Par : Khaled Guezmir - Il fut un temps où l'Etat était une bénédiction tout comme la Religion ! C'est ce que Hobbes désignait par le « Léviathan » , un ogre certes, mais qui transcende tous les « loups » qui ont la force des armes pour assujettir leurs semblables. Puis, un jour, on s'est réveillé sur une autre réalité : L'Etat lui-même peut devenir l'instrument idéal de la coercition sociale et politique si on ne soumet pas à la loi ceux qui en deviennent « les propriétaires, à savoir les gouvernants. D'où cette invention géniale du « contrat social » version Locke, le fondateur de la pensée libérale moderne, qui régit les rapports entre gouvernants et gouvernés, entre les individus et l'Etat. Les citoyens acceptent des limites à l'exercice de leurs libertés et leurs droits hérités de la nature, d'on ce terme de « Droits naturels », mais à condition que l'Etat seul détenteur de la puissance publique et des instruments de la « violence légale » assure à ces mêmes citoyens la protection de tous les droits restants et surtout la sûreté, le droit à la vie, la jouissance paisible de la propriété et bien sûr, la liberté de se déplacer, de penser et de conscience y compris le droit de choisir « sa » religion. C'est ce qu'on désigne communément par la liberté du culte. A défaut d'assurer cette fonctionnalité, l'Etat et ses gouvernants deviennent illégitimes et les citoyens auront même le droit de « résister à l'oppression ». Cette résistance peut être évidemment pacifique et non violente sauf dans le cas où la vie humaine elle-même est menacée dangereusement. Par conséquent, le concept de « Légitimité » (Achariaâ) a connu une évolution qualitative importante depuis la Renaissance en Europe. De la légitimité du « droit divin », on est passé à la légitimité par le droit positif. La religion s'est vue de plus en plus dépossédée de la codification sociale et des rapports de gouvernement. En Occident, on a parlé de plus en plus de la séparation de l'Eglise et de l'Etat une manière de séparer la politique du religieux. En Orient et surtout dans les pays d'Islam et pour des raisons historiques, et de dépendance vis-à-vis de l'Occident « colonial », la religion a été un facteur déterminant de la résistance à l'oppression coloniale. C'est ce que reflète l'ensemble des mouvements de libération nationale avec la Tunisie, l'Algérie et le Maroc en tête. Même les partis « réformistes » occidentalisés et qui seront les acteurs de la modernisation de l'Etat national nouveau, étaient très attachés à l'identité musulmane. C'est bien le cas du Néo-Destour, en Tunisie, du parti de l'Istiklal au Maroc ou du Front de libération nationale algérien. Mais, une fois libérées, ces nations ont commencé à voir l'Occident d'un autre œil. Les élites dirigeantes ont compris que la modernité doit s'accompagner des progrès techniques et du développement intégral. La religion aura pour vocation non pas de « gouverner » mais de cimenter la société, diffuser les facteurs de la solidarité nationale et finalement de protéger les peuples contre certains aspects « agressifs » de la modernité surtout au niveau de la déstructuration de l'ordre ancien et de l'apparition du nouvel ordre et ses différenciations de classes. La croissance rapide de ces pays a engendré certaines inégalités un peu comme dans une classe d'école où les moins doués n'arrivent pas à suivre le peloton de tête. D'où ces insurrections à répétitions qui ont accompagné la modernisation au Maghreb et qui ont finalement retardé l'avènement de l'Etat démocratique institutionnel. De fait, le choix n'était pas facile. Fallait-il assurer l'autorité de l'Etat en usant d'un certain « autoritarisme » quelquefois despotique pour discipliner la vie collective et permettre le développement économique. Ou fallait-il accepter la libéralisation progressive de la vie publique et construire l'Etat démocratique et institutionnel ! Malheureusement, cette dernière option a pris du retard du fait, certes de la pression constante de la démographie et des exigences nouvelles des sociétés aspirant légitimement à l'équité sociale et à l'égalité des chances, mais surtout du démon « arabo-berbère » joignant l'indiscipline populaire à l'égocentrisme des dirigeants. Toutes les « légitimités » ont été soumises au détournement constant par les hautes sphères dirigeantes. Mais elles ont été plus ou moins tolérées tant que des dirigeants comme Bourguiba, Nasser ou Boumédiène étaient irréprochables et vertueux. Mais, avec l'apparition de la corruption à la tête de certains Etats, les peuples se sont soulevés. La « valeur » diffusée par les classes dirigeantes était totalement rejetée comme fallacieuse par les peuples et les sociétés civiles. Aujourd'hui, après le « printemps arabe », tout reste à faire et rien ne semble avoir bougé au niveau de la construction de l'Etat démocratique et institutionnel. On revient aux vieux réflexes, aux mêmes méthodes et à l'égocentrisme malsain de certains dirigeants de premier plan. Les derniers discours de l'avenue Bourguiba ne trompent plus personne. La démocratie institutionnelle n'est plus à l'ordre du jour et une nouvelle « légitimité » celle de « j'y suis j'y reste », fait son apparition à nouveau, comme au bon vieux temps du droit divin et de l'Etat « Léviathan ». Pire encore, le « Léviathan » révolutionnaire ne tire pas sa force des instruments de l'Etat « légal », mais de l'Etat parallèle ! La milicisation de l'Etat ne fait que commencer et ses conséquences risquent d'être désastreuses. Et dire qu'on y a cru cette fois-ci en pensant que la Tunisie avec toute sa culture brillante aura bien mérité d'appartenir à la civilisation la plus avancée de notre temps. Mais, il va falloir attendre... qui sait encore plus que par le passé. Au moins d'espérer un revirement salutaire pour redresser la barre et remettre la Tunisie sur sa véritable orbite et vivre son temps ! Mais, pour cela, les bons pilotes se font rares !