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« La Tunisie souffre : son trésor gît sous ses pieds »
Entretien avec... : Mahmoud Ben Romdhane, économiste
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 09 - 2017

Economiste à la fois réputé et discret, l'ex-dirigeant de Nida Tounès, Mahmoud Ben Romdhane, se distingue par ses analyses économiques rigoureuses. Dans cette interview, c'est un scénario catastrophe proche du spectre grec qu'il brosse de la situation actuelle de la Tunisie. «Le gouvernement ne met pas la vérité toute crue sur la table», juge-t-il. Au lieu de prétendre qu'il y a des signes de frémissement et de sortie de crise, il faut dire : «Devant nous le spectre grec si nous ne nous mettons pas à travailler et à reconstruire notre pays»
Aujourd'hui, beaucoup de personnes regrettent les 5 % de croissance du régime de Ben Ali. La Tunisie vivait-elle vraiment une sorte de « miracle économique » à la fin de l'année 2010?
Avec ses 5 à 5,2% de croissance, la Tunisie n'a pas réalisé un miracle économique, mais elle se situait dans le peloton qui se trouvait immédiatement après le groupe de pays asiatiques qui l'ont réalisé. Ceux-ci se distinguaient par un taux de croissance évalué à près de 10%. A l'exception des économies performantes d'Asie, la croissance a été supérieure en Tunisie à celle de la médiane de toutes les régions, y compris les pays de l'Ocde. Il ne faut pas oublier qu'à l'indépendance, nous étions un peuple en haillons, analphabètes à plus de 90%, les logements raccordés à l'eau courante ne représentaient que 15% des logements. Et voilà que nous accomplissons, en l'espace de moins de trente ans, un progrès immense, des changements de société et surtout une révolution démographique, l'une des plus rapides dans le monde, dans le respect des femmes, contrairement à ce qui s'est passé en Chine. D'autre part, entre 1957 à 2009, le PIB a été multiplié par près de 13,7%. Certes, nous étions capables d'atteindre les 7% de croissance. Mais les perspectives étaient bloquées, on allait tout droit vers l'impasse économique. Car nous étions tirés vers l'arrière par un régime politique autoritaire, marqué par la corruption, les gaspillages, le délitement des institutions, le non-respect de la règle de droit...
Qu'est-ce qui s'est passé à la suite de la révolution pour que les indicateurs économiques soient tous au rouge sept ans après le soulèvement des Tunisiens ?
Les bouleversements politiques qu'a connus la Tunisie dès 2011 font partie de la troisième vague de démocratisation, qui démarre avec les pays de l'ancienne Europe, Portugal, Espagne et Grèce, et s'étend aujourd'hui à tous les continents : Amérique latine, Asie, Afrique. J'ai étudié tous les pays de la troisième vague en essayant de voir comment ils se comportaient au temps de leur transition politique. La règle veut qu'ils connaissent une perte de leur rythme de croissance lors de cet épisode durant lequel les institutions anciennes sont détruites sans que les nouvelles apparaissent. L'Etat comme institution monopolisant l'usage légitime de la force s'affaiblit, les grèves, les arrêts de travail et les mouvements sociaux se multiplient, les forces en présence sont en conflit. On n'en connaît pas l'issue. Il n'y a donc pas de prévisibilité. Pas de possibilité d'anticipation. A cause de ces incertitudes, l'investissement, qui est le moteur de la croissance et du développement, régresse. Parce que, selon la formule de Keynes : « L'investissement est lié à l'état de confiance ». Mon travail de recherche a consisté à comparer la Tunisie aux pays de la troisième vague. En fait, la Tunisie traverse une crise économique beaucoup plus longue et plus dure que les autres pays. Nous en sommes à la septième année. En règle générale, la crise pour les pays qui traversent une transition politique dure entre trois et cinq ans. Clairement, pour les deux prochaines années, nous ne dépasserons pas les 2 à 3% de croissance et notre crise aura duré dix ans, au minimum. Nous avons perdu 3 à 4 points de croissance chaque année, les autres en perdent moins et se rattrapent plus vite. Normalement, les crises s'achèvent avec la fin de la période de transition, c'est-à-dire lorsque le pays organise des élections libres. Les nôtres ont été exemplaires, immédiatement reconnues par la partie perdante et internationalement saluées. Résultat : nous disposions de la capacité immédiate de mettre en place le fameux Etat, institution monopolisant l'usage légitime de la force, doté de la légitimité des urnes. Aujourd'hui, il n'y a pas d'Etat au sens wébérien du terme en mesure d'imposer le respect de la règle de droit. La Tunisie souffre : son trésor gît sous ses pieds. Son pétrole, son gaz, son phosphate et ses dérivés sont mis en sommeil ou détruits au moment où elle tend la main pour s'endetter. Il suffit d'un individu qui se plante devant une unité de production pour qu'elle ne fonctionne plus. J'ai quantifié le coût de cette perte : environ 40 milliards de dinars, soit presque 40 % de notre produit intérieur brut. Nous produisons actuellement la moitié de notre production d'hydrocarbures de 2010. Aujourd'hui, nous recourons à l'importation pour satisfaire la majorité de nos besoins. Concernant le phosphate, nous occupions 5 à 6% du marché mondial, aujourd'hui nous investissons à peine 1,5 à 2,0 % de ce marché. Et nous n'arrivons plus à vendre. Où va-t-on ?
