Rien n'est plus dangereux dans une société qu'un discours haineux incitant à faire du mal à autrui. Cette haine prend des proportions encore plus grandes lorsqu'elle est diffusée par les médias du fait de l'influence qu'elle exerce sur les récepteurs. Le terrain actuel en Tunisie favorise ces pratiques malsaines, étant donné que l'absolutisation de la liberté d'expression entraîne, forcément, une théâtralisation médiatique. Pour lutter contre ces écarts de conduite aux conséquences néfastes, il faut l'intervention énergique de l'instance de régulation de l'audiovisuel qu'est en l'occurrence la HAICA. Mais remplit-elle bien sa tâche dans cette conjoncture extrêmement délicate? Et quels moyens faut-il mettre en application en vue de lutter contre ce fléau ? Emergence du phénomène Le discours de la haine dans nos médias s'est propagé ces derniers temps comme le montrent les chiffres suivants établis par une étude faite, dernièrement, par la HAICA et relatifs au volume de dépassements commis par les différents organes médiatiques: 73% dans la télévision, 72% dans la presse écrite et 68% dans la radio. Ce sont des résultats alarmants. Cela sans parler du dernier plateau de la chaîne privée Nessma contre la quelle la HAICA a sévi en lui infligeant une suspension d'un mois de son émission incriminée. Un fait est sûr c'est que l'apologie de la violence n'est pas spécifique aux pays qui connaissent des transitions démocratiques, elle pourrait apparaître dans d'autres circonstances, en ce sens qu'elle n'est pas seulement suscitée par les rivalités entre les politiques mais aussi par d'autres facteurs internes tels que le fondamentalisme religieux, comme c'est le cas, actuellement, chez nous. En fait, ce phénomène a commencé à apparaître dans le monde au début des années 90 avec le développement de la liberté d'opinion et la liberté d'expression. Ces libertés s'étaient encore accrues avec l'avènement des réseaux sociaux, le cadre de prédilection de la stigmatisation et de la promotion de la violence. Toutefois, au-delà de l'accroissement de ces libertés, les conditions essentielles en favorisant l'émergence sont la déficience de l'Etat et le dysfonctionnement de l'appareil judiciaire. Ce sont là les caractéristiques des pays des révolutions du « printemps arabe », en particulier en Libye où l'Etat a cessé d'exister. C'est aussi le cas, dans une certaine mesure, de la Tunisie où les rouages de l'Etat sont confisqués à cause des nominations partisanes. Cependant, le discours de la haine peut être développé en la présence d'un Etat fort lorsqu'il met la main sur les médias au nom de la sûreté nationale auquel cas ces derniers jouent le jeu du gouvernement. On l'a avec les Etats Unis lors de l'invasion de l'Irak en 2003 à travers le « Patriot Act » où les journalistes, accompagnant les militaires, n'étaient autorisés de rapporter que ce que ces derniers leur permettait de faire. Le Plan d'action de Rabat En fait, il n'y a pas de définition précise de l'expression « discours de la haine ». Le Plan d'action de Rabat, qui a recommandé de couvrir l'événement de manière factuelle et de promouvoir la compréhension, a établi des critères permettant de juger si les propos ont dépassé le seuil toléré ou pas, c'est-à-dire s'ils sont haineux ou pas. Il s'agit du contexte, de l'auteur de ces propos, de son intention, du contenu et de l'intensité de son discours, c'est-à-dire son étendue et l'éventualité que la violence à laquelle il incite se produise. L'application de ces paramètres devrait s'accompagner d'une grande précision afin d'en éviter tout mauvais usage. C'est pourquoi il faudrait procéder à une évaluation profonde du contexte dans lequel intervient ledit discours pour vérifier si l'infraction a atteint un certain degré de gravité. Autrement dit, à travers cette vérification, on devrait prendre en considération la situation qui règne dans le pays au moment de sa survenue. Concernant le deuxième critère, il faudrait voir le statut, la position, l'autorité et l'influence de l'auteur du discours. Si l'examen de ces deux critères ne pose pas de problèmes, celui relatif à l'intention de celui-ci est difficile à déterminer, puisqu'il est question de savoir s'il y a une volonté délibérée de la part de l'auteur du discours de s'engager dans cette sphère de la haine et d'en réaliser à l'avance les conséquences. Pour ce qui est du contenu de l'expression, on devrait vérifier la nature des arguments, le style employé ainsi que les personnes visées. Enfin, quant à l'étendue et l'intensité du discours, il faudrait établir le rapport de cause à effet et l'impact potentiel, c'est-à-dire déterminer si l'auteur du discours a les moyens pour causer le préjudice et si la cible a souffert. Le transcendantal Le discours de la haine repose sur la diabolisation de l'autre. Il est provoqué par plusieurs facteurs parmi lesquels il y a la culture et la politique comme on vient de le voir. Nonobstant, il est également le fait des gens du métier, puisque certains propriétaires de médias engagent des journalistes sans qualification aucune. D'autre part, il y en a qui sont crées par des non professionnels. S'ajoute à tout cela le fait que l'objectivité du journaliste est toute relative. Dans la presse écrite, le financement est souvent opaque, ce qui fait que des journaux naissaient juste le temps de mener des attaques contre l'adversaire politique de leurs sponsors avant de disparaître subitement sans crier gare. Des partis et acteurs politiques créent des stations de radio et des chaînes de télévision non pas pour faire connaître leur programme mais pour mener des campagnes de dénigrement à l'encontre de leurs adversaires politiques. Dans les médias d'Etat, les hommes au pouvoir instrumentalisent les journalistes pour diaboliser les opposants, promettre monts et merveilles aux futurs électeurs, et surtout, étouffer les scandales financiers, judiciaires et autres. Tous ces éléments réunis favorisent le développement du discours de la haine. Les moyens susceptibles de lutter contre ce fléau se ramènent à trois: le renforcement de l'autorégulation par la diffusion des règles d'éthique, la consolidation des capacités professionnelles et l'installation d'un monitoring quotidien des médias afin de sévir contre les contrevenants. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit les conditions de restriction de ces libertés, parmi lesquelles celle d'expression, en vue d'interdire cette incitation à la haine. Cependant, la l'article 20 de la constitution tunisienne relatif à la liberté d'expression et à la liberté de la presse préserve-t-il la liberté de confession garantie par le même texte ? Interdit-il les insultes à l'égard des non croyants et des croyants d'une autre religion ou d'une autre secte ? Quel est le transcendantal en cette matière, la loi ou bien la religion ?