L'ISIE n'était pas encore élue que, déjà, le tonnerre grondait, qu'on la donnait pour suspecte et carrément cooptée par la majorité au sein de l'ANC. Dans l'exercice démocratique authentique – l'a-t-on oublié ? – il est tout à fait normal, logique même que les élections au sein de l'instance législative reflètent les rapports de forces. Il est tout aussi logique que les dissensions au sein de l'hémicycle fussent acerbes, trop passionnées. Mais les vociférations, les insultes mutuelles, les épanchements agressifs de nos constituants (conflits et échanges de propos injurieux retransmis directement à la télévision) sont pour le moins malséants et offrent une image dégradante de la démocratie. Il est vrai que la démocratie qui s'est installée après la révolution est en train de perdre ses repères. Il est tout aussi vrai qu'elle dévie de ses principes fondateurs, parce que quelque part elle est asservie à la puissance du parti dominant en même temps qu'elle est décriée par les partis de l'opposition dont la gauche pure et dure qui continue de croire en la dictature du prolétariat. Quant aux partis modérés et dits libéraux, il y en a qui utilisent et instrumentalisent Bourguiba comme cheval de bataille, tandis que d'autres ont déjà fabriqué leur cheval de Troie, qui déversera le jour de la bataille, les caciques recyclés et les apparatchiks de l'ancien régime. En revanche il est curieux de constater qu'il existe une tendance à la désinstitutionalisation de l'Etat. On reproche à Ennahdha ses milices Salafistes et le blanc seing accordé aux Ligues de protection de la Révolution même si Rached Ghannouchi a affirmé s'en être éloigné jetant la balle dans le camp judiciaire pour leur dissolution. Mais l'opposition fait de même avec la prolifération de formations telles que Tamarrod et d'autres groupuscules. Les choses s'embrouillent de ce fait. Et l'on franchit allègrement le pas entre jeu des partis et rapport de forces dans le sens propre du terme, entre milices de toutes les colorations. Dans un cas comme dans l'autre, nous serions dans le champ du fascisme pur et dur, produit des révolutions et d'un ordre nouveau, mais ennemi de la démocratie. Le bon peuple en a marre de comprendre de moins en moins ce qui se passe. Car ce bon peuple a justement besoin de stabilité, de sécurité, d'emplois, de bien-être et de pouvoir d'achat décent. Est-ce raisonnable aujourd'hui, alors que les impératifs socio-économiques et sécuritaires sont impérieux, d'appeler au limogeage du gouvernement et à la dissolution de l'ANC ? Cette histoire de légitimité supposée avoir pris fin le 23 octobre n'est-elle pas simpliste ? Ali Laârayedh a à maintes reprises solennellement affirmé que les élections se dérouleraient avant la fin de 2013. Abdellatif Mekki dit qu'elles se dérouleraient, au plus tard, dans les deux premiers mois de 2014. Nous sommes en effet dans une ligne droite. Alors patientons donc un peu, le temps que les institutions de l'Etat fonctionnent normalement et que l'ANC « accouche » de la Constitution. C'est même, paradoxalement, au bénéfice de l'opposition : cela lui permettra de se réseauter, de se structurer et de peaufiner ses programmes.