Mais est-on vraiment passé à autre chose ? Les réminiscences du passé ne sont-elles pas encore très présentes ?
En fait, nous disposons aujourd'hui de toutes les conditions nécessaires et suffisantes pour passer à autre chose. Je ne vois point d'autre pays dans le monde dans lequel des élections ont eu lieu et qui ne soit pas capable d'exercer les prérogatives de sa légitimité, ni de faire prévaloir la règle de droit de manière impersonnelle bien évidemment.
Après la révolution, a-t-on privilégié le politique au détriment de l'économique, comme le reproche Radhi Meddeb aux dirigeants post-14 janvier ?
On ne pouvait pas faire autrement, car ainsi sont les phases de transition politique. Quelle est l'autorité capable à ce moment là de faire des prévisions et de transformer le diagnostic en actions ? Le pays était ingouvernable au lendemain du 14 janvier, il tenait grâce au compromis. Les dirigeants politiques marchaient sur les œufs. La Troïka n'était là que pour l'élaboration de la Constitution et le mouvement Ennahdha n'avait ni culture de gouvernement, ni culture étatique. Sa culture était néo-patrimoniale : « L'Etat est à moi ». Comment planifier avec un tel déficit d'institutions, d'Etat et de légitimité et une telle imprévisibilité ?
Le FMI exige de la Tunisie une plus grande mobilisation de ses recettes fiscales, une réduction de sa masse salariale du secteur public et l'ajustement du prix de ses carburants. Ces réformes préconisées par le FMI sont-elles le seul moyen de sortir de la crise?
Aucun Etat ne peut maintenir une économie en activité sans assurer l'équilibre de ses finances publiques et celui de ses échanges extérieurs, sa balance des paiements. Nous en sommes à la septième année consécutive avec des déficits publics et des déficits courants approchant les 8 à 9 % du PIB. Au-delà des demandes du FMI, la règle du bon sens dit qu'il faut rééquilibrer nos comptes, qu'on ne peut plus continuer à nous endetter et à faire porter le fardeau du remboursement sur les jeunes générations. Le rétablissement de ces équilibres ne constitue pas une politique économique, ni une relance, ni une sortie de crise. Il ressuscite plutôt les conditions de base nécessaires au fonctionnement d'une économie. La dette publique a été multipliée par deux fois et demie depuis 2010, et notre taux d'endettement atteint officiellement 70%, 90% en vérité si nous tenons compte des dettes des entreprises publiques, des caisses de sécurité sociale et des dettes garanties par l'Etat. La quasi-totalité de nos ressources fiscales sont consacrées au paiement des salaires et des subventions et au remboursement des intérêts de notre dette. Notre crise n'est pas seulement celle de nos finances publiques et de nos échanges avec l'extérieur. Elle embrasse toutes les facettes de notre économie, en particulier notre compétitivité. Jamais dans l'histoire du monde un pays n'a perdu autant de rangs en rapport avec sa compétitivité. Nos caisses de sécurité sociale sont en faillite. Nos réserves en devises sont dans une zone proche du danger. Comment alors rembourser nos dettes et payer nos importations ? Comment faire du développement dans ce contexte de crise ? Au prix d'immenses réformes, il est absolument indispensable que la Tunisie retrouve ses équilibres. Il faut, pour cela, une large mobilisation populaire et, au préalable, une conscience de la gravité de la situation. Le gouvernement ne se place pas dans cette perspective : il ne met pas la vérité toute crue sur la table. Il ne montre pas aux Tunisiennes et aux Tunisiens le cheminement du processus, certes difficile, mais possible de sortie de crise. Au lieu de prétendre qu'il y a des signes de frémissement et de sortie de crise, il faut dire : « Devant nous le spectre grec, si nous ne nous mettons pas tous à travailler et à reconstruire notre pays », et il faut fixer un cap, offrir une perspective, un avenir, un espoir aux jeunes qui n'en peuvent plus d'attendre.
Les ambitions économiques de Youssef Chahed d'ici à l'orée de 2020 annoncées lundi vous semblent-elles réalistes et réalisables, à savoir porter la croissance à 5 %, contenir le déficit budgétaire à 3%, réduire la masse salariale à 12% et maintenir l'endettement à moins de 70%?
Oui, ces ambitions auraient été réalisables s'il n'y avait pas eu les gravissimes dérapages de cette année, dont les chiffres n'ont pas été publiés et dont je viens d'avoir connaissance seulement aujourd'hui. Le dérapage provient de l'augmentation de la dépense publique de plus de deux milliards de dinars par rapport à la loi des finances telle qu'elle a été votée. Il n'y a aucun doute : les objectifs affichés ne peuvent pas être atteints. Je le répète encore une fois : des objectifs de réduction de déficit ne sont pas des objectifs de politique économique et sociale. Ce n'est pas avec ces objectifs d'ajustement, ces équilibres macrofinanciers qu'on peut mobiliser un pays et sa jeunesse.
