Ça fait six ans que la Tunisie roule à trois vitesses à bien des niveaux. Côté politique, il y a le pouvoir « légal » tel que défini par la Constitution et les institutions qui en découlent et le pouvoir « réel » tel qu'imposé par les partis politiques et les groupes de pression comme les syndicats et quelques associations qui font figures de partis-parallèles déguisés. Puis, la troisième dimension, celle de ces classes moyennes, jadis nombreuses, véritables socles du système politique et social tel que sculpté par Bourguiba et Farhat Hached en édifiant les bases d'une économie « libérale » ouverte au capital privé, aux investissements étrangers et aux marchés, en général, avec les règles de la libre initiative et de la concurrence mais aussi « sociale » avec des réajustements constants et périodiques des salaires et des prestations sociales dans le cadre du « contrat social », cher à feu Hédi Nouira, l'ancien Premier ministre et véritable architecte du modèle économique et financier tunisien. Or, et de plus en plus, ces classes moyennes nombreuses qu'Aristote le père de la science, qualifiait déjà, en 322 Av. Jésus, comme les véritables « propriétaires et producteurs » de la Cité en grec Polis), n'arrivent pas à se retrouver dans cette équation et cette combinaison un peu bizarre, entre le pouvoir réel et le pouvoir légal ! En 2011, ces classes se sont révoltées contre Ben Ali et sa nomenclature pour, justement, se « réapproprier » leur Etat et leur économie et puis, elles se sont retrouvées sous la tutelle d'un gouvernement « islamiste » un peu étrange, parce que porté par des structures occultes et une doctrine importée de l'Orient des « frères musulmans » qui n'est pas la leur ! Mais, dans un sursaut de survie de la modernisation et de l'identité spécifique tunisiennes, ces mêmes « middle-classes » se sont mobilisées pour rejeter ce véritable détournement de pouvoirs et de volonté populaire et générale chère à Rousseau. D'où ces vagues humaines et citoyennes successives et solidaires, qui ont campé au Bardo, place du Parlement et, qui ont pu à la fin, récupérer à nouveau « leur Etat » et l'expression de leur volonté générale spoliée par un précédent « vote sanction ». Décembre 2014 a été le mois de la reconquête finale de l'identité spécifique tunisienne en replaçant à Carthage, M. Béji Caïd Essebsi, un pur produit du « bourguibisme » et en donnant le pouvoir « légal » au parti de Nida Tounès, le plus représentatif de cette identité nationale synthèse entre les symboles historiques de la Nation tunisienne : Bourguiba-Hached et Fadhel Ben Achour, celle-là même reflétée par les deux constitutions de la première et de la deuxième République. Une belle synthèse qui sauvegarde et associe la modernisation « libérale », à la promotion sociale, à l'Islam modéré et tolérant de nos ancêtres, de la grande mosquée de la Zitouna et du brillant collège Sadiki. Malheureusement, alors que tout le monde croyait que le pays est de nouveau remis sur son orbite naturelle, celle qui a moulé ces 3000 ans d'histoire, à travers toutes les civilisations rayonnantes du globe et de l'humanité, voilà que d'autres déséquilibres menaçants ont surgi avec la fragmentation du pouvoir ‘réel » où chaque parti et partie, a revendiqué sa « part d'Etat » et d'influence sur les décisions nationales. Résultat, et au vu de cette « guéguerre » sournoise, non déclarée mais agissante sur le terrain des rapports de force, l'Etat s'est affaibli et le pouvoir « légal » n'arrive pas à fonctionner selon sa vocation institutionnelle et constitutionnelle. Les véritables « pouvoirs » sont détenus à nouveau par des groupes de pression de plus en plus en contradiction avec cette « volonté générale et populaire », qui s'est exprimée en décembre 2014 à travers les urnes. Tous les sondages, sans exception, à quelques rares différences près, résument les exigences prioritaires des Tunisiennes et des Tunisiens comme suit : Priorité absolue à la sécurité nationale et à la lutte anti-terroriste (2) Remettre à niveau l'Etat de droit et l'application des lois (3) Remettre à niveau la culture du travail et de la discipline sociale, civique et urbaine (4) Relancer l'économie, l'investissement et la croissance. (5) Accélérer le développement régional et finaliser la réalisation des travaux d'infrastructure routières et ferroviaires (6) Débloquer les grands projets en instance, congelés dans les tiroirs des ministères et des gouvernorats. Vous me direz et « l'Emploi » !? Je vous dirai que si on s'occupe correctement des six priorités énoncées précédemment, le chômage sera allégé considérablement et éradiqué en l'espace de quelques années qui ne dépasseront pas la décennie tout au plus. Or, dans l'état actuel des choses, toute menace sécuritaire d'envergure, comme le retour des terroristes de Daëch et compagnie des fronts syriens et libyens, toute hésitation dans la remise à niveau de l'autorité de l'Etat, tout dérapages et dérivés sociaux, comme ceux de Petrofac à Kerkennah, ou ces grèves illimitées, tout retard dans la relance de l'investissement et du développement régional, et enfin, toutes hésitations à débloquer les méga-projets bloqués arbitrairement par l'administration, tout cela combiné aura pour conséquences désastreuses de ruiner le pays et de porter un coup mortel à la croissance et à la création d'emplois nouveaux. Les recettes fantasmées, type augmentation des impôts que nous sortent avec insistance les groupes de pression de la gauche marxiste et extrémiste et des syndicats, dénotent un infantilisme politique et économique risible ! Feu ma grand-mère aurait balancé pour résumer la situation le fameux dicton populaire : « Eriène Yesleb fi miyet » (un homme nu... vole un cadavre) ! Quels impôts nouveaux, coercitifs, peut-on imposer à des entreprises au bord de la faillite et du « Lock out », où à des promoteurs surendettés auprès des banques, où des secteurs totalement sinistrés comme le tourisme et certains métiers et services ! Toute pression fiscale exagérée sera contre-productive en ce moment... Et puis, de quel droit, les travailleurs (les vrais) et les citoyens actifs devraient-ils payer pour les fainéants, les grévistes et ceux qui bloquent le travail et le fonctionnement des entreprises ! M. Hassine Abassi, grand patron de la centrale syndicale historique, martèle après le désastre de Petrofac : « A chacun d'assumer ses responsabilités ». O.K. Encore faut-il reconnaître les siennes, dans cette tempête sociale qui dure depuis six ans... et qui vient de récolter les fruits amers de Petrofac ! Le « Lock out » de British Gas, et le licenciement du personnel ouvriers et cadres, c'est pas la fête ! K.G