Il est incontestablement le plus Tunisien des chefs cuisiniers étrangers. Lui, c'est Carlos Marsal, chef de cuisine à la Résidence de France en Tunisie depuis août 2010 mais dont la mission arrivera à terme en juillet prochain. Le Temps a rencontré cet homme passionnant et passionné, digne ambassadeur de la gastronomie française, dont le grand coeur n'a d'égal que le talent raffiné. Au fil des années, il en a visité des pays, occupé des postes et cuisiné pour des personnalités, leur concoctant à chaque fois des plats aussi délicieux qu'inventifs. Mais la vie du Chef Carlos ne se résume pas à la cuisine puisque ce touche-à-tout est aussi passionné d'alpinisme mais aussi de musique. Il a d'ailleurs écrit plusieurs chansons et même poussé la chansonnette dans un album intitulé « L'amour comme ça ». Féru de sensations fortes, il a également participé à plusieurs expéditions. Homme de coeur, il a fait de la cause des enfants malades la sienne. Portrait. Enfant, Carlos Marsal voulait devenir journaliste, reporter de guerre ou encore paysan. Le destin en a décidé autrement et c'est derrière les fourneaux qu'il s'est retrouvé dès son plus jeune âge, déclinant une recette par-ci, en créant une nouvelle par-là, s'émerveillant devant chaque produit de qualité, mêlant la terre à la mer, mariant les saveurs et fusionnant les textures, pour le plus grand bonheur de ceux qui goûtent ses plats. « On ne peut pas réussir en cuisine si on n'aime pas les produits et qu'on ne sait pas les apprécier à leur juste valeur. » A ses débuts, chef Carlos a été cuisinier intendant à l'ambassade de France en Bulgarie puis en Géorgie. Par la suite, il a été choisi pour être chef cuisinier à l'ambassade de France en Algérie. Juste avant de venir travailler à la Résidence de France en Tunisie, il était le cuisinier privé du Premier ministre du Qatar. Un parcours riche en expériences, consolidé par de très nombreux voyages aux quatre coins du monde. Fort de ses origines mi-bretonnes, mi-catalanes et de ses périples qui lui ont fait, à chaque fois, découvrir de nouvelles recettes et saveurs, il se distingue aujourd'hui par une cuisine vivante, goûteuse, raffinée mais surtout ouverte sur les autres. Tout un art ! chef Carlos adore inventer de nouveaux plats, passer des heures voire des jours à retravailler des recettes, à en modifier les ingrédients, à repenser le dosage des épices et à retoucher les saveurs jusqu'à ce que le tout atteigne enfin la perfection gustative. C'est d'ailleurs ce qui lui manque actuellement. « Depuis quelque temps, je ne trouve plus vraiment l'occasion d'inventer de nouveaux plats. J'ai sans cesse besoin de sortir de ma zone de confort, de repousser mes limites et d'être dans la création pour ne pas étouffer. », déclare-t-il. Homme de cœur et de passions Son succès, Chef Carlos Marsal le doit certes à son talent et à sa cuisine tout en émotions mais aussi à son humilité et à son sens du partage. Jamais avare en compliments envers les membres de sa brigade, il se plait à chaque fois de rappeler que la cuisine est avant tout un travail d'équipe. Ses amis comme ses pairs reconnaissent en lui de hautes qualités humaines. Père de trois filles, chef Carlos est particulièrement sensible à la cause des enfants malades. Si en France il soutient depuis des années le combat de l'Association « Les balles blanches », en Tunisie il apporte tout son soutien à l'Association « Omniyati » qui réalise les rêves des petits malades souffrant de maladies graves. Du 3 au 5 avril 2014, il a d'ailleurs participé à l'Arctic Circle Race, à -30°C au dessus du Cercle Polaire, au Groenland, afin de transmettre un message d'espoir aux enfants hospitalisés de Bab Saadoun et notamment à la petite Zeyneb, qui