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« Il faut appliquer la loi pour ceux qui refusent de s'inscrire dans la légalité »
Publié dans Le Temps le 02 - 10 - 2016

La circonstance et l'enjeu sont aujourd'hui purement économiques. En tous cas, c'est ce que les experts et les décideurs essaient de nous expliquer. L'état des lieux des finances publiques est délicat et le nouveau chef du gouvernement a annoncé une série de mesures qui seront bientôt entreprises afin de tenter de stabiliser la situation. Au vu de la circonstance, nous avons dédié notre interview dominicale à ce volet important. C'est Hakim Ben Hammouda, économiste et ancien ministre des Finances qui nous a reçus afin d'apporter ses visions et ses lectures économiques. Toutefois, Hakim Ben Hammouda a bien voulu aborder, aussi, les questions politiques, sociales et culturelles de la Tunisie.
-Le Temps : La première interview du chef du gouvernement a été presque exclusivement à orientation économique. Quels sont les plus importants points à retenir de cette intervention ?
Hakim Ben Hammouda:Je pense que le point le plus important a été bien évidement le rappel de la situation grave dans laquelle se trouvent les finances publiques. Pour moi, il s'agit d'un point essentiel parce qu'il constitue aujourd'hui le défi le plus important pour notre pays et qui concentre toutes les inquiétudes quant à l'avenir de la situation économique du pays. Toute la question est de savoir si les mesures proposées vont aider à soulager et à réduire le poids de la crise des finances publiques.
-Même si le projet de loi de finances n'a pas encore été déposé à l'Assemblée des représentants du peuple, il suscite, déjà, beaucoup d'inquiétudes. Quelle lecture avez-vous sur ces premières fuites ?
Tout d'abord, je veux revenir sur la question des fuites: je tiens à souligner que la préparation d'une loi de fiances, fait participer beaucoup de responsables du ministère des Finances mais, également, des différents autres départements, le fait qu'il y ait des fuites n'est pas du tout étonnant.
La deuxième chose qu'il faut savoir également c'est qu'une loi de finances fait l'objet de beaucoup d'itérations qui sont le reflet d'échanges et de discussions entre le chef du gouvernement et toute son équipe sur la traduction des priorités du développement du pays dans la loi de finances car, ne l'oublions pas, la loi de finances est la conséquence de la politique économique d'un gouvernement. C'est dans cette loi que le gouvernement traduit ses choix politiques, économiques et sociaux d'où l'importance de cet exercice qui n'est pas uniquement technique ; il est politique. Le véritable défi aujourd'hui de cette loi de finances 2017 – et qui est toujours là depuis les premières versions de cette loi qui date du gouvernement Habib Essid – est de remplir le gap entre les dépenses et les ressources et qui se situe aujourd'hui aux alentours de treize milliards de dinars d'après les différentes versions qui ont circulé sur cette loi. Il s'agit, pour moi, d'un gap assez important et il est nécessaire de le réduire afin de présenter un budget réaliste.
-Selon le chef du gouvernement, le tableau des impôts sera bientôt révisé. Certains ont appelé Chahed à délaisser cette idée et à aller plutôt vers la lutte contre l'évasion fiscale. Qu'en pensez-vous ?
Le débat sur la fiscalité et sur l'impôt est un débat vieux comme le monde. Nous le rencontrons avec plus d'acuité dans la période e de transition puisque la démocratie a réduit le pouvoir autoritaire de l'Etat. Dans les pays en transition la fiscalité devient au cœur des débats économiques puisqu'on lui donne la responsabilité de réunir les ressources nécessaires pour le financement du budget de l'Etat dans un contexte marqué par une accélération des dépenses de l'Etat. En effet, pratiquement partout, on utilise les dépenses budgétaires, notamment les salaires, pour répondre aux difficultés politiques et aux tensions sociales. Cela crée un énorme déficit public. Le vrai problème de la fiscalité consiste dans l'élargissement de la base fiscale, l'amélioration de l'efficacité de l'administration fiscale et la lutte contre l'évasion fiscale. Or, devant la difficulté de la mise en place de ces priorités, on choisit, souvent, la solution de facilité, qui consiste dans l'accroissement de la pression fiscale. Or ceci n'est pas toujours une bonne solution dans la mesure où comme l'ont souvent rappelé les économistes trop d'impôt tue l'impôt et trop d'impôt casse la croissance. De ce point de vue, il me paraît essentiel d'abord de sensibiliser les citoyens sur la nouvelle nature de la nouvelle fiscalité dans les sociétés démocratiques. Il s'agit d'un élément essentiel des obligations citoyennes dans le cadre du contrat démocratique, car la démocratie n'est pas seulement des droits politiques et sociaux mais, aussi, des obligations dont la fiscalité est un élément essentiel. Par ailleurs, la mise en place de ce devoir et de cette obligation doit s'inscrire dans une dynamique de réconciliation avec l'Etat car sous les régimes autoritaires, comme c'était le cas en Tunisie, la fiscalité a toujours utilisée comme une arme pour faire taire les voix dissidentes.
