L'Instance Vérité et Dignité (IVD), véritable cheville ouvrière du processus de la justice transitionnelle, est au centre d'une nouvelle polémique liée à la non-exécution récurrente des décisions du Tribunal administratif. L'instance présidée par l'ex- journaliste défenseure des droits de l'Homme Sihem Ben Sedrine vient en effet de faire fi d'un nouveau jugement prononcé par cette juridiction qui stipule le maintien de Zouheir Makhlouf à son poste de deuxième vice-président de l'instance Vérité et Dignité (IVD). En conséquence, l'opération de l'élection de l'avocat Khaled Krichi à ce poste est nulle et non avenue. Le nouveau jugement du Tribunal administratif fait suite à un recours introduit par deux membres du conseil de l'instance, Lilia Brik Bouguira et Mustapha Baâzaoui, pour contester l'élection de Me Krichi, laquelle a été entachée, selon eux, par le non respect des dispositions du règlement intérieur de l'IVD et de la loi régissant la justice transitionnelle. L'instance avait déjà ignoré en avril dernier une précédente décision du Tribunal administratif annulant le limogeage de M. Makhlouf, qui a été du fait empêché manu militari d'accéder à son bureau sur ordre de Sihem Ben Sedrine. Le bras de fer entre Sihem Ben Sedrine et Zouheir Makhlouf a commencé lorsque ce dernier a adressé une lettre en août 2015 au président de l'Assemblé des représentants du peuple, Mohamed Ennaceur, où il accuse notamment la présidente de gaspillage de l'argent public, de prise de positions unilatérales et de «gestion autoritaire et chaotique» de l'IVD. Ces critiques acerbes ont valu à Zouheir Makhlouf d'être limogé pour «transgression des articles de la loi organique régissant la justice transitionnelle relatifs au serment, au secret professionnel et au prestige de l'Instance». Ces nouveaux rebondissements attestent des fissures de plus en plus béantes dont souffre l'IVD qui a été instituée par la loi comme une structure indépendante, dotée de la personnalité juridique et de l'autonomie financière et administrative. Ben Sedrine au centre de la polémique Depuis sa création, cette instance avait été ébranlée par quatre démissions. Il s'agit de celles de Khemaïes Chammari, Noura Borsali, Azouz Chaouachi Mohamed Ayadi. La majorité des démissionnaires ont tiré à boulets rouges sur la présidente de l'IVD. «Sihem Ben Sedrine a déclaré que j'ai démissionné parce que les élections m'ont fait peur ! Il est tout à fait évident que de tels propos indignes d'une présidente d'une commission de vérité ne méritent pas de commentaire. Mais, je voudrais tout simplement lui lancer un défi maintenant qu'elle a violé l'obligation de réserve imposée aux membres et dont elle les menace : celui de publier ma lettre de démission. Si elle ne le fait pas, je le ferai moi-même pour que la vérité soit dévoilée. Je me limiterai à dire ce soir qu'une des raisons de ma démission, ce sont ses mensonges dont elle a fait une règle de gestion du groupe», avait écrit Mme Borsali peu après avoir rendu le tablier fin 2014. Et de renchérir : «Quelle vérité attendez-vous de cette femme dont je continuerai à demander le départ de la tête de l'IVD ? Que de bévues jusque-là ! Elle est en train de décrédibiliser l'IVD et tout le processus de justice transitionnelle». Depuis son élection en juin 2014 à la tête de l'IVD, Sihem Ben Sedrine ne cesse, en effet, de susciter la controverse. Ses détracteurs estiment, en premier lieu, que l'ex-porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) semble animée par un esprit particulièrement revanchard. D'autres mettent à l'index sa proximité présumée avec le mouvement islamiste Ennahdha qui risque de «transformer l'IVD en un instrument de règlement de comptes avec ceux qui ne partagent pas ses orientations». Larges prérogatives, mais... Le mode de gestion de l'IVD par Mme Ben Sedrine de l'IVD a même fait des vagues au-delà très critiquée des frontières tunisiennes. En atteste la pique lancée en août 2015 par la présidente de la Commission arabe des droits de l'homme, Violette Dagher, qui a accusé Sihem Ben Sedrine de «chercher à diviser la Tunisie au nom des droits de l'homme et d'une fausse démocratie» et de «dilapider l'argent public en dépensant des montants mirobolants en salaires élevés, voitures luxueuses et voyages à l'étranger». La militante des droits de l'homme d'origines libanaise, qui s'était illustrée par ses critiques acerbes à l'égard de son ancien ami et collaborateur Moncef Marzouki au lendemain de son accession au palais de Carthage, a également douté de l'impartialité de la présidente de l'IVD. «Mme Ben Sedrine n'écoute que les personnes qui servent ses intérêts», avait-elle notamment dit. En vertu de la loi régissant le processus de la justice transitionnelle, l'IVD dispose de toutes les compétences qui lui permettront d'établir la vérité, préserver la mémoire, dédommager les victimes et mettre en place des mécanismes de reddition des comptes et de jugement. Elle dispose, en effet, des prérogatives suivantes: l'accès aux archives publiques et privées, l'enquête sur tous les abus en utilisant tous les moyens et mécanismes qu'elle estime indispensables pour l'accomplissement de sa mission, l'écoute des victimes des violations et l'acceptation de leurs plaintes, l'enquête sur les cas de disparition forcée, la délimitation des responsabilités de l'appareil de l'Etat et de toute autre partie pour ce qui est des abus, la collecte des données, l'élaboration d'un travail de mémoire, l'indemnisation les victimes et la réforme des institutions...etc Le travail de l'IVD s'annonce, cependant, quelque peu compliqué. D'autant plus qu'elle n'a pas montré l'exemple en matière de respect des décisions de la justice.