L'évaluation que nous avons tenté de réaliser dans ce même journal le 22 septembre 2016 autour d'El Maken à Gafsa, et titrée : « La décentralisation, concept central d'El Maken », s'est préoccupée seulement de vérifier le concept et les termes de référence sur lesquels se sont appuyés les promoteurs d'El Maken pour se déplacer, héroïquement, malgré le terrorisme à Gafsa et ramener avec eux l'art et la culture malgré le fait que tout le monde sait que Gafsa n'est pas un désert culturel et que la région est l'une des régions les plus riches en art et en histoire de l'art de notre pays. En fait, El Maken ne pouvait pas séjourner longtemps à Gafsa. Son passage n'a été senti ni par les humbles ni parmi les initiés Gafsiens. Le projet d'El Maken à Gafsa ou ailleurs, est un projet bien intentionné, généreux mais semble ne pas laisser de traces durables au niveau des arts plastiques à Gafsa. Son symposium ne s'est même pas terminé par une véritable exposition au centre ville au profit des artistes, des étudiants en art, des intellectuels, des amateurs d'art dont Gafsa s'enorgueillit de compter et qui veulent « goûter » les œuvres produites lors du symposium. La région attend de voir ses propositions de création d'un musée régional d'art moderne et contemporain (MRAMEC) et d'un fonds régional Arts modernes et contemporains (FRAMEC), à Gafsa, se réaliser. La région de Gafsa se penche sur son ISAM pour effectuer une véritable réforme de l'enseignement de l'art. La région s'attend à ce que des salles d'exposition soient construites.... En fait, la région voudrait entreprendre une politique de développement durable, digne de ce nom et pas seulement assister à des événements, certes, intéressants, mais combien étrangers à ses préoccupations... du moins, actuellement. On estime que le développement culturel et artistique est d'abord d'essence régionale et durable. Sans un ancrage réel et quotidien, dans nos villes et villages au Sud et au Nord, à l'Est et à l'Ouest de notre pays, tous les jours de la semaine... et même, comme le dit Ouled Ahmed, le dimanche... Il n y a pas de pérennité et de développement durable et l'art ne pourra poindre réellement. Le véritable développement artistique stratégique, en l'absence d'un secteur privé fort, qui ne craint pas d'investir dans la culture, revient à l'Etat qui promouvra des visions généreuses et proposera des implantations infrastructurelles régionales (musées, galeries, fonds régionaux), susceptibles de développer des marchés de l'art régionaux, ouverts sur le marché national et même international. Certes, l'effort d'El Maken de rassembler des moyens dont ceux régionaux, pour organiser le symposium, doit être souligné. Mais, en paraphrasant le proverbe « A elle seule, une hirondelle ne peut pas faire le printemps ! » Voyons comment cet échange, El Maken a été rendu possible à Gafsa malgré le peu d'homogénéité constatée entre les approches artistiques, les origines, les expériences des artistes présents dans le symposium. La différence entre les artistes n'a pas empêché le dialogue. Les artistes locaux ou originaires de Gafsa, leurs invités de Tunis, ceux du monde arabe, d'Afrique, d'Asie, d'Europe, de l'Europe de l'Est, d'Amérique, ont été nombreux et très différents les uns des autres et c'est un événement de rassembler tant d'artistes pour certains qui se voient pour la deuxième fois ! Les artistes locaux, les artistes comme Ali Fakhet ou ceux qui travaillent à l'ISAM Gafsa, ou les peintres autodidactes ont présenté des approches artistiques se déployant entre l'expression naïve ou naïviste et des réalisations graphiques très élaborées comme celles d'Ali Fakhet, de Fakhta ou lyriques comme les travaux de Tahar Rkiwa ou de Mohamed Dhahbi, Anouar Nasser essaye lui d'émerger, Kamel Amami se cache derrière une œuvre très symbolique à travers ses silhouettes doubles et complexes. Certains artistes honorent la région de Gafsa en se référant au monde des signes et des symboles de l'art rupestre gafsien et aux graphismes et couleurs des klims et mergoums. Mansour Rejeb s'est laissé aller jusqu'à installer son travail dans une ambiance très chaude (2 œuvres). Il est clair que le feu est l'inspirateur premier de ses tableaux où la composition se trouve confrontée à l'impossibilité de maintenir les contours des touches. Tout se consume... par le feu ! Le travail de M. Rejeb est réellement impressionnant. Ghedafi Fakhri, notre ami libyen, semble abandonner ses aplats très colorés, mais apparemment harassants pour se concentrer sur des compositions à registre ‘'en totem'' à deux foyers de couleur « monochrome » bleue cendrée. Les artistes arabes, nombreux sur le symposium, sont Jordaniens, Marocains, Koweïtiens, Palestiniens, Bahreinis, Egyptiens, Saoudiens,, Irakiens et Algériens. Les uns sont modernistes, les autres contemporanistes comme Khaled El Hroub ou hybride comme Mondher Jawabreh. Certains sont à mi-chemin du naïf et du symbolique comme