«Bribes d'histoires » est une rubrique hebdomadaire qui traite chaque mois d'un thème unique sous différents angles. Pour cette première série d'articles et à l'occasion du mois de ramadan, le choix s'est porté sur les mosquées de Tunisie, lieux de culte dont la fréquentation est accrue durant ce mois saint. L'article d'aujourd'hui retrace quelques bribes de l'histoire de la Grande Mosquée de Sousse, la plus importante de la ville depuis sa fondation. Elle se démarquera au fil des siècles par son architecture fortifiée évoquant une citadelle et rappelant son rôle sécuritaire d'alors dans la protection de la ville portuaire. De toutes les anciennes mosquées de Tunisie, elle est celle qui se distingue le plus par son architecture atypique, très différente en certains points de celle des lieux de culte musulmans classiques. Sans minaret, encerclée par une épaisse muraille, d'allure à la fois épurée et massive mais aussi de par son emplacement en avant-poste à l'extrémité est de la médina, la Grande Mosquée de Sousse prête à confusion et évoque fortement une forteresse censée protéger la ville et son port des assauts des conquérants. Elle a été bâtie en 851 soit l'an 237 de l'Hégire. Sa construction est postérieure de trente ans à celle du ribat de Sousse, situé à une cinquantaine de mètres au loin. A l'emplacement exact de la mosquée actuelle, une Kasbah fortifiée avait été érigée quelques années plus tôt, en 844 plus précisément. Elle servira de point de départ à la construction du lieu de prière. Comme mentionné sur l'inscription murale agrémentée de caractères kufiet ornant la façade intérieure de la cour, c'est à l'émir aghlabide Abû Al Abbas Muhammad que la ville doit ce prestigieux monument dont les travaux furent supervisés par un affranchi dénommé Mûdem. A l'époque et selon le chercheur John W. Creswell, Sousse, cité portuaire anciennement appelée « Hadrumète », était la « ville-forte du 9ème siècle ». Deuxième de l'Ifriqiya et première du Sahel, elle connaissait une prospérité économique sans précédent et attisait la convoitise de nombreux rivaux et conquérants. D'où le double rôle religieux et sécuritaire joué à l'époque par la Grande Mosquée dont l'emplacement stratégique contribuait à la défense de la ville. Architecture atypique Dépourvue de décorations sophistiquées et d'ornementations bariolées, la Grande Mosquée de Sousse arbore un style simple, imposant et austère. Ses principaux matériaux de construction sont la pierre en grès coquillier, le bois et le marbre. Elle s'étend sur une surface rectangulaire et est accessible via de multiples accès. Elle est entourée d'une muraille crénelée épaisse de près d'un mètre. Aux angles nord-est et sud-est de la cour se dressent deux tours pas très hautes. Celle du nord-est est flanquée d'un édicule à coupole accessible par un escalier. La cour d'intérieur de la mosquée est vaste et est entourée de portiques à arcades sur piliers. Elle connaîtra des travaux d'extension durant l'époque mouradite, précisément durant l'année 1675 comme indiqué sur l'inscription naskri. Au fond de cette cour, se trouve la salle de prière en forme de T. Sa zone supérieure est ornée d'une inscription kufi aux lettres inclinées. Elle comporte13 nefs et 3 travées en berceau reposant sur des piliers cruciformes. Elle a été agrandie au 11ème siècle avec notamment l'ajout de 3 travées plus hautes que les autres. Au centre de la salle de prière, au dessus de la nef axiale, existe une coupole d'époque Aghlabide, reposant sur une base carrée et des trompes d'angle à coquille, rappelant ainsi le ribat de Sousse ou encore la Grande Mosquée de Kairouan. Ses tympans latéraux sont agrémentés d'une décoration florale (rosaces, palmettes, feuillages) en relief, réalisée dans des carrés posés sur les pointes. Contrairement à tant d'autres, la Grande Mosquée de Sousse ne comprend pas de minaret. Si cet élément architectural n'était pas indispensable à l'époque, cette absence s'explique surtout par l'existence de la toute proche tour de vigie du ribat. Au Maghreb, le plus ancien minaret jamais construit est celui de la Grande Mosquée de Kairouan, datant de la première moitié du 9ème siècle. La Grande Mosquée de Sousse est la plus importante de la ville mais pas la plus ancienne. En effet, celle de Bu Ftata aurait été construite entre 838 et 841 et ne mesure que huit mètres de côté. Depuis sa fondation, « La perle du Sahel » a toujours été un haut lieu de tolérance entre les religions et un carrefour des civilisations. Les différentes communautés y ont toujours vécu en paix. En témoignent les nombreux édifices religieux aussi bien musulmans que chrétiens et juifs construits à Sousse au fil des siècles. Sousse, cible d'une attaque terroriste sauvage en juin dernier qui a coûté la vie à de multiples victimes, toutes confessions confondues. Un horrible crime perpétré au nom d'un extrémisme religieux qui fauche à chaque fois d'innocentes victimes, semant la haine entre les communautés religieuses et alimentant l'intolérance dans le monde. Des bains de sang réguliers qui nous éloignent de cette époque bénie où toutes les religions vivaient en paix, à Sousse comme ailleurs.