M. Hatem Ben Salem, ministre et directeur général de l'Institut tunisien des études stratégiques (ITES), a parlé à cœur ouvert dans l'émission du journal « L'Expert », sur Tounesna TV, du projet d'étude sur la Tunisie, à l'horizon 2025. Voici les principaux axes de ce projet d'étude dont le démarrage a été donné le 12 janvier 2016, sous la présidence de Béji Caïd Essebsi, Président de la République Quelle stratégie possible s'il n'y a pas de stabilité ? Le peuple tunisien doit comprendre qu'il y a eu une période transitoire, dans sa vie, et qui s'est achevée aujourd'hui. Dans ce sens, l'Etat tunisien doit préparer et bâtir l'avenir et on ne peut pas parler d'avenir, donner de l'espoir et ouvrir de nouveaux horizons pour le Tunisien et la Tunisienne, sans que cette orientation ne soit basée sur un projet et c'est là rôle dévolu à l'Institut tunisien des études stratégiques. Après cette période d'hésitations, nous allons essayer, à l'Institut tunisien des études stratégiques, de présenter un projet aux contours cohérents, sur la base duquel il sera possible de mobiliser tous les Tunisiens en vue de la réalisation d'objectifs et l'obtention de résultats qui ne seront que bénéfiques pour l'ensemble du peuple tunisien. Dès votre arrivée à la tête de l'Institut, vous n'avez pas perdu de temps et vous aviez organisé une première conférence. Quels en sont les résultats ? C'est la deuxième conférence et la première avait traité de l'accord de partenariat entre l'Union européenne et la Tunisie. La deuxième conférence dont vous parlez et qui est importante pour l'Institut tunisien des études stratégiques et pour le pays a permis une réflexion sur « la Tunisie au cours de la prochaine décennie ». Son coup d'envoi a été donné et elle a marqué le démarrage d'une étude stratégique prospective pour la Tunisie en tant que : un Etat émergent, résilient et réconcilié avec lui-même. C'est notre programme pour toute la nouvelle année et il consiste à préparer le terrain à un projet pour tous les secteurs vitaux et stratégiques, en vue de déterminer et de réaliser une étude qui aura, demain, des retombées sur l'avenir immédiat de la Tunisie, au cours des cinq prochaines années, mais, aussi, à long terme pour les dix prochaines années et également après cette décennie. Cette étude sera établie par des experts dont 99 % de Tunisiens, mais avec d'autres étrangers, afin de pouvoir s'inspirer des expériences d'autres pays. Elle concerne plusieurs domaines et secteurs, notamment ceux de l'Etat, des institutions et de la société tunisienne, parce que l'Etat demeure et demeurera le principal moteur du développement, le seul garant de la stabilité et de la sécurité. Il faut donc rétablir le prestige de l'Etat, non par des discours, mais par le recouvrement des prérogatives de l'Etat, la valeur de l'Etat et ses potentialités pour qu'il joue pleinement son rôle dans tous les domaines qui sont de son ressort. En parlant de pays émergent et résilient, ne semble-t-il pas que vous avez déjà établi les objectifs de cette étude ? Un pays émergent dans le domaine économique, comme le Brésil, l'Argentine, l'Afrique du sud et la Chine qui ont dépassé le stade du développement, pour devenir des pays émergents, au niveau de la production et de l'exportation. Même si ces pays vivent, en quelque sorte, des crises, cela est dû aux retombées de la crise mondiale, comme c'est le cas, aussi, pour notre pays qui n'est pas isolé de la conjoncture mondiale. La Tunisie doit gagner une place parmi les pays qui ont leur mot à dire au niveau de la production et de l'exportation, au moins à l'échelle de l'espace euro-méditerranéen. Certes, les notations des organisations internationales spécialisées ne nous classent pas à ce niveau, mais notre ambition est d'atteindre cet objectif, dans les cinq à dix ans à venir et de faire de la Tunisie un pays émergent au niveau économique et financier, sur les marchés internationaux. Cela implique des efforts dans les domaines de l'agriculture, de la technologie, le textile et d'autres tissus économiques, afin que la Tunisie puisse se positionner parmi les pays émergents, surtout qu'elle était sur la voie de le faire, dans un passé récent. En parlant d'experts, l'Institut a-t-il l'intention de s'ouvrir sur la société civile ? Cette étude sera participative et consensuelle, parce qu'on ne peut pas s'imaginer que des scénarii pour l'avenir de secteurs primordiaux en Tunisie, notamment ceux de l'Etat et des institutions, de la sécurité et de la défense, de l'éducation et de la culture, du retour au développement économique, ou du positionnement de la Tunisie, sur la scène internationale, ainsi que des programmes ou des réflexions et des projets, s'effectuent sans la participation de toutes les forces vives du pays. C'est l'objectif de l'Institut et ce sont nos ambitions, parce que c'est un projet pour la Tunisie et non celui d'un gouvernement spécifique. L'étude stratégique est une science et la pensée stratégique ne laisse aucune place pour le destin inéluctable. La pensée stratégique s'édifie sur des approches scientifiques et techniques légiférées, ainsi que sur la force de volonté de l'être humain, ainsi que sur la capacité des peuples de faire face aux difficultés et de relever les défis. Tous les problèmes que nous avons vécus en Tunisie sont dus à l'absence d'une stratégie qui prévoit les perspectives pour la Tunisie, pour les dix, vingt ou trente prochaines années. En outre, j'affirme, aussi, que nous n'avons pas d'études stratégiques globales. Certes, il y avait eu des études stratégiques sectorielles et la stratégie globale est l'objectif que s'est tracé l'Institut des études stratégiques, à travers la mobilisation de toutes les forces vives de la Tunisie, surtout ses