Il existe un endroit où, en pleine campagne, dans un environnement de collines boisées ou couvertes de maquis, on peut interrompre une conversation et demander aux gens qui sont assis là : « Ecoute, écoute le silence ». C'est à Sria – Boujrir. La vallée oubliée Sria – Boujrir où est-ce donc ? C'est très simple d'y aller : à la sortie de Mateur, on emprunte la route de Tabarka. Puis, on traverse le bourg de Ghezala et ... le paysage change complètement : aux riches plaines à céréales du mateurois succèdent une multitude de collines consacrées à la polyculture et piquetées de petites exploitations agricoles. On est en Numidie ! Les crêtes commencent à être boisées. La route sinue en s'élevant à des altitudes modestes. Enfin on atteint un croisement : on quitte la route « nationale » P.7 qui va à Tabarka via Sedjenane et Nefza, et on emprunte, la C.58, vers Cap Serrat. Les mogods Chemin faisant, on arrive au pont de l'Oued Melah. Il y a quelques années, certains technocrates dans leur « rage » d'aménager le territoire avaient pensé barrer cet oued, comme tous ceux qui alimentaient le Lac Ichkeul, classé alors au Patrimoine mondial. On connaît la fin de l'histoire. Le lac Ichkeul, en tant que réserve mondiale de biosphère, est mort faute d'être alimenté en eau douce. Heureusement, le barrage sur l'Oued Melah n'a pas été construit. Naguère, des professeurs de géographie et des sciences de la nature amenaient régulièrement leurs élèves en ces lieux. A partir du pont sur l'Oued Melah, les enfants découvraient tout un monde de notions : des strates, des méandres, des terrains sédimentaires, du calcaire, du grés, des « poudings », des alluvions, l'érosion ainsi que des phénomènes volcaniques et une lave basaltique, un peu plus loin. Sur la même piste, on peut même observer des « ripple marks » : de « rides » formées sur le sable d'une plage, par la mer, il y a des millions d'années et durcies, fossilisées, transformées en pierre ! Un peu plus loin, après avoir longé le ravin par lequel l'Oued Melah se fraie un passage à travers les collines, il fallait s'arrêter pour observer et photographier « l'olivier plié ». Les vents, presque constants dans cette région et très souvent de secteur Nord-Ouest, ont fini par plier à angle droit un vieil olivier, au bois pourtant très dur, qui pousse au bord de la route. La vallée de boujrir Enfin, au col, d'où part la piste menant au dyke volcanique, on arrive à l'entrée de la vallée de Boujrir. On ne peut pas se tromper : désormais, la petite route va descendre en serpentant jusqu'au pont sur l'Oued Sedjenane, douze à treize kilomètres plus loin. Ces lieux pourraient aussi se nommer « la vallée des milans noirs ». Chaque année, quand dans les forêts des alentours, retentissent les appels du coucou, que les cailles chantent dans les près : « paye tes dettes, paye tes dettes » et que les buses reviennent planer du sifflant au-dessus des basses-cours pour y voler quelques poussins, apparaissent dans le ciel, de nombreux milans noirs. Des spécialistes viennent de loin pour les étudier, paraît-il. Ils décrivent des orbes dans les cieux printaniers, en compagnie de couples de vautours percnoptères et d'aigles de Bonelli. Dans les « dents » dénudées, ocre, couleur de terre de Sienne brûlée, du Jebel Akrat voisin, on peut parfois apercevoir de loin, car il est très farouche, un merle bleu. Les soirées d'été, les engoulevents chassent silencieusement au ras du sol. Il nous est arrivé de photographier des cailles, « affolées » par le son d'un appeau et d'observer, le soir, en buvant un café à la douce lumière d'une lampe à pétrole, une chouette effraie : « la dame blanche » posée sur la rambarde de la véranda. Il nous a été donné d'admirer un oiseau merveilleux, de la taille d'un moineau : le « Gorge bleue à miroir blanc » doté d'un plastron d'un bleu roi brillant bordé de roux vif