On parle beaucoup de la banqueroute prochaine des finances tunisiennes. Un jour les salaires des Tunisiens seront-ils suspendus?
Si on continue sur ce rythme, on sera peut-être payés, mais avec une monnaie de singe. Une monnaie démunie de toute valeur. Comme ce qui s'est passé dans certains pays d'Amérique latine qui ont connu des taux d'inflation à trois chiffres pendant les années 60 et 70. Vous savez qu'à partir de juin 2016, les trois caisses de sécurité sociale, Cnss, Cnrps et Cnam, au terme de onze ans de non-réformes, ont épuisé la totalité de leurs réserves et ne fournissent plus leurs prestations à leurs assurés sociaux que grâce au concours de l'Etat et à la retenue des cotisations qui doivent être versées à la Cnam. Quant aux salaires des fonctionnaires, ils ne sont versés qu'au prix d'un nouvel emprunt, intérieur ou extérieur. Depuis juin 2016, la prévisibilité de l'Etat, sa certitude de pouvoir assurer les salaires et prestations sociales ne dépasse pas un à deux mois. Sur le fond, l'ex-ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Fadhel Abdelkafi, a raison quand il dit que nous gérions nos comptes à la manière d'un épicier. La Tunisie ne peut pas continuer ainsi. Il y a besoin d'engager urgemment des réformes considérables.
Quel serait le contenu de ces réformes qu'on dit souvent «douloureuses» ?
Il faut sauver les caisses de sécurité sociale immédiatement. En cette année 2017, la Cnss souffre d'un déficit de 850 millions de dinars et ne sait pas comment le payer. Faute de recevoir ses cotisations de la part de la Cnss et de la Cnrps, la Cnam ne verse plus aux hôpitaux qu'une partie de plus en plus faible de leurs prestations. Résultat, ceux-ci ne sont plus capables de réaliser un nombre important d'opérations. Il leur manque souvent les produits consommables les plus élémentaires, tels les pansements. Les entreprises étrangères qui fournissent des produits de traitement ne sont plus payées. C'est seulement par éthique qu'elles continuent à répondre à nos demandes en médicaments. Mais même l'éthique a des limites. L'année prochaine, le déficit des caisses de sécurité sociale s'élèvera à 1.800 millions de dinars. Or cette année on a augmenté les retraites. Il fallait, depuis très longtemps, au contraire, augmenter l'âge de la retraite ainsi que les taux de cotisation. Surtout ne pas attendre 2018. D'autre part, on ne peut plus se limiter à un système fondé sur la cotisation et la solidarité intergénérationnelle : la jeune population active payant pour les vieux. Il est temps d'ouvrir des perspectives nouvelles en matière de protection sociale. Car le contexte démographique a changé en Tunisie : la population en âge de recevoir des pensions augmente de jour en jour au détriment de celle en âge de travailler. Le coût de traitement des maladies chroniques, apanage des personnes âgées, est considérable. On entre dans une nouvelle phase, à laquelle on ne s'est pas du tout préparé. Il faudrait penser à une couverture maladie universelle : couvrir toute la population du nord au sud du pays. S'y préparer au moins aujourd'hui pour la construire pas à pas d'ici dix ans. Il nous faut élaborer de telles stratégies d'anticipation, mobiliser les gens pour l'affronter, ensemble, gouvernement et citoyens. Notre système intergénérationnel de sécurité sociale est bon, mais il n'est plus suffisant au vu de la nouvelle structure démographique. Il faut penser également à un système qu'on appelle beveridgien, ou fiscal : les impôts finançant une partie de la protection sociale. Il faudrait entrer aujourd'hui de plain-pied dans ce type de système mixte.
Face à une Ugtt qui, pratiquement, partage avec lui la décision économique, Youssef Chahed peut-il vraiment révéler toute la vérité aux Tunisiens en leur annonçant les réformes « douloureuses » à engager ?
Il le devrait, car cela relève de ses responsabilités de chef du gouvernement. Le peuple peut le soutenir s'il sait comment lui présenter sa démarche et surtout lui montrer l'horizon.
Un rapport de l'ONU publié en novembre 2016 évoque la possibilité d'une nouvelle révolte de la jeunesse arabe déçue que ses revendications révolutionnaires pour une plus grande équité économique et sociale n'aient pas été satisfaites. Reviendra-t-on à la case départ, la crise économique entraînant une explosion sociale?
C'est probable. Mais nous sommes en régime démocratique. Les institutions sont donc dotées d'une certaine résilience, de plasticité et d'une capacité d'absorption des chocs, qui n'existaient pas au temps du régime Ben Ali. Un régime qui s'est facilement fracassé.


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