Initiée par le ministère de l'Economie et des Finances, depuis mai 2013, la réforme profonde du système fiscal tunisien est soumise à une consultation nationale. Depuis hier, l'ensemble des intervenants est en conclave dans le cadre des assises nationales de la fiscalité. Il a fallu attendre le changement de régime en Tunisie pour s'engager réellement dans une réforme profonde du système fiscal. Un système qui, en dépit des réformes engagées au cours de la dernière décennie, n'a pas réussi à répondre aux exigences de performance, d'équité et de justice sociale et de jouer le rôle qui lui est dévolu, dans l'accompagnement des aspirations des programmes de développement économique et social mis en œuvre. Aujourd'hui, plus que jamais, les défis économiques et sociaux auxquels le pays fait face exigent une série de réformes sur plusieurs niveaux, notamment sur le plan fiscal. Une réforme initiée par le ministère de l'Economie et des Finances depuis le mois de mai 2013. Car elle est désormais nécessaire pour garantir une transition vers une démocratie pérenne. La réforme s'est étalée sur plusieurs étapes. Objectif : trouver ce qu'il y a de mieux à mettre en place, afin de faciliter et de simplifier les procédures. Mais aussi et surtout, permettre au système fiscal d'assurer un rôle primordial dans le développement économique du pays. Après des mois de labeur, de réunions et de nombreuses commissions, le ministère de l'Economie et des Finances a présenté, hier, le fruit d'une réflexion approfondie d'une réforme du système fiscal, à l'occasion des assises nationales de la fiscalité. Un événement inauguré par Nidhal Ouerfelli, porte-parole du gouvernement, qui a rappelé que la réforme du système fiscal s'inscrit dans le cadre d'un programme de réformes structurelles et dans une vision à moyen et long termes dont la finalité est de redonner à la Tunisie la position qu'elle mérite dans son environnement international. «Ces réformes exigent d'une part l'implication de tous les intervenants et notamment les partenaires sociaux, et de l'autre une stabilité politique afin de mener les réformes à bon port», a déclaré Nidhal Ouerfelli. Deux ans de travail De son côté, Hakim Ben Hammouda, ministre de l'Economie et des Finances, a indiqué que les assises nationales de la fiscalité constituent le couronnement de deux ans de travail en commission avec l'ensemble des partenaires sociaux et le soutien technique de différents organismes internationaux. «Nous avons adopté une démarche participative afin de réussir à atteindre les objectifs principaux de la réforme. Des objectifs qui concernent essentiellement la justice fiscale, la modernisation des outils de travail de l'administration, l'harmonisation du système fiscal avec les nouvelles dispositions de la constitution, notamment en matière de fiscalité locale». Et d'ajouter, «depuis que ce gouvernement est en place, nous avons tenté de proposer l'ensemble du travail élaboré par nos prédécesseurs à la consultation des différents partenaires. D'abord pour améliorer et consolider les propositions, mais aussi pour mieux évaluer l'impact des réformes sur les impôts directs et indirects et sur les recettes de l'Etat». En effet, la réforme fiscale constitue une des priorités du gouvernement Jomâa, car elle s'inscrit dans le cadre d'une vision stratégique pour la relance de l'économie, à travers la maîtrise du déficit budgétaire, et l'assurance d'une adéquation entre la fiscalité et le développement économique. Pour la centrale patronale, Wided Bouchamaoui, présidente de l'Utica, a souligné sa satisfaction quant aux objectifs de la réforme du système fiscale qui viennent répondre aux problèmes spécifiques du système tunisien. « Nous avons relevé plusieurs lacunes dans le système fiscal tunisien auxquelles il fallait remédier, a indiqué la présidente de l'Utica. Des lacunes qui concernent spécialement un impôt complexe, instable et ambigu, d'où l'impératif de simplifier les procédures. Mais encore un impôt inéquitable qui exige l'instauration d'une justice fiscale plus efficace. De plus, explique Bouchamaoui, le système fiscal tunisien est un système pénalisant pour l'entreprise, avec des relations tendues entre le contribuable et l'administration fiscale». Wided Bouchamaoui a par ailleurs ajouté que la centrale patronale plaide en faveur d'un système fiscal plus transparent, plus juste, encourageant la création de l'entreprise, la création d'emplois et l'investissement». La réforme en profondeur du système fiscal concerne, également, l'administration. L'objectif n'est autre que la simplification du système fiscal, de garantir une équité fiscale, d'améliorer la décentralisation et la fiscalité locale, mais aussi de moderniser l'administration fiscale et de lutter contre l'évasion fiscale. Des objectifs établis en rapport avec ceux de la croissance économique, du maintien des équilibres budgétaires de l'Etat, de garantie des droits des contribuables et du positionnement de la Tunisie en termes de compétitivité régionale et internationale. Remédier aux lacunes du système Et pour aboutir au projet proposé de réforme du système fiscal, le ministère a d'abord procédé à une première phase cruciale, celle d'un diagnostic de l'existant, suite à quoi des recommandations ont été formulées. Une phase qui a