et tâché d'un petit « miroir » blanc nacré : une véritable merveille. Un autres très bel oiseau : la « dame des bois » au plumage mordoré, la bécasse, fréquente les forêts et attire bien des chasseurs qui traquent aussi les lièvres, les perdrix et les sangliers abondants. Les grives viennent piller les oliviers et se régaler de baies dans les maquis. Au printemps principalement, les paysans locaux prennent, avec un matériel pour le moins sommaire, des barbeaux de plusieurs kilos dans l'oued Sedjenane qui est ici tout près de se perdre dans le lac de retenue de son barrage. Un peu plus loin, au lieu-dit « El Guetma » des potières fabriquent de superbes objets qui reflètent une influence berbère antique certaine. L'été, une superbe petite plage de sable : la Louka accueille les jeunes des alentours et des visiteurs que les foules des plages connues de Bizerte, de Kef Abed et de Cap Serrat rebutent. Un jeune homme entreprenant y a ouvert une « guinguette » où il sert une bonne nourriture simple et peu onéreuse. Le silence est omniprésent ici, au printemps quand, au cours d'une promenade, on recherche les différentes espèces de fleurettes et d'orchidées sauvages qui parent les près et les sous-bois ou quand l'on va chercher, en automne, des champignons délicieux tels que les grandes lépiotes ou des baies de myrte : « le rihane », en hiver. Le silence règne sur les « campings » installés à l'ombre parfumée des eucalyptus quand on guette, à la tombée de la nuit, les grognements d'un porc-épic irascible ou que l'on attend le « concert » de hurlements d'une meute de chacals qui se rassemblent avant de partir à la chasse. La nuit, les sangliers viennent dans le campement, attirés par les odeurs de nourriture. Parfois, les hurlements lugubres du Grand Duc trouble le silence nocturne. L'accueil Un propriétaire entreprenant a fait, un jour, construire un joli petit « chalet » sur ses terres en bordure de ses bois. A Boujrir et aux alentours tout est possible. Le randonneur débutant ou âgé, peut aller flâner, le long de la route jusqu'au hameau de Souk Essebet ou au pont de l'Oued Sedjenane. Chemin faisant, il repèrera les tombeaux rupestres près du hameau et, en automne, dans les près ou en bordure des bois, il cueillera au retour, les « grandes Lépiotes ». Grillées sur un feu de bois ou de charbon, garnies d'une noisette de beurre mêlée de persil frais : elles sont délicieuses. Les randonneurs aguerris et les chasseurs disposent de toutes les collines voisines boisées ou couvertes de maquis. Les amateurs d'écotourisme seront ravis de découvrir une faune et une flore méditerranéennes très riches et très variées. Les nombreuses pistes forestières peuvent convenir à tous les pratiquants de vélo tout terrain. Ils n'auront que l'embarras de choisir l'itinéraire adapté à leurs capacités. On pourrait aussi espérer faire, un jour, des randonnées équestres sur les collines environnantes ou des « raids » à cheval dans toute la région. Ce serait facile à organiser au pays d'une race de chevaux, aux qualités incomparables : les poneys des Mogods. Ce sont de petits chevaux, rustiques, dociles, au pied très sûr. La région est parsemée d'exploitations agricoles qui pourraient servir de halte, le soir et fournir un abri, de la nourriture et de l'eau aux cavaliers ainsi qu'aux montures. A quand une véritable politique de tourisme vert, durable, procurant des revenus aux populations locales, oubliées par l'industrialisation et défavorisées par des sols pauvres ? Boujrir, un « coin » encore très tranquille, à un peu plus d'une heure de voiture de Tunis par de bonnes routes goudronnées. Les multiples « centres d'intérêt », qu'il offre, sont à même de satisfaire bien des curieux. La Nature y est encore assez bien préservée. Les gens qui y habitent sont accueillants. N'est-ce pas suffisant pour y aller, ne serait-ce que pour voir ?