«Les bandits ont forcé la jeune fille à boire du vin jusqu'à ce qu'elle s'effondre et n'ait plus la force de leur opposer une résistance. Ils ont alors abusé d'elle puis l'ont tuée. » Ceci n'est pas un extrait d'un roman pour adultes avertis mais bel et bien d'un conte tunisien pour enfants. Un autre passage évoque une autre scène tout aussi violente et terrifiante dans laquelle un voleur, ne pouvant retirer une bague en or du doigt de la jeune fille précédemment assassinée, rapporte une hachette et lui coupe le doigt pour pouvoir retirer aisément le bijou. Quand la fiction dépasse l'entendement! Intitulé « Le fiancé voleur », ce petit livre illustré est l'un des nombreux titres édités par une maison d'édition basée à Nabeul. Interrogé au sujet de ces passages qui ont suscité l'émoi des internautes durant tout le week-end, l'éditeur s'est défendu en affirmant que ce conte était une fidèle adaptation d'un livre allemand pour enfants tout en ajoutant que cette édition avait été rapidement retirée du marché en 2011, à cause de la gravité de son contenu et aussitôt remplacée par une autre mieux adaptée à un jeune lectorat. Il a également tenu à préciser que le responsable de la commission de lecture de l'époque avait était également remercié pour faute grave. Certes, l'ancienne édition contenant des passages extrêmement violents a été retirée du marché mais le fait est que certains exemplaires ont été vendus et sont toujours en circulation. Cette polémique n'est pas sans rappeler celle soulevée, il y a deux mois, par le livre pour enfants intitulé « La décision maladroite ». Edité en langue arabe, ce conte évoque l'idée d'un suicide collectif chez une bande de lapins qui n'en pouvaient plus d'avoir peur des loups et des chasseurs mais qui y renoncent à la fin. Bien qu'édité depuis quelques années déjà, ce conte a refait surface en janvier quand une parente l'a découvert dans la bibliothèque de son enfant et l'a feuilleté. Choquée par son contenu, elle a décidé de partager son indignation sur les réseaux sociaux, créant ainsi une véritable boule de neige puisque plusieurs médias ont aussitôt relayé l'information et que le Ministère de l'Education a même été interrogé à ce sujet lors d'une conférence de presse. Absence de contrôle: bonne ou mauvaise décision ? L'histoire des lapins suicidaires aurait peut être pu passer inaperçue si elle n'avait pas coïncidé pas avec une vague de suicides juvéniles dans plusieurs régions tunisiennes qui affole les autorités et inquiète les citoyens. Si aucune plainte n'a été déposée contre la maison d'édition, cette affaire a toutefois eu le mérite d'alerter les parents sur le danger que représentent certains contes pour enfants. Et les exemples sont malheureusement bien nombreux puisque de nombreux autres livres, au contenu inapproprié pour les enfants, ont été pointés du doigt et ont connu le même sort sur les réseaux sociaux jusqu'à en arriver au dernier en date, « Le fiancé voleur », banalisant notamment le viol et la violence. Mais comment expliquer ces dérives ? N'y a-t-il pas un moyen pour superviser le contenu de ces livres et limiter les dégâts ? Jusqu'en 2008, les éditeurs et les imprimeurs pliaient sous le joug d'une mesure étatique qui les condamnait à attendre l'autorisation d'une commission composée de représentants de différents ministères dont celui de la Culture ou encore de l'Intérieur avant de pouvoir diffuser leurs publications. Instaurée pour imposer un strict contrôle sur toutes les publications dans le but d'exercer une censure idéologique castratrice, cette mesure a ouvert, bien grandes, les portes à la dictature mais aussi à la corruption et au chantage avant d'être abrogée quelques années avant la fin du règne de Ben Ali. Depuis, les maisons d'édition ne sont sujettes à aucun contrôle et c'est tant mieux pour la liberté d'expression et de création ! Mais que faire pour protéger les plus jeunes des livres qui banalisent des horreurs ? Pour Chedly Garouachi, éditeur et auteur de nombreux contes pour enfants, la solution n'est pas d'imposer un contrôle avant la publication d'un ouvrage mais plutôt après. Le Ministère Public, celui de la Culture ainsi que celui de le Femme, de la Famille et de l'Enfance doivent veiller au grain et poursuivre en justice tout éditeur qui se permet de diffuser des ouvrages portant atteinte aux valeurs fondamentales de notre société. L'écrivain ajoute que la société civile a aussi un important rôle à jouer pour dénoncer ces dérives et mettre la pression sur les maisons d'édition pour proposer du contenu de qualité aux enfants. Mais qu'en est-il du Ministère de l'Education ? Outre les manuels scolaires, le Ministère de l'Education n'a aucun droit de regard sur les livres pour enfants sauf quand une maison d'édition demande une autorisation pour pouvoir diffuser ses ouvrages dans des établissements scolaires. Chaque œuvre est alors soumise à l'examen minutieux d'une commission spécialisée, constituée entre autres d'inspecteurs pédagogiques, qui accordera ou non le précieux Sésame. En cas d'aval, la maison d'édition est alors autorisée à exposer et à vendre ses ouvrages dans l'enceinte de l'établissement scolaire, à l'exception des parascolaires formellement interdits à la vente dans les établissements scolaires. Une partie des bénéfices, 20% plus précisément, est alors reversée à l'Association du Travail de Développement. Existant dans chaque établissement scolaire étatique, cette association est toujours présidée par le directeur de l'école et devrait toujours compter des parents d'élèves parmi ses membres.