Avant-hier, dans une émission de France 5, nous pûmes suivre une courte interview de Bertrand Dautzenberg, pneumologue et président de l'Office Français de Lutte contre le Tabagisme. Ce dernier s'en prit alors très violemment aux buralistes de son pays qui vendent des cigarettes aux adolescents de 12 ans. Il ne savait pas, le pauvre, que chez nous, les buralistes ne sont pas les seuls à fournir les pubères en tabac. Pire ! Envoyez un enfant de 3 ans chez l'épicier du coin vous acheter votre provision quotidienne de brunes ou de blondes, il sera servi royalement comme un client majeur. Il y en a parmi les parents qui demandent à leurs gosses, pas encore scolarisés, de leur chercher des boissons alcoolisées chez le fournisseur clandestin du quartier. Parfois, les mômes rapportent à leurs aînés des commandes bien plus hallucinogènes que la bière ou le vin. Parents et marchands ne s'offusquent plus de ce viol banalisé de l'enfance et de la jeunesse. « Normal !», vous répondraient à l'unisson les « violeurs » et les « violés ». En effet, tout devient « normal » sous nos cieux. Ne croyez surtout pas les officiels quand ils font les indignés et les scandalisés en apprenant que les écoliers et les collégiens fument de tout, se piquent avec n'importe quoi et picolent à toute heure à l'intérieur ou dans les environs de leurs établissements scolaires. On se joue bien plus dangereusement de nos enfants : violer une fille de trois ans, envoyer un jeune de dix ans mourir en Syrie ou au large de Lampedusa, laisser partir au Jihad un handicapé de 16 ans et l'inviter sur un plateau de la télévision nationale pour nous décrire le bonheur et la joie de vivre qui règnent au sein de ses hôtes les mercenaires, lui reprocher seulement de n'avoir pas demandé l'autorisation de ses parents, voilà les enfantillages auxquels s'adonnent nos adultes mal intentionnés. « Ma wara'a el hadath » (« les coulisses de l'actualité ») diffusé jeudi soir sur la Nationale 2 se transforma pendant plus d'un quart d'heure en tribune pour d'abord justifier et défendre la cause des soudards en Syrie et ensuite pour pourfendre le régime de Bachar devenu, selon le jeune invité de l'émission, unique responsable des « massacres » et des « génocides » perpétrés dans ce pays. Curieusement, Nasreddine Ben Hadid, qui d'ordinaire interrompt et contrarie allègrement ses hôtes, regardait, comme un enfant, l'enfant qui parlait en face de lui. Pour un peu, on les prendrait l'un pour l'autre tellement leurs intentions paraissaient se rejoindre et se confondre. En fait, les « Enfants » de la télé et de la radio sont de plus en plus nombreux sur nos chaînes publiques et privées. Nous parlons bien sûr des enfantillages des adultes sur les écrans de TV, mais ce ne sont pas les aires qui manquent pour ce genre de turbulences infantiles : par exemple, on s'adonne à des jeux d'enfants au siège de l'Assemblée Nationale Constituante, on s'amuse avec les articles et les alinéas du Destour et aussi avec le projet sur l'immunisation de la Révolution, avec l'indépendance des Instances à créer, avec les interventions de Sonia Ben Toumiyya. Ailleurs on plaisante avec l'assassinat de Chokri Belaïd, avec les frasques et les provocations éhontées de Rekoba et de Imed Dghij, avec les démentis opposés aux enquêtes (pourtant très sérieuses) du site web de Naouatt ou de Tanit Press. Bref, chacun fait joujou de ce qu'il veut ou peut. La Troïka au pouvoir joue elle aussi : quelquefois avec les partis, ou avec les lois, sinon avec les fêtes nationales et l'histoire du pays, avec les remaniements gouvernementaux, avec la « légitimité », avec les « objectifs de la Révolution », avec le pouvoir d'achat, avec les statistiques, ou alors avec le FMI et la Banque Mondiale, c'est-à-dire avec la souveraineté nationale. L'addiction au jeu est désormais le lot de tout le monde. Mais visiblement, nous jouons tous avec le feu ! Et le grand risque sera alors de voir la Révolution, qu'une immolation par le feu a déclenchée, nous brûler indistinctement de ses flammes bien nourries. Les Révolutions ne sont pas malheureusement