Les salles du Rio et du Ciné Madart ont accueilli un festival en quinze films mettant en valeur la nouvelle génération des cinéastes arabes. Plein succès pour cette initiative du Fonds arabe pour les Arts et la Culture... Festival itinérant, la Semaine du cinéma arabe indépendant vient de se dérouler entre Carthage et Tunis du 25 mai au 1er juin. C'est la troisième fois que ce festival est organisé alors que la Tunisie accueillait cette manifestation pour la première fois. La Semaine du cinéma arabe indépendant est une initiative du Fonds arabe pour les Arts et la Culture (AFAC). En Tunisie, ce sont les salles Le Rio et Ciné Madart qui se sont jointes à cette initiative et ont pesé de tout leur poids pour assurer son succès. Il s'agit de deux salles ouvertes à tous les arts et faisant partie d'un réseau novateur qui compte également El Hamra, le Mondial, le Ciné-Vog ou l'Agora et d'autres encore. Un chapelet de petites salles Ce réseau de salles est en train de rendre au cinéma ses lettres de noblesse. En effet, animées par des jeunes cinéphiles et de vieux routiers de la culture, ces salles ont eu un impact certain sur le retour de la cinéphilie. De petite taille, autogérées, menées par des connaisseurs, ces nouveaux espaces culturels ont permis de revivifier la cinéphilie, tout en sauvant les meubles. En effet, sans les initiatives de leurs nouveaux promoteurs, ces salles auraient purement et simplement disparu. Il suffit de regarder ce qui est advenu récemment du Ciné-Soir, du Biarritz ou du Capitole pour se rendre compte que ce sont de tout autres promoteurs qui ont repris ces salles vouées depuis au commerce de détail et à la mode du prêt à porter. Heureusement pour le Rio ou Ciné Madart, les choses se sont passées autrement. Et aujourd'hui, ces salles s'inscrivent dans un réseau vertueux qui vient de proposer au public une belle manifestation avec cette Semaine du cinéma arabe indépendant. La montée des novateurs Originalité de ce festival, les films sont présentés par leurs auteurs qui font le déplacement, rencontrent le public et défendent leur oeuvre. Ainsi, seize films entre oeuvres longues et courtes étaient au programme de cette semaine AFAC. Des films de qualité, surprenants par leur envergure, leur humour et leur technique maitrisée. Les Tunisiens étaient bien entendu présents avec les oeuvres du moment, notamment "Hédi" de Mohamed Ben Attia et "A peine j'ouvre les yeux" de Leyla Bouzid. Naceur Khmir était également présent avec "Yasmina ou les soixante noms de l'amour", son tout dernier opus. La participation tunisienne est complétée par "C'était mieux demain" de Hind Boujemaa. En somme, des oeuvres représentatives des mouvances actuelles même si Naceur Khmir fait figure de vieux routier. Toutefois, Khmir est en renouvellement perpétuel, travaille énormément sur l'hybridation des idées et parvient à produire des oeuvres inclassables, profondément personnelles à l'image de son emblématique "Baba Aziz", l'une de ses oeuvres maitresses. L'Algérie était représentée par "Contre-pouvoirs", un film de Malek Bensmail qui propose une plongée dans l'univers d'un quotidien algérois sur fond de démocratie vacillante et de mise sous contrôle du quatrième pouvoir. Sobre et éloquent, ce documentaire de 97 mn est une analyse du travail des journalistes et une rencontre avec ces derniers alors qu'ils sont confrontés au doute et parfois à la peur des représailles contre leur prise de parole. Hormis ces cinq oeuvres, tous les autres films proviennent du Machreq arabe. De fait, ce festival a un angle aveugle et ne parvient pas à embrasser avec harmonie toute la scène arabe. Une plus grande diversité aurait permis de suivre l'actualité du cinéma marocain ou bien constater les progrès des cinéastes koweitiens, pour ne citer que ces exemples. Reflets libanais et palestiniens Toutefois, les films sélectionnés, essentiellement en provenance du Liban et de la Palestine, méritaient le détour. Ces oeuvres contemporaines également venues de Syrie ou d'Egypte donnaient un véritable focus sur ces cinématographies en plein essor et qui vivent, comme en Tunisie, une montée des novateurs. Au coeur des problématiques actuelles, ces films sont souvent des co-productions avec la France ou le Canada. Ces oeuvres portent en creux et en filigrane toutes les problématiques et les crises arabes. A ce titre, elles constituent un reflet idéal, des clés de compréhension d'une région en pleine tourmente. Dans "Nous étions communistes", Maher Abi Samra pose son regard de documentariste sur les terribles logiques confessionnelles et destructrices. Ce réalisateur libanais revient ainsi sur la guerre civile et ses déchirements à travers les récits de quatre témoins. Dans "The Wanted 18", le Palestinien Amer Shomali et son co-réalisateur Paul Cowan reviennent sur un épisode surréaliste du conflit israelo-palestinien. En Cisjordanie, des gens achètent 18 vaches pour produire du lait en coopérative. L'affaire est un tel succès que les vaches sont déclarées "une menace pour la sécurité de l'Etat israelien". Les vaches passent alors à la clandestinité et produiront du "lait intifada" alors qu'elles sont recherchées par les militaires israeliens. Strictement véridique et raconté avec beaucoup de talent. Ce film a d'ailleurs obtenu un Tanit d'or aux JCC puis s'est distingué un peu partout. Il en va ainsi de plusieurs oeuvres de cette Semaine du cinéma arabe indépendant avec des oeuvres comme "Waves 98", un court métrage d'animation du Libanais Ely Dagher, Palme d'or à Cannes, ou "Albums de famille", une oeuvre palestinienne collective. La vitalité du documentaire D'une certaine manière, le documentaire s'est taillé la part du lion pour cette semaine AFAC même si l'unique oeuvre egyptienne était un long métrage de fiction de Hala Lotfy. "Sortir au jour" est un film poignant avec deux femmes qui prennent soin d'un homme malade, dans une métaphore très ouverte des actuelles paralysies arabes. Plusieurs parmi les films projetés ont été vus pendant les JCC et il importerait de montrer des oeuvres plus récentes. En effet, la vitalité des cinéastes est telle que le renouvellement est constant alors que le flux des oeuvres nouvelles témoigne de réalites toujours mouvantes et complexes. Il n'en reste pas moins que cette semaine de découvertes et de retrouvailles aura permis bien des rencontres et aussi un constat qui concerne l'excellence du travail accompli en matière de diffusion culturelle par Madart et le Rio. Partenaires de plusieurs réseaux, ces salles apportent de l'eau au moulin de la culture et deviennent des repères incontournables dans des villes qui, malheureusement, souffrent encore d'un grave déficit culturel. C'est pour cela qu'il convient de soutenir ces espaces et renforcer leurs modestes moyens qui trouvent leur source seulement dans l'enthousiasme de leurs promoteurs.