Les journées sont longues désormais et on peut envisager d'aller assez loin le temps d'un week-end. Pourquoi ne pas décider d'aller dans l'Ouest, au Kef par exemple, en empruntant, non pas l'autoroute où l'on ne voit rien d'autre que le macadam, mais l'ancienne G.P. 5 qui suit presque exactement l'antique voie romaine qui a certainement recouvert une route d'époque berbère ? Chez les romano-puniques N'en déplaise à l'Histoire Officielle, nous pensons, en nous appuyant sur des travaux récents, dont la thèse magistrale de M. Mohamed Tlili : « Les Confins Numido-puniques », que les territoires gérés directement : « La Chora », par Carthage s'étendaient jusqu'à Medjez El Bab. Sans doute, dans les moments de prospérité, la frontière était repoussée vers l'Ouest alors qu'elle revenait vers l'Est, durant les périodes de déclin. La route tracée par les Numides, à l'époque du roi Massinissa rejoignait certainement, à proximité de Medjez, une voie construite par les Carthaginois. Les deux peuples étaient liés non seulement par des mariages princiers mais aussi par des liens économiques. Les soixante premiers kilomètres de route, à partir de Tunis étaient jalonnés par de nombreux bourgs improprement déclarés « romains » alors qu'ils sont « berbéro-romains ». Les travaux de M.J.M. Lasserre ont prouvé qu'il n'y a jamais eu beaucoup plus de 10 % de Romains « italiens » en Afrique du Nord à cette époque. La « cuvette de Tunis » était parsemée de bourgades implantées de part et d'autre de la « voie romaine » telles que : « Thuburbo majus / Tébourba, Thubba / Chouigi, Furnos min … qui pourrait être l'actuelle Furna et Turris antique qu'on situe mal, mais qui devait être à une quinzaine de kilomètres à l'Est de Medjez. Dans ce bourg, la route « romaine » se dédoublait : une branche allait à Medjez, Testour, Aïn Tounga, l'autre passait plus au Sud vers Ksar Tyr et Vallis / Sidi Medien. Depuis Tunis et plus précisément à la Mornaguia, la route traverse de belles plaines fertiles, agrémentées, pour les curieux, du village construit autour des très beaux monuments : zaouïa et mosquée, dédiés à Sidi Ali Hattab. Nous sommes sur le territoire de Carthage. La Numidie contestée C'est à Medjez El Bab, la bien nommée, que le paysage change, que l'on entre dans une Numidie où la polyculture sur de petits champs, un habitat dispersé régnaient en maître récemment encore. D'ailleurs, si le pays plus à l'Ouest avait été carthaginois, donc conquis par les Romains après la chute de la métropole punique, pourquoi le Consul Metellus aurait-il convoqué Jugurtha, qu'il combattait, à Thisiduum / Grich El Oued, proche de Medjez, où son armée hivernait, en territoire romain donc, durant l'hiver 109 avant J.C. ? Medjez, l'antique Membressa, revivifiée par les Andalous au XVIIème siècle, garde la preuve de son passé berbéro-punique. Un grand tumulus érigé, à la sortie de la ville, à droite de la route, domine la contrée. Est-ce la sépulture du riche propriétaire terrien qui veille sur son domaine et la ville qui en faisait partie ? Sur les collines, au Nord, Toukabeur et Chaouach recèlent des nécropoles à Haouanet prouvant qu'elles sont d'origine berbères. De Sloughia à Testour, toutes deux refondées par des Andalous, le paysage est cultivé, semble-t-il, selon les prescriptions de l'agronome carthaginois Magon. Sont-elles allées en Espagne avec Hamilcar Barca et revenues en Tunisie avec les « Morisques » ? La Grande Mosquée, le Centre culturel construit pour la chanteuse Habiba Msika, les tuiles « rondes » patinées, la grâce de la zaouïa de Sidi Naceur El Garouachi, la grande place parfumée par les fleurs d'oranger et surtout notre curiosité nous dictent une longue halte à Testour qui le mérite. A la sortie de Testour, on passe