En ce moment, des travaux pharaoniques sont destinés à relier par une autoroute, El Kef à la Capitale, en particulier, à la hauteur d'Aïn Jemala, située entre Aïn Tounga et Téboursouk. Il faut aller regarder ce paysage, qui n'avait pratiquement pas été modifié depuis l'Antiquité, avant qu'il ne devienne méconnaissable. A Aïn Jemala, l'Oued Khalled a creusé un ravin dont la route suivait le versant Sud. Ce passage était qualifié de très mauvais chemin propice aux embuscades par les officiers français au moment de la conquête de la Tunisie. C'était, pour nous, une des « portes » du cœur de La Numidie antique. Elle était gardée, à l'Est, par le bourg de Thignica / Aïn Tounga, doté d'une belle citadelle byzantine et fermée, à l'Ouest, par la ville de Thubursicum bure / Téboursouk. SITUATION D'AIN TOUNGA Le site de Thignica / Aïn Tounga se trouve à 80 kilomètres environ, au Sud-Est de Tunis, le long de la route nationale G.P. 5. La voie stratégique qui reliait Carthage à la ville de garnison de Tebessa / Theveste, dans l'Antiquité, passait par Thignica. Les ruines de Thignica se trouvent perchées sur le versant Ouest du Jebel Bou S'lah prolongement du Jebel Tounga de 400 mètres d'altitude environ. Ces collines fournissent de bonnes pierres à bâtir, du bois et des pâturages. Les pentes sont plantées d'oliviers. La céréaliculture est pratiquée plus bas dans la vallée avec une arboriculture récente favorisée par une pluviométrie moyenne de l'ordre de 500 millimètres par an. UNE HISTOIRE CURIEUSE Monsieur Habib Ben Hassen, historien et archéologue tunisien, attaché à l'Agence pour la Promotion du Patrimoine, a publié une thèse remarquable à propos de Thignica. Pour lui, l'origine numide du site, bien que dépourvu de monuments mégalithiques et d'épigraphies libyques, est prouvé d'abord par son nom antique qui masque un toponyme plus ancien : Le « TH » initial est une réminiscence de l'alphabet libyque. Thignica pourrait signifier « La pure » ou « La purifiée ». L'influence punique y a été profonde puisque des centaines de stèles dédiées au dieu Saturne africain, « héritier » de Baal Hamon carthaginois, ont été exhumées à proximité du site. Il semble bien cependant que Thignica ait été située en dehors du territoire administré par Carthage. Le grand tumulus isolé au sommet d'une colline toute proche, au lieu-dit : Sidi Mohamed Chérif serait, d'après Mademoiselle Naïdé Ferchiou, historienne et archéologue tunisienne, le tombeau d'un riche propriétaire agricole, inhumé sur son domaine. « Héroïsé », presque déifié, il serait devenu le « Saint patron », protecteur des lieux. Les débris de poteries, de toutes les époques, trouvés à proximité du tumulus sembl ent prouver qu'il était l'objet d'un culte que les dames des environs paraissent pratiquer encore. Thignica pourrait avoir été constituée par une cité, peut-être autochtone et un bourg créé par des immigrants romains. Elle devient « municipe » à l'époque du règne conjoint des empereurs Septime Sévère et Caracalla entre 198 et 211 mais elle ne deviendra pas une « Colonie » sans qu'on sache pourquoi. Récemment, Monsieur Ben Hassen a découvert une épigraphie qui pourrait prouver qu'elle a été administrée par des Suffètes élus, comme Carthage, durant l'époque romaine. Il semble que Thignica se soit « éteinte » au début de la conquête arabe alors que sa citadelle byzantine comprise dans la chaîne formée par celles de Théboursouk, Agbia, Mustis et El Kef, prouve que les révoltes berbères étaient redoutées au VIème siècle. UNE PROMENADE GUIDEE PAR LES DIEUX C'est la citadelle, de 100 mètres de côté environ, qui attire les visiteurs. Elle est dotée de quatre tours d'angle et d'une belle porte à recouvrement. L'entrée de son « donjon » est ornée d'une « clé de voûte » dans laquelle la tête d'une dame