L'anthologie de récits angolais publiée par Présence africaine entraîne le lecteur dans un monde à la fois urbain et mystérieux, fait d'images inattendues et d'émotions familières de bonheur, de privation, de colère et d'exaltation. Les contes et les nouvelles réunis dans ce volume ouvrent la porte d'un ailleurs à la fois proche et désopilant. « Mon maître, Baltazar Van Dum, ne se rendit compte qu'il avait pissé dans sa culotte que lorsqu'il se retrouva dehors, renvoyé par le Directeur Nieulant Trempé, mais soulagé d'avoir sa tête aux rares cheveux blancs encore sur les épaules. Mon maître sortit du cabinet du Directeur aussi pâle qu'il y était entré, mais avec un sourire en coin qui lui faisait trembler la moustache… ». Ainsi commence l'extrait du roman « A Gloriosa familia », de Pepetela, publié dans la belle anthologie de contes et nouvelles d'Angola intitulée Chasseurs de rêves, qui paraît aux éditions Présence africaine, et dont la couverture est illustrée par un masque cihongo portant la coiffe kabala. Sarcasme et comique transgressif Pepetela est l'un des plus grands romanciers contemporains d'Afrique subsaharienne, et compte parmi les auteurs qui ont marqué la littérature d'Angola au même titre que ses poètes mondialement connus tels qu'Agostinho Neto ou Mario de Andrade. D'origine européenne, le romancier a inscrit son œuvre néo-réaliste dans la mythologie et l'histoire turbulente de son pays. Dans les années 1960, il a participé à la guerre d'indépendance aux côtés du Mouvement pour la libération de l'Angola de Neto et pris part à la construction de l'Angola après sa libération, en tant que ministre de l'Education. Le texte de Pepetela, empreint de sarcasme et de comique transgressif, donne le ton de ce recueil de fictions brèves, même si les récits ne sont pas tous de la qualité de la fiction de Pepetela. Ce recueil traduit en français à l'initiative de l'Union des écrivains angolais réunit 23 prosateurs contemporains, dont la plupart sont des découvertes pour le public francophone. Les pages les plus réussies de ce volume retracent l'histoire de la fiction angolaise qui a dû frayer son chemin entre l'engagement militant, le néo-réalisme, le goût du comique et l'inspiration expérimentale et moderniste. « La nouvelle société » Les thématiques qui ont inspiré les auteurs de ce recueil vont de l'histoire coloniale à la guerre civile, en passant par la sorcellerie, la violence, l'immigration, l'urbanisme, les turbulences sociales, la révolution et le rêve d'utopie. Une large palette de sujets qui dévoile la richesse de la prose romanesque angolaise. Comme l'a expliqué la traductrice du volume, Dominique Stoenesco, dans sa préface, la tradition et la modernité se côtoient dans ces pages. « Les textes du présent recueil témoignent, écrit-elle, d'une démarche qui mêle volontiers le plus immédiat environnement avec la fécondité d'un imaginaire puisé aux sources de la tradition et de l'oralité. Un univers qui enchevêtre mythe et réalité, quotidienneté et absurdité. » Plusieurs récits illustrent cet enchevêtrement de mythes et de réalités. Personne ne le fait avec autant de brio que le romancier Agualusa. Dans sa courte nouvelle sur la disparition de l'aventurier italien Carlo Esmeraldi, en route vers l'intérieur du pays, il évoque un gouffre béant « qui avalait les oiseaux du ciel et où le diable avait bâti sa demeure ». L'histoire d'Esmeraldi racontée du point de vue du chasseur qui a servi de guide à l'explorateur italien, s'inspire de l'histoire des premières expéditions européennes en Afrique, mais aussi des croyances ancestrales et des théories les plus modernes en astrophysique relatives aux « trous noirs stellaires ». La bellissima Joana, protagoniste de la nouvelle de Carmo Neto, est un autre « chasseur de rêves ». Celle-ci rêve d'amour, de beauté, d'ailleurs, jusqu'à en perdre raison ! Les cérémonies de lavage du mal, organisées par les proches de la jeune femme, ne réussiront pas à lui redonner le sourire qui « plaisait à ses voisins quand elle les saluait ». Les romanciers et nouvellistes réunis dans ce volume racontent aussi l'Angola contemporain. Ils mettent en scène avec humour et une grande puissance d'évocation : la faim (« Le drame de la grand-mère Tuturi »), la déception du petit peuple (« Le pionnier Lutte Continue »), les inégalités sociales (« Le goût de la jet-set »), les drames de l'immigration (« La force de vivre »), les heurs et malheurs de la société postcoloniale (« La nouvelle société »). Les personnages hauts en couleur et au destin souvent tragique qui peuplent ces pages hanteront le lecteur longtemps. (MFI) Chasseurs de rêves. Contes et nouvelles d'Angola. Traduit du portugais par Dominique Stoenesco et Iva Flores. Paris, Présence africaine, 2012. 368 pages