De ce point de vue, les nouveaux gouvernements démocratiques doivent prendre cette question dans une perceptive de réconciliation entre les citoyens et le l'Etat et non pas comme une revanche. Parallèlement à ce travail de sensibilisation politique de langue haleine, il faut également mettre en place les réformes nécessaires qui vont permettre d'accroître les revenus de la fiscalité à travers l'accroissement de la base fiscale et l'amélioration de l'administration fiscale dans la collecte de l'impôt. Ce sont ces réformes qui peuvent même amener l'Etat à alléger la pression fiscale d'ensemble.
-Et qu'en est-il de la lutte contre la contrebande et contre les marchés parallèles ?
La lutte contre la contrebande rentre dans cette même perspective de légalisation des activités économiques et, surtout, de leur inscription dans le secteur moderne de l'économie et qui doit comprendre deux dimensions: la première c'est l'esprit de réconciliation, pour ceux qui acceptent de s'inscrire dans la légalité et de poursuivie leurs activités économiques en s'acquittant de leurs obligations fiscales et sociales.
Mais, de l'autre côté, il faut impérativement appliquer la loi pour ceux qui refusent de s'inscrire dans l'égalité et préfèrent continuer à bénéficier des zones de non droit et de la corruption et des réseaux mafieux. L'application de la loi est d'autant plus importante que, dans beaucoup de cas, la contrebande n'est pas éloignée des réseaux terroristes et parfois, même, les finance et leur apporte des appuis logistiques comme l'ont montré les investigations des forces de sécurité. Les deux, le terrorisme et la contrebande, cherchent à construire des zones de non Etat pour faire fortifier leurs activités.
-Vous venez d'évoquer la corruption qui touche, elle aussi, à l'économie nationale. La lutte contre la corruption serait une priorité nationale aujourd'hui. Qu'en dites-vous ?
Je pense que c'est une question qui est très importante. Il faut impérativement poursuivre les efforts de lutte contre la corruption notamment en développement rapidement le dispositif législatif et en donnant à l'Instance de lutte contre la corruption les moyens nécessaires pour qu'elle développe ses activités.
Toutefois, je tiens à souligner que la révolution et la transition économique ont amené des changements majeurs et essentiels dans ce domaine.
Il est évident qu'en matière de corruption, la Tunisie de 2016 n'est pas celle de 2010 où les réseaux liés au pouvoir avaient la mainmise sur les marchés publics et la corruption devenait un élément essentiel du système.
Depuis, beaucoup de progrès a été effectué en nous dotant d'instance et de législation nécessaires mais il faut poursuivre ce travail de manière déterminée car, comme le montre les expériences des autres pays démocratiques, il ne faut jamais baisser la garde et il faut toujours faire preuve de la vigilance nécessaire pour combattre ce fléau.
-En réponse à la question de la contrebande, certains estiment qu'il nous faut créer des zones franches ou d'échange libre. Qu'elle est la faisabilité d'une telle solution selon vous ?
Je suis très réservé sur les zones franches. Autant je suis favorable sur les zones franches de production qui permettent d'attirer des investisseurs étrangers et de contribuer à la production nationale, autant je suis réservé sur les zones franches commerciales qui, finalement, vont ouvrir les frontières devant l'importation de produits étrangers qui peuvent mettre en difficulté nos entreprises de productions qui, elles, paient leurs impôts et s'acquittent de leur cotisation sociale. C'est une question qu'il faut saisir avec beaucoup de prudence et de précaution.
-Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu plus le concept de la cotisation sociale des entreprises surtout que le pays a failli perdre une grande entreprise pétrolière mondiale à cause de cela ?
Les cotisations sociales des entreprises rentrent dans le principe de la couverture sociale des salariés. Il s'agit d'une obligation de solidarité essentielle dans le fonctionnement des économies modernes.
Certes, les gouvernements peuvent donner des incitations en prenant en charge les cotisations sociales de certaines entreprises ou de certains types de salariés afin d'aider les entreprises à dépasser certaines périodes difficiles ou de les encourager à employer des jeunes diplômés.
Mais, cette prise en charge ne peut être une règle dans la mesure où toutes les entreprises sont obligées de s'acquitter de leur cotisation sociale et de verser, par conséquent, leur contribution aux caisses sociales particulièrement dans une période de grande difficulté financière de ces caisses.
-La Tunisie organise, fin novembre, la Conférence internationale sur l'Investissement. Cela pourrait représenter une réelle relance économique pour nous ?
