Le taux de participation aux élections législatives du 26 octobre 2014 a atteint 68%, ce qui signifie en d'autres termes, que 3,6 millions de Tunisiens sur un total de 5,2 millions d'inscrits n'ont pas daigné faire le déplacement pour élire leurs députés, et que de ce fait la moitié des Tunisiens en âge de voter ne se sont pas acquittés de leur droit/devoir de vote compte tenu du potentiel électoral national qui s'élève à plus de 7 millions, comme ce fut le cas lors des premières élections historiques du 23 octobre 2011. Et quand on sait que la moitié de la population en Tunisie est constituée de jeunes de moins de 30 ans, c'est que la moitié de la masse électorale est quasi essentiellement jeune ; puis, si on tient compte que seuls 21% de ce potentiel électoral jeune ont voté, il nous est permis, loin de mettre en cause le scrutin, au moins de dire qu'il aurait pu être mieux révélateur et que les heureux élus auraient pu être mieux représentatifs, si les jeunes avaient été plus massifs à affluer aux bureaux de vote. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, ils nourrissaient l'espoir de voir la Tunisie, leur cher pays, évoluer en véritable démocratie où la notion de liberté n'est plus un vain mot; ils admiraient à l'envi leurs semblables dans les démocraties occidentales qui avaient la voix libre et la langue déliée, partageaient le même espoir, celui de voir le régime de Ben Ali déchu et de bâtir une démocratie en Tunisie. Trois ans plus tard après la chute de Ben Ali, les jeunes Tunisiens sont méconnaissables, décevants parfois. Lorsque l'occasion se présenta à eux pour traduire en fait ce désir ardent d'égaler celles et ceux du monde libre en droit à l'exercice libre et souverain de la parole et de l'opinion, pour exaucer enfin ce vœu cher qui leur caressait l'esprit, et cette quête inassouvie de la démocratie, ils ont tout simplement brillé par leur absence, ils ont manqué à l'appel du devoir de citoyenneté, ratant ce rendez-vous avec l'histoire,... et l'occasion de se prévaloir du droit inespéré au vote. Et quand on approche un jeune pour lui demander pourquoi il n'a pas voté, il n'a pour d'autre réponse, tel un leitmotiv, que de prétendre que sa voix ne sera d'aucun apport, que rien ne changera et que rien ne sert d'élire un représentant qui vous tournera le dos pour faillir sans gêne à ses promesses électorales, sitôt élu. Cette attitude démissionnaire des jeunes vis-à-vis de la vie publique en général, et de la vie politique en particulier, est inquiétante. On croyait que l'avènement de la Révolution allait donner des ailes à une jeunesse sevrée, avide de liberté et de démocratie ; les conditions maintenant sont des plus favorables pour nos jeunes pour briller de mille feux, pour confirmer l'étendue de leurs talents autrefois brisés, et pour s'imposer en tant que forces vives, au pouvoir évident et influent. L'heure pour eux, dans ce contexte post révolutionnaire de toutes les libertés, est à l'engagement politique et associatif ; mais contre toute attente, les deux échéances électorales du 23 octobre 2011 et du 26 octobre 2014 nous ont appris combien nous étions dans l'erreur à compter sur les jeunes pour influer sur le scrutin et assurer le salut du pays, à un moment historique, grave et déterminant. Certes, toute généralisation est hâtive, et il est à admettre que nombreux sont les jeunes qui ont su saisir à deux mains cette aubaine et qui n'ont pas perdu beaucoup de temps pour s'immiscer dans la vie politique et s'engager corps et âme dans le travail associatif exemplaire et salutaire, l'exemple de ces centaines de jeunes volontaires ayant agi sous la bannière de « Mourakiboun » et de « Atide » pour le contrôle des élections, en apporte la preuve : ils ont fait montre de beaucoup de dévouement, de patriotisme et d'un sens développé de la responsabilité, parvenant à gagner l'estime et l'admiration et à constituer pour nous autres Tunisiens un vrai motif de fierté. Mais nous aurions tous souhaité une affluence plus accrue de tous les jeunes en âge de voter sur les bureaux de vote pour faire entendre leur voix, pour marquer de leur empreinte le scrutin à la lumière duquel seraient désignés celles et ceux qui auraient la charge de gouverner le pays. Par leur abstention inexpliquée et incompréhensible, ils ont failli au devoir sacré d'honorer la mémoire de nos valeureux martyrs qui n'ont sacrifié leur vie qu'à la faveur de ces précieuses heures de gloire, de liberté et de démocratie dont nous jouissons pleinement aujourd'hui et qu'ils n'ont pas eu la chance de partager avec nous; en se tenant à l'écart, ils nous donnent l'impression qu'ils manquent de maturité et qu'ils se plaisent dans leur statut de « peuple enfant » dans le besoin constant d'être assistés et guidés, non à leur guise. Les solutions ? Que faire pour pallier la démission des jeunes et à leur désintérêt à l'égard de la vie politique et du processus électoral ? Si rien ne se fait pour eux, rien ne changera, et si cette tendance au désistement à la participation au vote se maintient, il est à craindre à moyen terme pour la représentativité du scrutin. Car différentes études ont prouvé que le vote initial est déterminant, qu'un jeune qui ne vote pas dès qu'il en jouit du droit risque bien de ne jamais voter et qu'il est plus facile, de ce fait, de susciter et de maintenir la participation électorale une fois qu'elle est acquise que d'aller chercher un jeune qui rechigne au processus électoral. Il faut donc travailler à promouvoir chez les jeunes l'engagement et la volonté de participation citoyenne à tous les niveaux. En oeuvrant à gagner leur adhésion aux rouages de la vie publique, on les initie aux contraintes qu'impose la vie en société, dont la participation au vote. En outre, les partis politiques auront tout à gagner à s'ouvrir davantage sur les jeunes, à leur concéder plus de place, à leur accorder plus de chance, à les hisser au devant de la scène pour apprendre à s'assumer et à prendre leur destin en main, pour s'exercer au dur métier de meneurs. Les médias, à leur tour, plutôt que solliciter à l'excès les têtes d'affiches, devraient se tourner vers les jeunes activistes au sein des partis, leur donner la parole et leur donner à s'exprimer pour parler au nom du parti auquel ils sont affiliés, dans un langage que comprendront plus aisément celles et ceux de leur âge qui continuent à faire la sourde oreille aux appels incessants à l'engagement citoyen et à la participation massive aux choses de la vie publique, politique et associative.