montré la conduite qui amène l'eau depuis le grand captage de Bou Saadia dans le Jebel Bargou et qui va à Moghran. Nous n'en écrivons pas davantage pour ménager votre curiosité. De multiples pistes carrossables serpentent dans les bois parfumés à proximité du barrage et invitent à la promenade, au pique-nique ou aux siestes réparatrices.