le Koweïtien Khaled Alshatti. D'autres artistes venus de très loin comme le Mauricien Dansou Dianerma, dont c'est le deuxième séjour en Tunisie, travaille le bois en suivant avec génie, les infractosites, les méandres et les stries dures ou tendres du bois. Dansou nous révèle alors des formes anthropomorphiques ou abstraites, élancées ou trapues très expressives. Le même procédé, qui consiste à adopter le métal récupéré ou ses éléments à la sculpture, est opéré par Najet Ghrissi, qui, à travers, ce travail classique, est confrontée au hasard des rencontres avec la matière. La sculpture obtenue est le résultat d'une récupération d'un matériau par les procédés de soudure ou d'assemblage qui nous étonne toujours par la facilité de donner toujours une nouvelle vie à ce qu'était seulement inerte sorti d'un amas de vieilleries. Samah Habachi, revient à Gafsa, à son travail initial de vitrailliste. Elle associe, aujourd'hui, ses éléments de verre coloré à des structures d'accueil en métal. Probablement que le travail qui s'en est suivi est aussi intéressant que ses œuvres du passé. Hassen Gomri (Waso), se distingue individuellement en revenant sans hésitation aux signes, symboles et couleurs de la région de Gafsa et en y puisant une profonde inspiration avec son tableau très géométrique à la Mondrian. Les Biélorusses, Russes, Ukrainiens, Arméniens, amis d'Olga Malakova, ont montré dans leurs travaux une grande sensibilité envers les références, les inspirations du symposium tout en montrant leur compétence et leur métier. Dans le groupe d'artistes de l'Europe de l'Est, il nous semble que le travail de Pavel Nikoloaev est le plus expressif, le plus mûr et le plus professionnel. Le tableau de femme ou celui que nous avons nommé Marie, est le plus élaboré et le plus expressif tant il reprend une certaine iconographie russe très fine et très tendre. Les artistes arabes qui nous semblent sortir du lot, sont le Soudanais Rachid Dhiab et le Mauritanien Omar Ball, tous deux très proches dans leur essentialisme très puriste. Rachid Dhiab, versé dans la figuration minimaliste, déploie dans ses tableaux de petite dimension des exercices de virtuosité économe dans les moyens de représentation linéaire et chromatique des figures, des éléments architecturaux et des paysages. L'expression naît chez ce peintre comme par enchantement essentialiste. Dans des toiles plus grandes, les représentations colorées ne sont jamais trop chargées et maintiennent une certaine légèreté sauf dans l'une des toiles où le personnage du centre est représenté en bleu dans une perspective retournée. Dhiab est minimaliste. Son travail retient notre attention par une sorte de retenue plastique peu pratiquée dans la peinture arabe. Omar Ball, tout en travaillant sur le métal récupéré, ou peut être sur le fil de fer original procède de la même méthode essentialiste. Il déploie ses fils très rapidement mais en soustrayant du chaos de ses multiples fils d'Ariane les éléments simples pour représenter les formes de la tête du cheval. Omar Ball est virtuose mais surtout il est dessinateur de l'essentiel : un dessinateur en fils de fer. El Maken a parié sur sa présence à Gafsa, et sur les bienfaits qu'il peut récolter de cette présence. Il nous semble que son rôle est assez important mais qu'il devrait se suffire à accompagner les régions dans leur ascension vers l'art et la culture. El Maken veut remplacer les efforts locaux ou régionaux pour que les artistes construisent eux-mêmes leurs propres réponses artistiques et culturelles aux défis qu'ils rencontrent. El Maken ne semble pas pouvoir résoudre tous les problèmes. Lui-même connaît des problèmes internes, des divergences concernant son mode de fonctionnement, ses buts réels, sa direction bicéphale. Certains pensent que cet état dichotomique ne peut pas durer entre celui qui développe son propre réseau surtout par rapport aux artistes arabes et celle qui ramène les sponsors et qui organise l'exploitation des produits du symposium telle l'exposition centrale de Tunis, en décembre 2016 (la Maison des Arts). Certains pensent même que le problème central d'El Maken ne réside pas dans la nécessité de décentraliser l'art en Tunisie mais de faire d'El Maken une machine financière qui utilise les moyens étatiques et privés au profit des privés... au profit de ses promoteurs... sans Mahmoud Chalbi ! Les positions nouvelles de l'un (le syndicaliste), positions étranges du reste, consistent aujourd'hui (facebook), à défendre la privatisation de certains espaces culturels (galerie de Sidi Bousaïd) et proposent même d'octroyer « cet acquis » aux galeristes de Sidi Bousaïd... Ces évolutions ont été relevées par beaucoup d'observateurs. Nous les enregistrons nous-mêmes, comme nouvelles données à intégrer dans nos démarches... Nous espérons que les adversaires d'El Maken se trompent... ! Nous aurions aimé garder nos illusions, concernant El Maken ! Apparemment, nous ne le pouvons pas !