La galère du consommateur tunisien ne finira pas pour bientôt. Il vient de passer 3 mois intenses de pressions, de stress et de grandes dépenses. La situation politique et sécuritaire du pays n'a fait qu'aggraver un sentiment d'oppression, de malheur et surtout de solitude. L'utilisation de ces termes forts n'est pas fortuite, mais traduit une réalité amère. Le moral des consommateurs tunisiens est plus que jamais en berne, avec un pouvoir d'achat qui se détériore de plus en plus, un sentiment de cherté de la vie, et une peur continue de l'avenir. Loin des chiffres sur l'inflation, les salaires, les prix, la croissance, l'emploi,...il suffit de voir les visages ternes des gens pour sortir une lecture très obscure du vécu et du moral des consommateurs. Pouvoir d'achat et inflation Personne ne peut nier que le pouvoir d'achat du tunisien accuse depuis ces 3 dernières années une baisse considérable. La cause de cette baisse, si évidente, est la hausse importante de l'inflation qui s'est établie à 6.2% au mois d'Août, et qui ne s'est pas accompagnée d'une hausse des salaires. Pire encore, la productivité du tunisien est en baisse, ce qui alimente l'inflation, réduit la production et détériore encore plus le pouvoir d'achat. Selon des calculs basés sur le Revenu disponible brut des ménages (voir budget économique 2013 et rapports BCT), le pouvoir d'achat des Tunisiens a augmenté en moyenne annuelle de 4.2% sur la période 2000-2010. Depuis 2011, le pouvoir d'achat accuse une baisse de 2% annuellement. Quant à l'inflation, elle a évolué en moyenne de 3.2% durant la période 2000-2010, et elle dépasse actuellement les 6%, avec une hausse importante des produits alimentaires, atteignant 8%. Certains analystes jugent que l'inflation déclarée officiellement ne traduit pas la réalité, et que l'inflation réelle varie entre 12 et 13% (Propos de l'expert Moez Joudi).
Sur un autre plan, plus de 650 mille fonctionnaires ne doivent pas s'attendre à une hausse de leurs salaires dans la conjoncture actuelle. L'UGTT, qui conduit traditionnellement les négociations salariales, est occupée à préparer les négociations politiques. La Centrale doit, de son côté, être compréhensive de la situation difficile des finances publiques. Le pouvoir d'achat du Tunisien va certainement accuser un autre coup.
Les pics de consommation Depuis des années, le consommateur tunisien passe de Juin à Septembre les pires mois de sa vie. En effet, le calendrier lunaire a voulu la simultanéité de plusieurs saisons de grande consommation du moment que avec le mois de Ramadan et l'Aid Sghir, s'ajoutent les mariages et fêtes familiales, la période des soldes et vacances d'été et, pour couronner le tout, la rentrée scolaire. Selon le syndicat de l'enseignement, un enfant de première année de base coûterait 150 dinars, pour celui du secondaire, il coûterait 350 dinars, alors qu'un étudiant coûterait 650 dinars à la rentrée seulement. Il y a plus de 6 occasions de grande consommation et de dépenses obligatoires. Pour une famille de 4 personnes (père, mère et deux enfants) il faut compter 4 mille dinars, hors frais de gestion habituelle (loyer, électricité eau, téléphone, carburant), pour arriver à combler ces dépenses importantes. Avec le niveau des salaires actuels, il est difficile pour un consommateur de ne pas s'endetter. Selon la centrale des risques de la Banque Centrale, l'encours des crédits aux particuliers a atteint, au mois de Juin 2013, plus de 15374 millions de dinars, dont 9500 millions de dinars sont des crédits à la consommation (aménagement d'habitation, véhicules, prêts universitaires, autres crédits à la consommation). Le niveau d'endettement des ménages tunisiens ne cesse d'augmenter et ce en dépit des restrictions faites par la Banque Centrale. Moral en berne et une tristesse inégalée La situation psychologique dramatique du consommateur tunisien a été confirmée récemment par le rapport « World Happiness Report » publié par le Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies. Ce rapport octroie à la Tunisie un score de 4.826 (sur une échelle de 10), et la classe quatrième au niveau du Maghreb, 12ème au niveau des pays arabes et 104ème à l'échelle mondiale sur 156 pays. Ce rapport se base sur six critères principaux pour établir son classement: le revenu par habitant, l'espérance de vie en bonne santé, l'absence de corruption, la capacité à pouvoir compter sur quelqu'un, le pouvoir de faire ses choix de vie librement et la générosité. De son côté le Centre de Veille et d'Intelligence Economique de l'IACE a publié récemment son indice de climat de consommation des ménages. Selon le centre, l'Indice de climat de consommation traduit la déprime que vit le consommateur tunisien actuellement. « Avec une valeur voisine de -51.5 % en juillet contre – 36.7 % en avril dernier, l'indice du climat de consommation replonge à un niveau très faible témoignant de l'ampleur de la déprime chez les consommateurs. En fait, avec les anticipations à la hausse des prix et la stagnation des revenus, les consommateurs n'envisagent pas pour le moment effectuer des achats de produits durables ». 32% des ménages sondés par le centre affirment que leur budget du dernier trimestre s'est dégradé, contre 13% qui affirment qu'il s'est amélioré. 65% des consommateurs considèrent que leur budget actuel est insuffisant pour couvrir leurs besoins. Sur un autre plan, 82% jugent que les prix ont nettement augmenté ces derniers temps, et 50% voient que les prix vont continuer à augmenter durant la prochaine période. Ces chiffres affirment encore une fois que le moral des consommateurs est en berne et que la situation de leurs « bourses » devient de plus en plus inquiétante. Pour résumer, le consommateur tunisien est aujourd'hui « triste » (ne sent pas le bonheur), et a la déprime au niveau de son moral. Le bout du tunnel est encore loin Le Tunisien ne voit plus le bout du tunnel. Les querelles politiques le dégoutent de plus en plus, et l'impasse dans lequel se trouve le dialogue national alimente le stress et le désarroi. Les indicateurs et les analyses de l'économie nationale ajoutent du trouble dans la tête des consommateurs tunisiens, qui commencent à regretter la révolution et penser aux jours sous Ben Ali. Une situation de désespoir qu'on ne veut pas atteindre. Selon des chiffres officiels, entre 2011 et 2012, le nombre de consultations à Razi pour des troubles liés au stress, des dépressions et des traumatismes suite à des actes d'agressions, a explosé de 25 % : il est ainsi passé de 120.000 à 150.000. Sans oublier au passage l'augmentation des visites aux psychologues et psychiatre privés, dont les affaires fleurissent ces derniers temps. Il faut ajouter aussi que le moral des consommateurs a un impact direct sur l'investissement et la production. L'indice de confiance des ménages calculé dans les pays développés est très attendu constamment par les investisseurs et les producteurs. En effet, il conditionne leurs investissements et oriente leur niveau de production future. Quand le moral des ménages est en berne, c'est un frein direct à tout projet ou toute action d'innovation et de lancement de nouveaux produits. Malheureusement cet indicateur important n'est pas calcul par un organe officiel en Tunisie, et surtout par l'INS. Sans prendre en considération le moral des consommateurs, les indicateurs affirment une baisse considérable de l'investissement local et étranger en Tunisie à cause de l'instabilité politique et les menaces sécuritaires du pays. La question qui se pose est la suivante : Jusqu'à quand pourra tenir le consommateur tunisien ?