experts et ses élites, mais aussi sa société civile, afin que le projet que nous allons présenter soit consensuel et prépare l'avenir du pays. Il est certain que tout projet nécessite des amendements et des rectificatifs, par la suite, chose que nous avons prise en considération, parce qu'on n'est pas à l'abri des développements sur les scènes régionale ou internationale. C'est pourquoi il y a une approche prospective technique et scientifique qui sera suivie par l'Institut tunisien des études stratégiques. Des parties de la société civile ont eu de nombreuses activités, dans ce domaine. Comment l'ITES va-t-elle exploiter ces énergies ? Toutes les énergies tunisiennes sont les bienvenues et sur le plan pratique, des équipes d'experts seront constituées et effectueront un travail sur le terrain théorique, suivi par des ateliers ouverts à tous les intervenants pour tous les secteurs. Cette étude aura, aussi, une commission consultative, avec des représentants de l'administration, des personnalités nationales et des experts tunisiens. Elle aura pour mission le contrôle de l'avancement des travaux et la porte demeurera ouverte à tous les amendements et les correctifs. L'ITES est sous la tutelle de la Présidence de la République et la création d'une structure de prospection ne peut-elle pas être à l'origine d'un conflit entre les deux ? Nous allons travailler en totale complémentarité, surtout que la nouvelle structure dépend de la présidence du gouvernement. L'ITES va se concerter avec le conseiller du chef du gouvernement qui ne peut pas avoir les mêmes moyens que l'Institut qui a préparé tous les mécanismes et les moyens matériels, financiers (le budget de l'ITES a été doublé cette année, en vue de cette étude) et humains, de même que nous disposons d'une aide internationale, au niveau des moyens financiers et humains. Lundi, nous avons la visite du commissaire général, avec titre de ministre français, pour faire une conférence sur l'approche française sur les études stratégiques. L'ITES va, en outre, organiser des ateliers réservés exclusivement aux partis politiques et d'autres avec la société civile et ils se dérouleront en parallèle avec l'avancement des études. Pensez-vous pouvoir travailler dans la sérénité, avec les tiraillements politiques dans le pays ? Actuellement, il y a beaucoup de partis politiques en Tunisie, mais nous allons travailler en partenariat avec l'Assemblée des représentants du peuple, par conséquent avec les partis qui y sont représentés. Toutefois, la porte reste ouverte et tous les Tunisiens sont les bienvenus, qu'ils soient politiciens, experts, techniciens ou autres pour l'enrichissement de l'étude. D'ailleurs, le jour du lancement de l'étude qui va durer huit mois, et après le discours du Président de la République, nous avons eu un long débat avec l'assistance autour de leurs conceptions, leurs prévisions et leurs ambitions pour pareille étude. A noter, aussi, que cette étude sera réalisée en collaboration avec le gouvernement, parce que la présidence de la République va transmettre ces propositions stratégiques et pratiques au gouvernement, afin qu'il y ait une communication entre les ministres concernés et les experts désignés dans ces domaines, dans le cadre des forums stratégiques dans lesquels les experts présentent leurs propositions devant être discutés avec les ministres et leurs collaborateurs. Que répondez-vous à ceux qui allèguent que vous avez des ambitions plus grandes que vos moyens ? A mon arrivée à la tête de l'ITES, j'ai souligné que le manque de moyens ne me fait pas peur. Lorsqu'on remarque, à l'échelle nationale et même internationale, que le projet est sérieux et qu'il y a des étapes pour l'avancement de ce projet, les moyens ne manqueront pas d'arriver. C'est le cas pour moi, lorsque j'ai demandé des moyens, je les ai obtenus rapidement, même s'ils ne sont pas très importants, mais ils vont nous permettre de travailler cette année. J'ai contacté des centres d'études stratégiques internationaux et vu le sérieux de notre projet, ils n'ont pas hésité à mettre des experts et des moyens financiers à la disposition de l'ITES, et cela sans qu'il y ait atteinte à notre indépendance de décision, surtout que, vu mon âge et mon expérience, je ne pourrai jamais permettre toute immixtion ou influence dans nos affaires et nous n'avons aucun complexe d'infériorité face à n'importe quel centre d'études stratégiques étranger. L'ambition pour nous est que l'ITES soit l'un de ceux qui s'imposent à l'échelle régionale et internationale. Quel est le sort des études précédentes réalisées par l'ITES ? Les études précédentes de l'ITES avaient un caractère presque secret et étaient destinées au Président de la République. Elles seront actualisées et exploitées, surtout l'étude relative à la Tunisie à l'horizon 2030. Elle n'était pas basée sur des réflexions prospectives, mais certaines de ses études qui peuvent faire partie de notre étude. Nous sommes là pour bâtir sur ce qui existe déjà et qui est bon, sur des bases solides pour présenter un projet qui prévoit tous les scénarii et tous les objectifs et qui peut être appliqué, demain, sans grandes difficultés, afin que la Tunisie soit, à l'horizon 2025, le pays émergent, résilient et réconcilié avec lui-même, avec tout ce que nous espérons pour la Tunisie. Quels sont vos rapports avec l'université tunisienne ? Réponse : L'université tunisienne est la colonne vertébrale de cette étude, avec les experts qu'elle va mettre à notre disposition, en plus d'anciens responsables, dans divers domaines, notamment la sécurité et la défense. L'approche prospective est scientifique par excellence et c'est pourquoi elle a besoin d'une élite d'experts habitués à la recherche et aux propositions.