Je crois qu'il est important d'intéresser et de poursuivre l'effort de sensibilisation des investisseurs étrangers sur le site Tunisie. L'instabilité politique, le terrorisme et les questions de sécurité ont dissuadé certains investisseurs et ont même amené certains à quitter notre pays pour s'installer dans d'autres pays. Il est important, aujourd'hui, de reprendre ce travail de sensibilisation et de mobilisation des investisseurs.
Cet effort, nous l'avons déjà commencé en 2014 en organisant une conférence internationale, le 8 septembre 2014, qui a connu un grand succès et qui a amené dans notre pays de grands investisseurs et qui ont commencé à mesurer l'impact, à termes, qu'aura la transition démocratique dans l'amélioration de l'environnement et des climats des investissements avec la fin du népotisme et la lutte déterminée contre la corruption.
Cependant, la réussite de cette Conférence, dépend, certes, de la mobilisation des autorités politiques pour inviter les investisseurs mais, aussi, des projets que nous devons préparer.
Or, jusque là, nous avons perdu beaucoup de temps dans l'élaboration des grands projets structurants qui pourraient intéresser les investisseurs privés dans le cadre des PPP.
Notre banque de projets est pauvre et nous devons, impérativement, la renforcer, la développer et, surtout, avancer dans la préparation des projets.
-Nous avons évoqué beaucoup de raisons qui ont conduit à cet état des finances publiques. L'instabilité politique – causée, surtout, par ce qui se passe au niveau des partis politiques – est-elle, pour vous, une cause tout aussi importante que les autres ?
Il y a quelque chose d'essentiel dans l'analyse de la nouvelle situation politique en Tunisie: il est important de ne pas limiter notre regard à l'expérience de notre pays seulement.
Un important domaine d'études et de recherches, « Les théories de la transition politique », qui fait appel aux études comparatives entre les différentes expériences de transition dans les différents pays. L'analyse de ces expériences montre que l'instabilité politique est au cœur des dynamiques de transition : des partis apparaissent, se développent, gouvernement, se marginalisent etc. C'est seulement quelques années après que l'on assiste à la stabilisation du paysage. Pour moi, l'instabilité politique actuelle n'est pas étrangère à la période de transition que nous vivons et il est clair que la scène politique tunisienne prendra des années avant de se stabiliser. Bien évidement, cette instabilité pèse sur la situation économique et constitue un élément d'incertitude pour les décideurs économiques et pour les investisseurs nationaux et internationaux.
-Et où se situe Hakim Ben Hammouda dans toute cette instabilité politique ?
Je ne m'intéresse pas à la politique d'aujourd'hui. Je me suis intéressé à la vie publique depuis que j'étais au lycée. Je me suis toujours inscrit dans une logique démocratique et donc j'ai toujours soutenu la société civile et, particulièrement, les mouvements des droits de l'Homme et toutes les autres formes de liberté car je crois profondément que la démocratie ouvre des perspectives importantes et offre des opportunités à l'ensemble des citoyens. Je me suis toujours battu pour la défense de la démocratie et de ses principes dans le cadre du mouvement démocratique large.
-Vous êtes l'un des rares économistes à s'intéresser au monde culturel et vous avez, vous-même, à votre actif, quelques ouvrages. La culture tunisienne postrévolutionnaire est-elle en train de s'épanouir ?
A travers cette interview, je voudrais transmettre l'intérêt que j'ai pour la culture et son univers. J'ai envoyé ce matin un message à Salma Baccar qui a commencé aujourd'hui le tournage de son long-métrage ‘Dar Lajwad' pour lui demander la possibilité de passer la saluer sur le plateau et je viens de recevoir à l'instant sa réponse qui dit qu'elle sera heureuse de m'y voir. Donc, pour moi, la culture, dans le régime autoritaire par lequel nous sommes passés, a constitué une bouffée d'air qui nous a permis de respirer et d'échapper à la politique qui a régné sur notre pays.
La culture, le cinéma, la musique et la création ont, pendant longtemps, porté la dissidence et le refus de l'ordre établi. Aujourd'hui, après la révolution, on assiste à une exposition de créativité de la scène artistique qui contraste largement avec l'immobilisme de la scène politique.
Nous avons parlé beaucoup de révolutions politiques, mais il y a une révolution beaucoup plus importante qui est en train de se produire dans notre pays et à laquelle nous n'accordons pas l'importance qu'il faut, c'est la révolution culturelle et artistique qui a permis à des jeunes créateurs de porter ce rêve de liberté et d'incarner l'amour de la vie et l'espérance d'un lendemain meilleur. J'ai la possibilité de côtoyer, tous les jours, des cinéastes, des peintres, des romanciers, des musiciens et des hommes de théâtre et je suis heureux, tous les jours, de les voir régénérer cette idée de dissidence qui paraît bloquée et en panne dans le monde politique.
S.B


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