l'Oued Siliana que Metellus suivit certainement pour aller assiéger Zama, une grande ville, EN PLAINE, donc pas Jama / Zama actuelle, que Jugurtha défendit victorieusement. Quelques kilomètres plus loin, au sommet de collines proches de la route, un autre grand tumulus berbère veillait sur la ville de Thignica / Aïn Tounga. On y trouvera, si on n'en a pas acheté à Testour, des « tabouna » chaudes et un excellent fromage parfumé au romarin ! Thignica aussi mérite une visite. Cette ville qui n'a jamais fait partie du territoire de Carthage a livré à l'ombre de sa belle citadelle byzantine, de très nombreuses stèles consacrées à un dieu Saturne africain, héritier de Baal Hamon punique. On y a découvert un magnifique nymphée dédié à Neptune. Et puis, on plongeait dans le magnifique défilé d'Aïn Jemala dont les militaires français se méfiaient jusqu'au siècle dernier. De grands travaux y font passer, actuellement, une belle route. Ah ! Les collines boisées d'Aïn Jemala abritant perdrix et sangliers à foison ! Et on arrive à téboursouk / Tubursicum bure. Si l'on a flâné le long de la route, l'hôtel-restaurant offre la possibilité de déjeuner très agréablement à l'ombre d'un vieil olivier. Ensuite, on passera vivement devant les vestiges de la citadelle, enclavée dans la ville, rien que pour prendre conscience de la puissance des révoltes berbères contre les Byzantins. De Aïn Tounga au Kef, sur 60 kilomètres environ, il y avait 5 forteresses pour protéger ces plaines. Nous n'irons pas aujourd'hui à Dougga qui mérite une journée entière de visite mais nous irons, peut-être, déplorer que la superbe forteresse d'Agbia / Borj Brahim, construite à la sortie de la « Nouvelle Dougga » soit détruite peu à peu, dans l'indifférence des Autorités culturelles. L'I.N.P. existe-t-il encore ? Peut-être, irons-nous faire un raid : la piste est carrossable jusqu'au site de Henchir Garn El Kebch / Aenobari (peut-être !) qui recèle une grande nécropole dolménique. Puis, un magnifique arc de triomphe enjambant jadis la route romaine, marque l'entrée de Mustis / El Krib. La bourgade berbère a été recouverte par la ville romaine construite par des vétérans romains, même ceux de sa tribu, de Marius le vainqueur de Jugurtha. Encore une question à poser à l'Histoire officielle. Pourquoi l'armée romaine, après avoir vaincu Jugurtha, installe-t-elle ses vétérans, en arc de cercle autour de Cirta / El Kef : à Thuburnica, Chemtou, Uchi majus, Mustis et Assuras / Zanfour au lieu de les placer autour de Cirta / Constantine capitale de Jugurtha, parait-il ? S'il y avait un territoire à « pacifier », et à surveiller, c'était celui de Cirta / El Kef, la véritable Capitale de la Numidie ? A gauche de la route, les forêts de pins du Jebel Bou Khelili dissimulent de nombreuses espèces d'orchidées. A droite, une petite route escalade les collines vers la mine et le col de Fedj El Hadoum. Si vous avez le temps, allez-y. De là, avec un bon 4x4, on peut redescendre vers la route joignant Dougga à Hammam Biadha. Les paysages sont superbes. Les chasseurs de bécasses en particulier, s'en « délectent ». Les perdrix et les sangliers y abondent. Sinon, on traversera ensuite le Khanguet El Guedim entre les Jebel Kebouch et Berkane qui était une des « poternes » du territoire d'El Kef. Nous pensons que l'on entrait dans cette ville – une place forte ! – par la porte Sud : Bab El Anine, aujourd'hui disparue, au pied de laquelle on arrivait après avoir contourné le Jebel Kebouch par le Sud, c'est-à-dire par la première route « romaine » menant à Haïdra et Tebessa. Vous voyez qu'il y a encore bien des routes antiques à redécouvrir et à parcourir, au printemps, qui fait éclore, dans les champs, mille fleurettes et chanter tout un peuple d'oiseaux.