mobilisé six commissions formées selon une démarche participative incluant l'ensemble des représentants des organisations professionnelles, des experts et universitaires, des représentants des organisations patronales et syndicales, des différents ministères.... Ces commissions se sont penchées sur les impôts directs, les impôts indirects, la fiscalité locale, la compétitivité et l'évasion fiscale, la modernisation de l'administration fiscale, le régime forfaitaire. Elles ont produit, au terme de six mois de travail, des enseignements et des recommandations dont la synthèse a été validée lors d'un Conseil national de la fiscalité en novembre 2013. Il s'agissait, essentiellement, d'un projet qui vise la garantie de la neutralité, la simplification des dispositions du système fiscal et la mise en place des fondements de la justice fiscale entre les différentes catégories sociales. Force est de reconnaître que l'actuel système fiscal est de plus en plus compliqué et révèle plusieurs lacunes à l'origine d'un déséquilibre entre les différentes catégories de contribuables. En effet, les experts ont relevé certaines lacunes relatives principalement à l'inégalité, au manque de crédibilité, à la complexité et à l'éparpillement des textes fiscaux. D'où l'intérêt des Assises nationales de la fiscalité, lors de la séance inaugurale, tenue hier, à Tunis et qui se poursuivent aujourd'hui, sur le thème de la «Réforme fiscale en Tunisie: entre soucis d'équité et exigence de croissance économique» . Une séance présidée par Ouided Bouchamaoui, présidente de l'Utica, et animée par les interventions de différents spécialistes en la matière. Le système actuel se caractérise, désormais, par une complexité des textes principaux et de la fragmentation de la fiscalité dans des lois diverses; par des iniquités évidentes, comme c'est le cas de certaines déductions régressives de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (Irpp). Les déductions proportionnelles sur les salaires et pensions favorisent, d'un autre côté, les hauts revenus. Les plus-values sont souvent traitées favorablement et les dividendes sont exonérés, donnant aux hauts revenus des possibilités d'optimisation fiscale qui ne sont pas facilement accessibles aux bas et moyens salaires. Sans compter que le taux de consentement à l'impôt est à la baisse et beaucoup de contribuables se cachent dans un régime forfaitaire. A cela s'ajoute l'absence de révision du barème depuis plus de 20 ans, en dépit d'une progression conséquente du niveau des prix. L'érosion des tranches est telle que le Smig dépasse le seuil de la première tranche d'imposition. Les abattements pour charges de famille sont aussi particulièrement faibles. Maîtriser le système forfaitaire Aussi, le projet de réforme fiscale propose-t-il de maîtriser le système forfaitaire en recommandant l'application de ce système sur les petits exploitants en rationalisant davantage ses critères et en maîtrisant l'assiette d'impôt qui permettrait d'identifier les personnes qui bénéficient sans droit de ce système. Il s'agit, par ailleurs, d'identifier une stratégie qui permettra de maîtriser l'économie parallèle en encourageant l'intégration volontaire dans l'économie formelle et la lutte graduelle qui permettra d'éradiquer ce fléau. Sachant que 60% des adhérents au système forfaitaire ne participent qu'à hauteur de 0,2% des revenus fiscaux, le nombre d'adhérents au système forfaitaire est estimé, à la fin de 2013, à environ 396.000 personnes, selon les statistiques du ministère de l'Economie et des Finances. Autre proposition de la réforme, la création d'une « police fiscale». Objectif : dévoiler les crimes liés aux impôts ainsi que les preuves et leurs auteurs afin de les présenter à la justice. Cette réforme du système fiscal vise à préserver l'intérêt général, alléger les charges fiscales, faciliter les procédures administratives, réaliser les équilibres financiers de l'Etat et éviter l'endettement. L'objectif ultime est de pallier les défaillances du système fiscal actuel, trop compliqué et peu efficace, et d'opter pour un nouveau système démocrate et transparent. Les assises nationales de la fiscalité qui se poursuivent aujourd'hui, toute la journée, présentent une occasion de statuer de manière définitive, sur le contenu de la réforme fiscale qui sera mise en œuvre et d'échanger avec toutes les parties prenantes sur l'ensemble des recommandations et des propositions de la réforme fiscale dans leur version actualisée, afin d'établir un projet de réforme fiscale définitif et de passer à l'étape ultime, celle de la législation. Par ailleurs, les assises nationales de la fiscalité sont une occasion propice pour informer l'administration centrale, régionale et locale du ministère de l'Economie et des Finances des orientations de la réforme fiscale en vue d'obtenir leur adhésion et leur mobilisation pour sa réussite. Sans compter l'information des partenaires de l'avancement et de la mise en œuvre de la stratégie de réforme fiscale et de mobiliser de nouveaux partenaires. Sur un autre plan, celui de la coopération et de l'investissement direct étranger, elles constituent un moyen d'informer mais surtout de rassurer les acteurs locaux et internationaux pour qu'ils s'inscrivent dans la nouvelle dynamique de relance du secteur privé.