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«Nous vivons un déficit de démocrates et une absence de culture démocratique»
Publié dans Le Temps le 09 - 10 - 2016

Historien et président de la Fondation Ahmed Tlili pour la culture démocratique, Ridha Tlili est revenu, dans cet entretien hebdomadaire du Temps, sur la situation politique, économique et sociale du pays. Le fils du légendaire syndicaliste nous a aussi exposé son opinion en ce qui concerne les récentes postions de l'Union générale tunisienne du travail relatives aux initiatives économiques annoncées par le gouvernement d'union nationale.
-Le Temps : Après avoir signé le pacte de Carthage, l'UGTT a rejeté les premières initiatives économiques annoncées par le gouvernement de Youssef Chahed. Bien que la centrale syndicale ait expliqué que c'est le gouvernement qui a violé ledit Pacte, certains continuent de dire que l'UGTT veut rompre ses engagements. Qu'en pensez-vous ?
Ridha Tlili : La question en elle-même est une prise de position. On n'est pas encore à ce stade puisque les négociations continuent. Il y a, surtout, des possibilités de recentrer le contenu du Pacte : exposer une vision différente du sens du Pacte. Tout au long de l'Histoire de la Tunisie, le syndicat et le gouvernement se sont mis dans des compromis pareils et ce genre de malentendu a presque toujours eu lieu. Ce qu'attend le syndicat du Pacte de Carthage, c'est une amélioration de la condition du travail alors que le gouvernement va plutôt vers la réorganisation et la mise en place d'une nouvelle approche de la question du développement. Je pense que la cause est plutôt le manque de l'expérience politique et la volonté d'aller toujours vers ce qui donne l'occasion à des ruptures politiques. Ceci est une approche bien connue en Tunisie depuis la révolution : opposer la société civile, les partis politiques, le syndicat à l'Etat etc. C'est une approche très limitée sur le plan politique et intellectuel. L'attitude primaire c'est le oui ou le non, c'est vraiment primaire dans la politique tunisienne. Alors que cela pourrait être les deux en même temps ! Par ailleurs, l'interprétation de ce Pacte est tout aussi ambigüe par rapport à l'UTICA. Même la centrale patronale a une autre perception du contenu de l'accord. A mon avis, le pacte est un cadre général, il aurait fallu prendre le temps d'entrer dans les questions importantes telles que l'augmentation des salaires, la révision de fiscalité etc. Je suis optimiste et je pense qu'il y a une équipe de ministres qui sont habitués aux négociations ; Abid Briki et Mohamed Trabelsi vont pouvoir mettre en place un cadre de négociations qui permettra de sortir de ce malentendu. Au risque de me répéter, ce genre de malentendu a toujours existé à travers l'Histoire c'est juste qu'il y a une volonté de donner la priorité à la rupture. Toutefois, le gouvernement doit donner l'exemple ; il y a tellement d'abus, de corruption, de mal de gouvernance : il faut que le gouvernement commence à travailler dans ce sens.
-Le Pacte de Carthage était survenu dans un contexte assez tendu après que certains aient considéré la nomination de Youssef Chahed à la tête du gouvernement d'union nationale comme étant un passage en force de la part du président de la République. Qu'en pensez-vous ?
Pour la nomination de Youssef Chahed, je pense que dans des moments de crises, un positionnement qui apparaît volontariste de la part du président n'est pas une entorse à l'esprit républicain et démocratique. La nomination d'un jeune au poste de chef du gouvernement représente un appel indirect pour inciter certains politiques de ne plus continuer dans la répétition. Avec des jeunes, on peut rompre avec certains rituels politiques. Le passage en force ne concernait pas la nomination mais concernait cette rupture politique. Tous ceux qui suivent la politique, savent ce que disent chaque politicien et chaque partie politique avant même qu'ils n'aient le temps de le faire. Le renouvellement de la pensée politique est une nécessité plus urgente que le Pacte lui-même. On ne peut pas avancer avec une pensée politique figée qui n'est pas adaptée à la démocratie. Beaucoup de partis politiques sont restés dans des idéologies contraires à la démocratie. D'ailleurs, si Youssef Chahed ne renouvelle pas le discours politique, il ne pourra pas réussir. Cela n'a rien à voir avec le Pacte et son contenu. Chahed n'est pas tout à fait conscient de l'importance de cet impératif. Par exemple, la question culturelle ne fait pas partie des priorités alors qu'elle est, pour moi, un enjeu majeur. On ne peut pas réussir une transition démocratique sans réelle focalisation sur la culture. Malgré tous les spectacles politiques, nous vivons un déficit de démocrates en Tunisie et une absence de culture démocratique. Il ne faut pas tomber dans les erreurs du passé – années 60, 70 et 80 – c'est-à-dire aller vers les solutions économiques et délaisser la démocratie pour plus tard, cela avait causé de grandes crises.
