Le spectre de la normalisation comptable règne de nouveau sur la scène économique particulièrement financière. Les vieux détenteurs de l'économie mondiale qui sont à la quête d'une issue de secours espèrent modifier les normes comptables pour surmonter les défis financiers auxquels font face toutes les nations. Pour mieux cerner la problématique et mieux informer nos lecteurs sur cette face non encore suffisamment éclairée et relativement occultée par la cascade d'évènements générés par l'actuelle crise financière qui a fini par devenir une crise économique, nous avons choisi de soumettre à la lecture générale un bouquet d'articles de la presse internationale qui traitent du sujet.
Beta politique
Les normes comptables : nouveau bouc émissaire ?
« La crise financière ne laisse personne indemne. Après d'autres, les normes comptables IFRS ont récemment été mises au banc des accusés par plusieurs commentateurs. Les IFRS reposeraient sur une idéologie dogmatique de la juste valeur, conduisant à des comptes sans rapport avec la réalité économique et accentuant la spéculation puis la panique sur les marchés. Sommes-nous à la veille d'une nouvelle remise en cause de l'information comptable, comme celle qui avait suivi les scandales Enron et Worldcom en 2002 ? La tension entre normalisation comptable et stabilité financière ne date pas d'hier. En temps de crise, les banques cherchent à lisser l'impact des mauvaises nouvelles, et leurs autorités de surveillance voient des avantages à ce que le marché ne s'affole pas trop. A l'inverse, les investisseurs veulent une information complète pour pouvoir réagir très vite, même si les conséquences sont brutales. Lors de l'adoption de la norme IAS 39 sur les instruments financiers, des critiques très dures avaient été formulées par le Comité de Bâle, qui prépare les normes prudentielles pour les banques. Plus récemment, les Etats-Unis ont décidé, via la Securities and Exchange Commission, d'autoriser les banques à déconsolider des produits de titrisation qu'une lecture stricte des normes américaines imposerait sans doute de réintégrer dans le bilan. Mais stabilité et transparence ne pèsent pas du même poids dans la normalisation comptable : celle-ci répond avant tout aux exigences des investisseurs, qui sont les principaux utilisateurs de l'information financière. La priorité de principe donnée à ces utilisateurs est proclamée sans ambiguïté dans les IFRS, et a constitué un facteur clé de leur succès mondial. De ce point de vue, soumettre les normes à un impératif de stabilité risquerait de conduire à une information financière de moindre qualité. D'autant que l'arbitrage entre transparence et stabilité n'a rien d'univoque. A court terme, la révélation de difficultés bancaires peut accélérer la perte de confiance et accentuer un risque systémique. Mais, à moyen terme, l'obligation de transparence renforce la discipline interne et le contrôle des risques, et rassure le marché. Les IFRS obligent les banques à publier beaucoup plus d'informations sur leurs instruments dérivés. Sans cela, le marché serait encore plus méfiant qu'il ne l'est aujourd'hui. En novembre 2006, un rapport du comité de supervision bancaire de la banque centrale européenne concluait qu'une application cohérente et rigoureuse des IFRS pouvait renforcer la stabilité du système financier grâce à cet effet disciplinant. A l'inverse, lorsque les banques ont une marge d'appréciation significative dans la comptabilisation de leurs risques, le retard dans la reconnaissance des pertes peut être désastreux : témoins l'expérience japonaise des années 1990 ou le Crédit Lyonnais en 1992-93. Pierre Cailleteau, économiste en chef de l'agence de notation Moody's, conclut dans une note récente (1) que l'approche mark-to-market privilégiée par les IFRS est, comme la démocratie selon Churchill, « le pire système à l'exception de tous les autres ». Contrairement à la caricature qu'en font certains détracteurs, les normes IFRS sont très loin d'imposer la « full fair value » et modèrent leur exigence de transparence par une astuce de présentation : les fluctuations de valeur des instruments financiers considérés comme disponibles à la vente, qui pèsent lourd dans le bilan des sociétés financières, ont un impact sur les capitaux propres mais pas sur le résultat par action. Ce compromis est loin d'être idéal mais présente l'avantage du pragmatisme. De même pour les règles de consolidation.
l'Expansion
« Les normes comptables, qui obligent les institutions financières à valoriser leurs actifs financiers en valeur de marché, sont accusées d'avoir exacerbé la crise financière internationale en obligeant les banques à constater dans leurs comptes d'importantes dépréciations. "On est dans une crise qui dure depuis août 2007. Tout le monde sait parfaitement que les normes comptables jouent un rôle, non pas dans les causes de la crise, mais dans le déroulement de la crise et dans sa prolongation", a déclaré lors d'un déjeuner avec la presse Ariane Obolensky, la directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF) POUR UN PROVISIONNNEMENT "EX ANTE" DES BANQUES Les banques françaises souhaitent plus spécifiquement que les décisions qui seront prises dans le cadre du sommet du G20 reconnaissent que tous les instruments financiers ne peuvent pas être valorisés en valeur de marché comme cela est actuellement le cas. Les autorités européennes ont d'ailleurs cet automne autorisé les banques à s'écarter de cette norme de valorisation en prix de marché pour leur éviter de constater de manière comptable de trop lourdes dépréciations. La FBF est toutefois favorable à un mécanisme de provisionnement "ex ante" permettant aux banques de passer dans leurs comptes des provisions sur des risques non avérés. Pour limiter les effets de cycle induits par les normes comptables actuelles, Pierre de Lauzun, le directeur général adjoint de la FBF, a expliqué que leurs banques devraient pouvoir agir "non pas sur leurs fonds propres, mais sur leurs provisions grâce à un mécanisme de provisionnement ex ante". Les banques françaises souhaitent également que l'International Accounting Standards Board (IASB), l'organisme privé à l'origine des normes comptables, soit placé sous le contrôle des régulateurs par l'intermédiaire du Forum de stabilité financière chargé de prévenir les crises. Ariane Obolensky a par ailleurs indiqué que les banques européennes pourraient se mettre d'accord sur des positions communes avant la tenue du sommet du G20. »
La Tribune
Un rapport du gendarme boursier américain défend la règle de la valeur de marché pour définir les actifs des entreprises dans leur bilan. Une norme qui avait été perçue comme un facteur aggravant de la crise.