a été sculptée. La chronique locale affirme qu'il s'agit du « génie » de la source captée au bord de la route mais qui jaillissait, jadis, dans la cour de la citadelle. Ensuite, on passe sous « l'arc de triomphe », à une seule baie qui précède un quartier d'habitation auquel on accède par un escalier curieux et « raide » aux marches étroites. Une grande maison à péristyle est à voir. Au fond de la cour, les dalles, à l'entrée d'un salon fermé par une abside, sont gravées du nom probable du propriétaire : « Iunius Restitus Maximus ». La gravure de deux pieds laisse penser qu'une petite statue devait se dresser là. Puis, après avoir « remonté » la rue, on arrive devant les vestiges d'un beau temple, sans doute, inachevé, qui pourrait bien avoir été consacré à Jupiter. Ensuite, on gravit la colline et, curieusement, en se dirigeant vers le grand tumulus qu'on voit sur la colline voisine, on arrive au pied d'un énorme caroubier. On y trouve les vestiges d'un superbe nymphée, découvert par Monsieur Habib Ben Hassen, et ressemblant beaucoup au « temple des eaux » de Zaghouan. Une épigraphie trouvée sur place prouve qu'il était dédié à Neptune comme celui de Zaghouan, sans doute. Après le roi des dieux et celui de la mer et des eaux, les marcheurs curieux peuvent aller saluer le génie du Tumulus de 20 mètres de diamètre et de 1,70 de haut. Une « niche » de 2 mètres sur 2, a été aménagée sur le flanc Sud-Est. Quelle « divinité » vénérait-on ici ? Puis on peut revenir, à partir du Tumulus ou du nymphée, vers le sommet de la colline qui ferme le flanc Sud de Thignica. Le gardien du site y conduit volontiers les visiteurs. Il y a déjà quelques années, Monsieur Ben Hassen y a découvert un temple dédié aux dieux Dis Paters, remplacé plus tard par Pluton, et Saturne : Deux dieux « romains » favorables à l'agriculture ! Pourtant, l'architecture, avec un très vaste espace sacré entourant un « monument » bâti, relativement petit et circulaire, reflète une influence libyque indéniable. La découverte récente d'une inscription à la déesse Vesta et d'une tête de Janus peut faire penser que ce temple a été construit par des colons italiens qui avaient assimilé ou avaient voulu respecter les coutumes de leurs voisins autochtones. De là, on redescend vers les vestiges de grands thermes publics, à l'architecture très fonctionnelle. Ils étaient dotés de deux palestres latérales qui ont été tardivement transformées en huilerie. On peut y saluer la déesse romaine « Santé » ! Un pique nique, à proximité, à l'ombre de vieux oliviers, assis sur d'énormes blocs soigneusement sculptés, baigné dans un calme et un silence agrestes, est un régal. Des gamins vendent, au bord de la route, des « tabouna » toutes chaudes et d'excellents fromages de lait de brebis entourés de branches de romarin. A l'entrée du village, une rôtisserie accueillera ceux qui n'aiment pas préparer et transporter un sac de victuailles. Les bons hôtels-restaurants de Téboursouk et de Testour sont à moins de 20 kilomètres ! Et, pour ceux à qui la « promenade des dieux » aurait paru trop courte, les collines boisées de la pépinière d'Aïn Jemala avec son « rocher aux pigeons », le plus proche et sa « falaise aux perdrix », la plus grande et la plus lointaine, offrent de multiples possibilités. Si les chants d'oiseaux, les senteurs balsamiques des pins, les champs piquetés de fleurs et les très belles orchidées des sous-bois agrémentent le paysage, une énorme carrière qui grandit à proximité immédiate de Thignica, le « défigure » gravement. C'est tout à fait dommageable dans cette région où un vaste projet de tourisme culturel se met en place, à grand frais, dans le cadre général d'un développement durable. Seule la « cicatrice » hideuse de la carrière, abandonnée dans quelques années, sera durable !