Le risque de l'échec d'un gouvernement qui ne tient pas en compte ces relations entre la pensée politique, la culture démocratique, l'introduction de la culture et essentiellement cette vision d'ensemble, l'économie n'est pas prioritaire par rapport à l'enracinement d'une culture politique dans le pays. Le Pacte de Carthage aurait pu aller plus loin dans la philosophie du développement politique et social. On fait toujours appel à des économistes qui produisent des textes plus proches de l'économisme que de la pensée politique. Chaque fois que l'on réduit la pensée politique à l'économie, cela aboutit, toujours, à un échec. Par ailleurs, les nouveaux acteurs de la révolution sont les jeunes, les régions et la société civile, les partis sont venus après. Ces acteurs ont réussi à rattraper un temps perdu dans la perception de la révolution, ils auraient dû participer dans la construction du pacte. Je crois que ce manque d'interprétation de la révolution par ses acteurs fait que, finalement, on a obtenu un pacte qui demeure positif mais qui est resté dans le même cadre du raisonnement des politiciens antérieurs.
-Quand vous parlez de la participation des jeunes et des régions dans l'action politique, en l'occurrence la rédaction du Pacte de Carthage, vous n'êtes pas dans le discours politique populiste ?
Depuis les années 60, la structure du discours politique en Tunisie s'appuie sur le populisme. Pour éviter la confusion, le populisme produit des promesses qui ne peuvent pas être tenues ou il peut, aussi, fabriquer une idéologie basée sur de faux principes.
Cela fait une belle lurette que la notion du peuple tunisien a été remplacée par celle de la masse et la masse ne se sacrifie pas. Là, on revient au Pacte : on y parle d'un peuple qui devrait se sacrifier pour un an ou deux. Cela est fini parce qu'il n'y a pas un peuple mais une masse qui veut avoir sa satisfaction dans l'immédiat. Le populisme a fait que la révolution a été le résultat d'un conflit entre une opposition et le régime de Ben Ali. Le populisme est le résultat du fait que l'on pensait que tous ceux qui étaient contre Ben Ali étaient démocrates et la confusion était là. C'était le premier pas de l'implantation du populisme. Le peuple ne se sacrifie plus parce qu'il a assisté à quelque chose de tout à fait exceptionnel quelques mois après la révolution : ceux qui semblaient défendre quelque chose ont demandé une contrepartie financière. Du coup, le mythe du militant qui donne sa vie pour une cause a été totalement lessivé et le mythe d'une révolution (puisque les révolutionnaires ont obtenu une compensation) a perdu tout son sens. Les sociétés vivent aussi dans un cadre symbolique. J'ai du respect pour Youssef Chahed mais il a oublié la dimension symbolique du politique. Quand on a médiatisé la compensation, tout a été remis en question et c'était devenu un marché. Quand le gouvernement parle de l'égalité de la fiscalité, on ne lui fait pas confiance parce qu'on veut tout avoir tout de suite, pourquoi celui qui a fait de la prison a eu son argent dans l'immédiat et qu'on nous demande à nous d'attendre et de sacrifier ?
-Au lendemain des élections de 2014, la Tunisie a été orientée vers la bipolarisation partisane. Quelques mois plus tard, les deux grands partis majoritaires se trouvent, à des degrés moindres certes, face à des crises internes intenses. Est-il possible de parler de changement de la pensée politique avec cette ambiance ?
