Le 5 septembre 2005, nous publiions notre premier article pour signaler qu'il était temps de protéger un des principaux hauts-lieux de l'histoire tunisienne : Kalaat Esnan. Depuis, à chacune de nos « promenades », nous constatons des déprédations et des vestiges de fouilles clandestines. Il n'était pas nécessaire de condamner, à grand tapage, les vols des « puissants » du régime déchu, si, à l'heure actuelle, personne ne se préoccupe du pillage destructeur du patrimoine national. Il semble bien exister des organisations, pour ne pas dire « mafia », spécialistes du pillage et de la commercialisation, voire l'exportation, des richesses nationales. Les destructions évidentes Dans le « Bois de Gammarth » qui recouvre l'antique quartier punique de Megara, parce qu'on sait que son sous-sol recèle de nombreux tombeaux, des pilleurs ont creusé très récemment un « trou » de 3 mètres de long sur 2 de large et de près de 4 mètres de profondeur ! Et, personne ne les a vus ! Le long de la route, au pied de la colline de Dougga, dans un gouvernorat où un vaste programme de tourisme « culturel » se met en place, la belle citadelle byzantine d'Agbia, agonise : les pierres taillées des murs sont arrachées et débitées par les gens qui habitent la citadelle, pour ... construire d'autres pièces à leur « demeure ». Voilà des années que nous le signalons aux responsables de l'Institut du Patrimoine pour ... rien ! Le gisement paléolithique de Sidi Zin, le plus important de Tunisie, est en « voie de destruction » : le propriétaire du terrain laboure régulièrement la couche supérieure qui contient pourtant « une industrie de facture moustérienne ». L'achat d'un hectare de ce terrain pauvre ne coûterait guère plus que le prix d'une voiture moyenne ! Qui s'en occupera avant qu'il ne soit trop tard ? Nous avons écrit aux Ministères concernés et ... rien ne s'est fait ! Allons plus loin. Le long de la route qui relie Dahmani à El Sers, à proximité du village de Zouarine, le flanc Nord du Jebel Bou Nador est tapissé de plus d'une centaine de tumulus numides dont seuls, quelques uns ont été étudiés. Actuellement, ils sont de plus en plus nombreux à être éventrés par des pilleurs sans scrupule. Pourtant le Gouvernorat d'El Kef fait lui aussi partie de cette zone du Nord-Ouest où doit se développer un grand programme de tourisme culturel ! Celles qu'on voit moins Un peu plus loin ... Qu'est devenu l'alignement de « pierres dressées » ; pour ne pas dire des « menhirs », qui se dressait le long de la route de Kasserine à quelques kilomètres au Sud de Thala ? Nous avions signalé son existence aux Autorités et les menaces que faisait peser sur lui une petite entreprise qui extrayait des pierres tout près. Rien n'a été fait pour le préserver ! Changeons de région. Quelles mesures ont été prises pour protéger la peinture pariétale ornant le hanout de Kef El Blida en Kroumirie ? Elle est unique au Monde mais elle est constamment abîmée par les gamins de l'école voisine malgré plusieurs passages à l'école pour « sermonner » les gamins. Nous le déplorons depuis des années sans résultat ! Pourtant, nous sommes persuadés que dans le cadre d'un véritable tourisme culturel, pour des visiteurs cultivés, épris d'authenticité, la découverte de vestiges historiques même modestes, dans un cadre encore presque naturel, loin de cars dégorgeant des humains pressés, a le charme de l'inattendu et ramène à l'esprit des réminiscences d'une culture qui était dite classique. Dans certaines zones, encore très rurales, où le développement économique reste basé sur la production agricole tributaire des aléas climatiques, la venue de touristes, attirés par l'aménagement, même sommaire, de ces vestiges pourrait constituer une ressource d'appoint. Celles qu'on devrait voir Changeons de décor mais toujours au bord de grandes routes et arrêtons-nous à Aïn Tounga qui est l'antique Thignica. M. H. Ben Hassen, historien et archéologue tunisien a longuement travaillé sur ce site. Il avait découvert, il y a quelques années, un temple dédié aux dieux Dis et Saturne. Il vient de mettre à jour un superbe nymphée : un temple des eaux consacré au dieu Neptune. Pourtant notre dernière visite nous a laissé un goût amer : à quelques centaines de mètres du site antique, une grosse carrière « dévaste » le paysage, dans un gouvernorat où le tourisme culturel doit « s'épanouir », paraît-il. En outre, la grande citadelle byzantine, le monument principal du site de Thignica, la plus belle de la région puisque celle d'Agbia est condamnée à disparaître, est laissée à l'abandon. Les pierres des tours d'angle de la muraille Ouest ne tiennent plus que par un miracle d'équilibre. Quand elles se seront écroulées, combien faudra-t-il de temps, d'argent et d'ouvriers compétents pour restaurer ces tours ? Cette ligne de citadelles qui part de Thignica passe par Téboursouk, Dougga, Agbia, Gharn El Kebch, Mustis et aboutit à El Kef prouve que les occupants byzantins craignaient la combativité des Berbères locaux ancêtres des Tunisiens actuels. Ces forts doivent-ils disparaître ? En outre, de plus en plus souvent, en des lieux plus nombreux, les « propriétaires », volontiers agressifs et menaçants, interdisent aux promeneurs paisibles l'approche de vestiges antiques signalés soit sur des cartes soit par les fascicules de « La Carte Nationale des Sites archéologiques et des Monuments Historiques » éditée par l'Institut du Patrimoine. Ils y pratiquent des fouilles « personnelles ». Allez sur le site de Nepheris, proche de Grombalia, par exemple ! Qui protègera la couche alluviale K/T séparant le crétacé (K) du tertiaire (T) et contenant de l'iridium. Ce métal très rare sur terre est fréquent dans les météorites. Sa présence dans cette couche expliquerait la disparition des dinosaures par le heurt d'un énorme météorite et de la Terre. Cette couche se trouve près du village d'El Haria à une dizaine de kilomètres du Kef. C'est une référence mondiale. Pourtant, l'érosion la détruit peu à peu sans qu'elle soit protégée : ce qui a été demandé par les géologues dès 1987. Conclusion Nous pensons que, devant l'ampleur du phénomène, seule une politique de « tourisme intégré » qui permette aux populations locales de tirer profit des sites historiques proches, soit en servant de « guides » ou de gardiens, soit en hébergeant ou procurant de quoi satisfaire les menus besoins des visiteurs, soit en leur vendant des produits artisanaux, peut enrayer cette destruction – importante – du patrimoine historique. Il ne faut surtout pas interdire la visite de ces sites, mais plutôt inciter les « touristes » à y aller en ... payant, contre un reçu, un droit de visite et de photographie ou une redevance au gardien du parking et éventuellement les honoraires d'un « guide ».