pas des jeux...d'enfants ! Le beau « gosse » et les « mioches » ! Notre Président de la République joue, quant à lui, avec les déclarations intempestives: la dernière en date provoqua un tollé au sein de l'Opposition démocratique qui réitéra sa conviction que M. Moncef Marzouki est indigne du statut présidentiel. Hamma Hammami fit l'exception. Jeudi soir, sur un plateau de Nessma, il trouva des excuses aux dernières incartades de son vieil ami. Pas le moindre reproche, pas même une gentille réprimande à l'adresse du Président turbulent ; en revanche, il en prodigua pas mal à l'intention du journaliste d'Al Jazira qui aurait, selon Hamma, « tendu un piège » à Marzouki. Encore un Président « abusé » ! Hamma n'épargna pas non plus Ennahdha et Rached Ghannouchi. Et quand on lui évoqua un article de journal prédisant l'isolement du Parti des Ouvriers et du Front Populaire en cas de non rapprochement avec Nida Tounès et l'Union pour la Tunisie, Hamma sortit progressivement de ses gonds et invoqua pour la énième fois la divergence de leurs programmes économiques. Selon lui toujours, le front électoral constitué autour du Nida n'a d'objectif que de neutraliser Ennahdha. Ensuite, Hamma dénigra à sa manière le combat contre le projet sociétal salafiste prôné par le parti de Rached Ghannouchi. A la fin, il relaya très maladroitement et sur un ton presque insincère le défunt Chokri Belaïd dans sa défense passionnée et passionnelle des « zouaoula » et des régions marginalisées. On lui rappela certains résultats de sondage défavorables au Front Populaire, il en minimisa la portée et afficha au contraire son assurance quant à la « bonne progression » d'El Jabha. Hamma voulut aussi qu'on mette en évidence la troisième place qu'il a obtenue ex aequo avec Moncef Marzouki, à propos des intentions de vote pour les prochaines élections présidentielles ! (seulement 3,4 %) ! Décidément, Hamma et Moncef sont inséparables. On dirait presque que chacun est le double de l'autre. Le leader communiste serait-il en train de servir les intérêts du Président, maintenant que celui-ci est plus que jamais en panne d'«amis » ? Mais Hamma n'ignore certainement pas que Moncef Marzouki partage bien des intérêts avec Ennahdha. Serait-il alors, sciemment ou bêtement, en train de rendre de fiers services à la Troïka ? Hamma affirmait avant-hier : « Le Front Populaire compte des gens mûrs en son sein » ! Nous le souhaitons, et espérons aussi qu'il en fait partie lui-même. Cependant, à l'entendre maugréer: « mais qui sont-ils pour que le Front Populaire les suive ? », en parlant du Nida, cela autorise la crainte que Hamma, lui du moins, n'ait pas encore atteint la maturité requise chez les grands hommes politiques. On a beau lui proposer de seulement envisager l'hypothèse d'un front électoral, d'un front de salut, avec l'Union pour la Tunisie, il reste convaincu que son « Front » constitue à lui seul une troisième force capable de peser aux prochaines élections et de rivaliser sérieusement avec les deux pôles nahdhaoui et destourien. Rêve donquichottesque ? Ce n'est pas ce que nous voulons dire ; mais Hamma nous semble jouer une carte perdante contre des adversaires bien plus pragmatiques et bien plus futés. D'autre part, nous le sentons parfois coincé et comme acculé, par certains de ses partisans radicaux et intransigeants, à prendre des positions extrêmes dont il n'est pas pleinement convaincu. Peut-être nous trompons-nous, et là ce serait la grande catastrophe qui nous remet en mémoire une blague sur le Jugement dernier : deux Tunisiens (ou deux Arabes, c'est kif kif) se sont présentés devant Dieu pour être jugés sur leurs bonnes et mauvaises actions. Le Seigneur fit alors la proposition suivante au premier : « si tu me demandes une faveur, j'en accorde le double à ton compagnon ! ». Après avoir pris son temps de réflexion, et en bon Tunisien (ou en bon Arabe), le bonhomme pria Dieu de l'éborgner ! Nous vous laissons tirer seuls la morale de cette plaisanterie et deviner son rapport avec le prétendu litige entre le Front de Hamma et l'Union de Bajbouj !