On ne peut pas mener une transition démocratique sans démocrates. Or, malheureusement, les cadres de ces deux partis ne sont pas des démocrates. La Tunisie avait besoin de trois partis et presque toutes les sociétés ont cette configuration : on avait besoin d'un parti conservateur, un parti du centre et un autre de gauche. Cette configuration n'a pas eu lieu parce qu'un courant politique traditionnel de gauche n'a pas pu former un ensemble d'alliance pour créer ce parti de gauche. Cette même gauche est devenue comme un corps divisé. Ceci est un problème grave parce qu'on ne réussit pas une transition sans cette base. Les partis politiques proposent des alternatives probables. Ce ne sont pas de vrais partis parce qu'ils ne proposent pas d'alternatives, ce sont des structures qui sont faites pour gérer les mécanismes de l'Etat. Pour pouvoir présenter de vraies alternatives, il faudrait penser au profil qu'auront les Tunisiens en 2025. Peut-être qu'ils seront dans l'anarchie ? Peut-être qu'ils ne voudront plus de la démocratie ?
Si on n'a pas d'études sur les pratiques culturelles des Tunisiens, on ne peut pas proposer de réelles alternatives politiques. Les sondages qu'on voit au quotidien sont juste des flashs. La démocratie est le contraire de l'ignorance, de la pauvreté et de l'individualisme. Or, nous avons une société qui devient pauvre, qui ignore ce que c'est que la politique et ce que c'est que le civisme et qui va de plus en plus vers l'individualisme. Si on arrive à comprendre les raisons qui sont derrière cela, on pourra avancer. Aujourd'hui, le Tunisien ne s'approuve pas à cause du manque des revenus mais parce qu'avec ces mêmes moyens, il va vers des acquisitions irraisonnables. Il suffit de suivre la consommation des téléphones ou encore des voitures pour comprendre cela. L'appauvrissement est devenu une mentalité en Tunisie. Cette masse populaire tunisienne a une responsabilité énorme, c'est elle qui entraîne la société vers le déclin et, il ne faut pas le nier, le peuple n'a pas toujours raison. Mieux encore, le peuple n'est pas souverain, ce sont les institutions de l'Etat qui le sont parce qu'elles sont élues démocratiquement. Cette notion de souveraineté du peuple est un outil qui rend toute démagogie et tout populisme possibles.
Sur la question de la structure politique, s'il n'y a pas les trois partis dont j'ai parlé, les équilibres au niveau de la pensée politique, deviennent difficiles à atteindre. Pour revenir aux deux partis majoritaires, il ne faut pas oublier qu'ils ont passé un compromis. Toutefois, ce compromis n'est pas historique, c'est un compromis de pouvoir. Le compromis historique est une pensée politique qui a des objectifs et qui ne peut se faire que dans le cadre de la laïcité, dans son sens politique et non pas démagogique. A mon avis, nous avons encore énormément de possibilités pour dépasser la crise parce que nous avons un acquis tout à fait exceptionnel : la culture de la peur a disparu, pas complètement, mais on peut, aujourd'hui, dialoguer avec tous les courants politiques, toutes les classes sociales et toutes les régions avec franchise et ceci est une chance pour le pays. Il faut fructifier cet acquis par des consultations et des participations, une participation qui ne soit pas uniquement de façade. L'autre acquis c'est les institutions qui doivent être protégées de toute forme de corruption. Nous avons des instances qui peuvent porter la Tunisie à plus de transparence et d'honnêteté et il ne faut pas les polluer. La démocratie ne peut se faire sans cela et si on a créé ces instances pour les polluer, cela serait carrément un crime. Il faut que ces instances soient totalement indépendantes. Il faut arrêter de politiser l'éducation et la culture, ces interventions politiques sur le contenu culturel est un dépassement grave qui nuit gravement à la société. Mon père disait « un régime qui s'impose à un peuple par la force et refuse de l'associer à la gestion de ses propres affaires est fatalement voué à l'échec».
S.B


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