Une fois les fastes du festival de Douz disparus, on peut se demander quels profits durables les populations locales en ont tiré ? Quelles en ont été les retombées économiques ? Les prix bradés actuels vont-ils accroître la renommée du tourisme saharien tunisien ? Les projets mirifiques de « bétonnage » vont-ils remplir les hôtels ou faire fuir les clients potentiels qui ne trouveront plus le Sud qu'ils venaient chercher ? Ne vaudrait-il pas mieux satisfaire la demande actuelle, remplir les hôtels existants, fournir du travail et des revenus aux habitants de la région maintenant, avant d'affirmer que bientôt ce sera mieux ? LE TOURISME SAHARIEN ANCIEN Il faut d'abord remarquer que ce qui se faisait précédemment n'est plus à faire. Ensuite, il faut être persuadé que l'authentique et le naturel sont de plus en plus recherchés. Il faut enfin avoir conscience que la concurrence va devenir « féroce » avec l'arrivée prochaine sur le marché, peut être de l'Algérie et de la Libye pacifiée, mais sûrement du Maroc actuel. Le désert et les confins sahariens sont des milieux fragiles. Déjà la consommation d'eau dans les hôtels a fait disparaître les différents « étages » de végétation caractérisant les oasis. On n'a plus que des plantations de palmiers ! Où sont les sources qu'on admirait à la « corbeille » de Nefta ? Que se passait-il naguère, qu'il ne faut pas refaire ? Dans la région de Tozeur-Nefta un tourisme bas de gamme, pour visiteurs souhaités nombreux, à base de mini-promenades à dos de dromadaires, de visites en 4 x 4 du site de la « guerre des Etoiles », avec quelques festivals très « artificiels », était organisé autour de quelques hôtels qui se voulaient de luxe et essayaient de créer un « mini-Marrakech ». Dans la région de Kébili-Douz, autour d'un noyau « chic », l'attraction essentielle était le raid en 4 x 4 vers le Sud : d'abord à Ksar Ghilane puis plus loin à Tim Baïn ou la promenade de tout repos vers Réjim Maatoug qui ne « rapportaient » que le prix de vente des carburants. Les courses de sloughis ou de dromadaires sont affreusement artificielles. Ces animaux ne sont pas faits pour cela. Alors, qu'une promenade, à cheval, derrière des sloughis traquant un des tout petits lièvres du Sud est passionnante, n'en déplaise aux âmes sensibles qui se régalent, à l'étape, de l'agneau égorgé. Les groupes de musiciens « folkloriques », habillés de neuf, n'intéressent que le « gogos ». Où est le « naturel », l'authentique ? Les conducteurs de 4x4 et de grosses motos tous terrains ne devraient circuler que sur des circuits définis et balisés. Cela éviterait de découvrir aux creux des dunes de plus en plus de monticules d'ordures. Ils ne seraient pas frustrés puisque, durant leurs périples, ils ne regardent que les points de passage pour leur véhicule : faune, flore, paysage ne les intéressent pas. Les amateurs de 4x4 ont-ils envie de savoir comment des animaux : lézards, scarabées et autres vivent-ils sans eau ? Désirent-ils apprendre que les plantes dont le cycle végétatif complet est de quelques jours au Sahara, retrouvent un cycle long, plus « normal » quand on les transplante dans un milieu tempéré ? Ont-ils goûté du « Legmi », différentes espèces de dattes, au pays du palmier ? Ont-ils appris comment les palmiers se multiplient ? Ecoutez-les parler : ils ont FAIT le Sud tunisien. Ils ne l'on pas VISITE ! UN TOURISME SAHARIEN DURABLE Remarquons d'abord, avec plaisir, que de belles « maisons d'hôtes » ont été aménagées. Alliées à des attractions de qualité, elles doivent susciter un tourisme cossu, rentable donc et non polluant. Ensuite, pour qu'il soit durable, le tourisme doit s'intégrer dans le mode de vie des populations locales en ayant pour devise de « satisfaire les besoins actuels sans risquer de priver les populations futures des moyens de satisfaire les leurs ». Nous savons tous parfaitement que le réchauffement climatique ainsi que l'avancée du désert sont inéluctables. Ils ont commencé il y a plus de dix mille ans ! Le tourisme doit être mis en œuvre par des Tunisiens pour des Tunisiens ! Le tourisme saharien peut être durable d'abord en ne concernant pas une « masse » de gens qui vont consommer, selon les normes actuelles, une « masse » d'eau potable qui ne se renouvellera pas. Il devrait mêler l'offre touristique à la culture locale et créer une « marque locale » qui lie l'idée de « porte du désert » à celle de « voyage et aventure », par exemple, dans l'esprit du visiteur. Ce pourrait être aussi une invitation à un voyage « au cœur de l'Histoire de la Terre et des Hommes ». Les traces humaines : galet aménagé, les plus anciennes connues en Tunisie ont été découvertes à Aïn Brimba, proche de Kébili. Le socle saharien est formé de roches parmi les plus vieilles de la Terre. Personne ne s'y intéresse alors que le « géotourisme » existe depuis bien longtemps. Au lieu de vouloir faire un Bayreuth à Tim Baïn, essayons de créer d'abord un répertoire de la musique folklorique locale. Le Parc National de Jbil mérite d'être promu pour qu'on le visite, par petits groupes parce qu'il est fragile. A une vingtaine de kilomètres à l'Ouest de Nefta (50 kilomètres de Tozeur), les dunes de Mouïet Soltane mesurent près de 60 mètres de haut : un immeuble de 15 étages ! Si l'on y va à dos de dromadaire, qu'on installe soi-même son campement, aidé par des sahariens, qu'on égaie la soirée avec les histoires du (des) guide et un moment de véritable musique folklorique, on sera dans l'authentique et le durable. Les touristes s'en souviendront et ... reviendront peut-être. Ces expéditions pourront être multipliées, employant de nombreux guides, générant une forte production artisanale et agricole locales, sans abîmer l'environnement. On ne casse pas une branche dans le désert : les plantes ont tant de peine à croître. On ne ramasse pas les racines pour faire un feu : elles fixent, en partie, le sable qui avance partout. Si l'on nous objecte que ce tourisme ne concerne qu'un petit nombre de visiteurs, nous rétorquerons, d'abord, que le Sahara ne supporte pas la densité de population des deltas asiatiques ni même celle des autres régions tunisiennes. Ensuite, nous dirons qu'il vaut mieux faire venir 10 touristes qui laissent, en Tunisie, 1500 DT en une semaine – sans compter leurs frais de voyage et d'hébergement comme nous l'avons constaté ! – plutôt que 100 visiteurs à 200 ou 300 € le voyage, tout compris dont il restera combien de dinars en Tunisie ? Pourquoi, puisque les compétitions sont à la mode, ne pas organiser un ou des raids à dos de dromadaires en « individuel » ou par équipe traversant tout le Sud : de Douz ou Kébili à Tataouine ou Médenine ? Pour les touristes « sédentaires » et pour tous les autres aussi, la présentation de l'histoire de la région, de l'architecture, de la culture du (des espèces de) palmier, de la faune et de la flore originales, de la cuisine, du folklore, de l'artisanat, de la symbolique des tatouages et des bijoux, des croyances, des plantes comestibles ou médicinales et des sources salées encroûtantes des bords des chotts, pourraient « meubler » largement la durée d'un séjour. Monsieur Chraïet est revenu mais tout seul, il ne fera pas « le tourisme » pas plus qu'une hirondelle ne fait le printemps ! Simultanément au développement du tourisme, on pourrait souhaiter une croissance durable, utilisant une énergie solaire surabondante et même une géothermie négligée. Tout développement économique exige un surcroît d'énergie. Nous souhaitons que ces régions soient préservées d'un modernisme agressif et destructeur. Nous désirons qu'elles se développent en préservant l'environnement menacé par l'avancée du désert.