souffrait d'un cancer et qui s'en est aujourd'hui remise. Dans un élan du coeur, il a remis la peluche que lui a confiée la petite fille à un des enfants Inuits et lui en a ramenée une en retour provenant de l'autre bout du monde. L'année d'avant, chef Carlos avait participé à l'ascension du Pic Lénine. Il prévoyait de planter à son sommet, situé à 7134 m, les drapeaux tunisien et breton ainsi que le fanion de l'Association des « Balles Blanches » mais un imprévu l'en a empêché. Il a quand même eu le mérite de les faire flotter à plus de 5400 m d'altitude. De retour de son périple, il a déclaré: « Je ne suis pas allé au sommet. Je me suis arrêté à 6000 m, j'avais des gelures et un mal de tête. J'ai donc quitté la cordée russe et je suis retourné à 5400 m pour reprendre des forces et y passer la nuit. Mais un alpiniste français s'est tué dans une crevasse près de ma tente. J'ai participé à l'évacuation du corps avec 4 Russes. Nous avons pris beaucoup de risque, car c'est la zone la plus dangereuse avec des crevassées fermées et des pentes abruptes. Je ne suis pas un héros, je n'ai fait que mon devoir. Suite à cet accident mortel, j'ai décidé de reporter l'ascension à l'année prochaine.» En participant à cette aventure périlleuse, Carlos Marsal n'en était pourtant pas à son coup d'essai. Il a en effet entrepris par le passé trois expéditions réussies au Groenland en 2004, 2005 et 2011, en plus d'un hivernage en Antarctique en 2007 et l'ascension du Kazbegi (5034m) en 2012. Des racines et des ailes Entre la Tunisie et Chef Carlos Marsal, une belle histoire de complicité est née. Pour lui, elle représente l'hospitalité, les couleurs du soleil et les parfums d'une cuisine de patrimoine. Il considère d'ailleurs que la cuisine tunisienne a toute sa place à l'international et encourage les chefs tunisiens dans leurs efforts de valorisation des mets tunisiens. Il déclare à ce propos: « Contrairement à la cuisine marocaine qui a bien su s'exporter depuis des années, la cuisine tunisienne manquait jusqu'à un passé proche d'ambassadeurs. La Tunisie a un riche patrimoine culinaire qui ne se résume pas au couscous et au brik. Heureusement, les chefs tunisiens ont pris conscience de ce fait et ne ménagent désormais plus aucun effort pour faire découvrir au monde ce riche patrimoine qu'ils ont su faire évoluer. » Son mets tunisien préféré ? « Le barkoukech, répond-il en ajoutant : « J'ai découvert ce plat traditionnel à Gafsa où une femme de plus de 70 ans était en train de le préparer. J'ai immédiatement été captivé par la scène et par la gestuelle, le parfum et les couleurs. J'ai été impressionné par la maîtrise de cette dame et de la manière avec laquelle elle transmettait son savoir-faire, son dosage d'épices normalement tenu secret. C'était extraordinaire de voir tout l'amour qu'elle mettait pour préparer ce plat. Durant ces cinq dernières années, Chef Carlos a su nouer d'excellentes relations amicales avec les Tunisiens et encore plus avec les chefs cuisiniers. Il a d'ailleurs été l'un des premiers à les féliciter pour la création de leur association, l'ATPAC, l'Association Tunisienne des Professionnels de l'Art Culinaire. Sa participation au concours Cooljina en tant que membre du jury l'a fait découvrir et apprécier du grand public. Au lendemain de la réception du 14 juillet, Chef Carlos Marsal quittera définitivement son poste à la Résidence de France et partira vers de nouveaux horizons. Il occupera pour deux ans le poste, non moins prestigieux, de Chef de cuisine auprès du Préfet de Police de Paris. Emu, il déclare : « C'est toujours triste de quitter un poste, une équipe , mes collaborateurs. C'est dur de quitter la Tunisie. » Mais Chef Carlos l'assure, ce n'est qu'un au revoir !