Sous le feu des critiques, la Securities and Exchange Commission (SEC) défend ses normes comptables. Ces dernières ne semblent "pas avoir joué un rôle significatif dans les faillites des banques", assure le régulateur boursier américain dans un rapport rédigé à la demande du Congrès et rendu public récemment. Dans le viseur des parlementaires américains: la règle qui obligent les entreprises à définir leurs actifs dans leur bilan par leur valeur de marché. Cette norme avait été accusée par de nombreux analystes d'avoir aggravé la crise financière en affaiblissant la solidité des bilans des banques, contraintes d'évaluer très bas certains titres de dettes complexes dont le marché était totalement gelé. Le Congrès avait alors commandé un rapport à la SEC, envisageant la possibilité de remettre en cause la règle de la valeur de marché. "Au lieu de cela, le rapport (...) recommande des améliorations à la pratique actuelle, dont le réexamen de la comptabilité pour les provisions et des directives supplémentaires pour déterminer la juste valeur d'investissements dans des marchés inactifs, y compris les situations où des prix de marché ne sont pas immédiatement disponibles", écrit le régulateur. "Les investisseurs pensent en général qu'une comptabilité à la valeur de marché accroît la transparence des publications financières et permet de prendre de meilleures décisions pour investir", poursuit la SEC. Dans ses recommandations, le gendarme boursier propose principalement d'unifier les pratiques quant à la détermination de la valeur des actifs invendables. Particulièrement attaquée ces derniers mois, la Securities and Exchange Commission va tourner une page avec l'arrivée à sa tête de Mary Schapiro. Elle succèdera à Christopher Cox qui avait été nommé en juin 2005 et tentera de redorer le blason de l'institution dont l'image a été ternie par la crise financière. Le dernier exemple en date étant son incapacité à détecter la fraude présumée de 50 milliards de dollars mise en place par Bernard Madoff.
Le Daily Boursier
Un rapport parlementaire rendu public mardi recommande à l'Union européenne de peser davantage sur la création de normes comptables, déléguée à des experts sous influence anglo-saxonne, mais qui a "une dimension politique, économique et fiscale" majeure. La normalisation comptable internationale est une "lutte d'influence" et "l'Union européenne ne doit pas s'interdire de faire pression, autant que nécessaire, sur l'IASB" (International Accounting Standards Board) pour orienter les normes internationales "dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux de ses Etats membres", indique ce rapport de la mission d'information sur les enjeux des nouvelles normes comptables. Les normes comptables internationales, dites IFRS (International Financial Reporting Standards), ont été élaborées par l'IASB, sur lequel pèse "l'influence directe ou indirecte des grands cabinets d'audit anglo-saxons": "en effet la majorité des membres de l'IASB en sont issus et ils contribuent largement à son financement", relève le rapport. "Nombreuses sont les personnes auditionnées par la mission d'information qui estiment avoir du mal à se faire entendre d'experts parfois qualifiés d'+autistes+ ou +d'ayatollahs de la comptabilité+", souligne le rapport rédigé par les députés Dominique Baert (PS, Nord) et Gaël Yanno (UMP, Nouvelle-Calédonie). "L'organisme qui élabore les normes comptable internationales ne rend de comptes à personne" et "se défie des Etats". "C'est pourtant à un tel organisme que l'Union européenne a délégué son pouvoir de normalisation comptable. Les entreprises européennes faisant un appel public à l'épargne (un millier en France, 7.000 dans l'UE) ont l'obligation d'établir leurs comptes consolidés selon les normes IFRS", censées faciliter les comparaisons internationales. "Le politique a été absent du processus d'édiction des règles" et l'a abandonné aux seuls experts, or "elles ont une portée fiscale, politique et économique", relèvent les députés. Ainsi "la modification des normes comptables peut subrepticement, affecter l'assiette de l'impôt sur les bénéfice", relève la synthèse de ce rapport, adopté à l'unanimité des membres de la commission des finances de l'Assemblée, et transmis au ministère des Finances. "Il est urgent de réintroduire le politique dans la normalisation comptable. il est urgent que l'UE fasse entendre sa voix car il existe une approche européenne des normes comptables", ont déclaré les députés lors d'une conférence de presse. Parmi ces normes, la "juste valeur" est accusée d'avoir aggravé la crise financière: en imposant aux institutions financières de comptabiliser leurs actifs aux prix du marché, elles les ont poussé, pour restaurer leurs fonds propres érodés par la baisse des actifs, à vendre leurs actifs à un prix bradé, alimentant ainsi la baisse des marchés. "La systématisation de la juste valeur doit être limitée, bordée", ont déclaré les députés, appelant l'IASB à faire preuve de "prudence". "La mission estime que la +juste valeur+ peut entraîner une gestion plus court-termiste des entreprises", préférant la rentabilité immédiate, par la réduction de l'emploi et de l'investissement, à une "stratégie de développement à long terme dans l'intérêt de l'entreprise et de ses salariés".