Des 104 partis politiques – énorme! – créés jusqu'ici, Afek Tounès est quasiment la seule représentation politique à être co-dirigée par une femme. Emna Menif, cette fervente syndicaliste et militante de la cause juste, mais aussi professeur de médecine et journaliste, a voulu tenter l'expérience politique à la faveur du vent de liberté qui a soufflé le 14 janvier. Dans cette interview, elle s'est laissé aller au jeu des questions-réponses. Ecoutons-là.
Où étiez-vous avant de créer Afek Tounès? Avant le 14 janvier, je faisais partie de la vie publique à travers l'ordre des médecins et à travers l'action syndicale puisque j'étais membre du bureau national du syndicat des médecins, dentistes et pharmaciens hospitalo-universitaires. Par ailleurs, depuis les années de la faculté, j'activais dans le milieu associatif avec, en prime, une expérience dans le domaine du journalisme à la fin des années 80.
Vous êtes la vitrine du parti Afek…? J'adopte les objectifs du parti, les valeurs qui nous ont réunis: la citoyenneté qui est au centre du débat. Dans notre conception de cette citoyenneté, les femmes et les hommes ont le même rôle dans la réédification du projet national sans aucune discrimination entre les deux parties. Ainsi, en tant que porte-parole du parti Afek Tounès, on ne m'a pas choisie pour le fait d'être femme mais pour mon engagement citoyen et politique et pour mon combat pour la liberté, l'indépendance, la démocratie, la liberté d'expression et les libertés individuelles qui correspondent aux valeurs du parti. Il y a beaucoup de gens qui ont milité sans se faire emprisonner, pourtant ils ont résisté au système. Je suis parmi ceux-là. D'ailleurs, dans les institutions, syndicats ou autres où j'ai longtemps été engagée, sont toujours restés relativement indépendants par rapport au pouvoir en place, tout en respectant le jeu démocratique puisque c'était des espaces où on respectait la liberté d'expression et le débat libre des idées. C'était là mon parcours et les prémices de mon engagement dans la voix de la politique. Notre parti Afek Tounès se veut un projet politique démocrate et progressiste où nous défendons un programme basé sur la justice sociale et où nous essayons de trouver des solutions aux problèmes et aux maux de notre société tunisienne tels que le chômage et l'exclusion de certaines catégories de la société. C'est un projet basé fondamentalement sur le respect de la démocratie authentique et sur le respect des libertés. Dans notre parti, il y a des chalumeurs, des gens issus des quartiers populaires de l'Ariana, de la Cité Attadhamen, de la Cité Attahrir et du Kram. Ce ne sont donc pas des fils à papa.
Comment avez-vous attiré les adhérents, les aviez-vous achetés? Non, nous n'achetons pas les membres de notre parti. Si nous attirons beaucoup de gens, c'est qu'ils ont vu que le discours employé est un discours objectif, pragmatique et sincère.
Vous voulez dire que vous n'avez pas attiré les adhérents? N'importe quel parti doit attirer ses adhérents, seulement certains s'emploient à les acheter et d'autres s'emploient à convaincre les gens par la force de leurs idées c'est ça «el istiktab», c'est notre cas. D'ailleurs, nous sommes le seul parti qui a publié en toute transparence l'état de ses finances. Ce n'est pas l'argent qui développe la politique, mais c'est la politique qui doit en est capable.
Que pensez-vous de l'échéance des élections du 23 octobre? Je dirais tout simplement qu'il faut que les Tunisiens aillent voter. Nous sommes en train d'expliquer aux Tunisiens lors de nos meetings que ces élections sont très importantes et que leurs voix comptent beaucoup.
Vous n'avez publié aucun communiqué ni lors de l'affaire Rajhi ou Feriani, ni même lors de la sortie du film de Nadia Feni et les actes de violence qui ont suivi, exactement comme faisait l'ex-parti au pouvoir? La comparaison avec l'ex-parti n'est pas appropriée. Nous misons essentiellement sur le travail sur le terrain où nous allons à la rencontre des gens dans les différentes régions du pays.
Certains parlent du gouvernement de l'ombre, quel est votre avis? Il n'y a pas de preuves qui démontrent l'existence d'un éventuel gouvernement de l'ombre. Dans un communiqué, nous avons déclaré qu'on ne pouvait pas nous permettre de porter des accusations sans preuves basées sur de simples supputations. D'ailleurs, Mr Rajhi est très vite revenu sur ses déclarations.
Oui mais certains ont expliqué la rétraction de Mr Rajhi par des pressions qu'il a subies? Nous avons demandé qu'une enquête soit déclenchée, et que la lumière soit faite sur tout ce qui a été déclaré. Quant au sujet de ce qui s'est passés au cinéma Afric'Art, nous avons publié un communiqué pour dénoncer la violence qui a été exercée par certains personnes à l'encontre de la salle cinéma et des spectateurs. Nous avons aussi dénoncé le silence du gouvernement qui n'a pas su gérer ce conflit avec responsabilité, Pour nous, la sécurité et le respect des libertés sont deux questions primordiales. Il est inacceptable aujourd'hui que des gens enfreignent la loi de façon flagrante et impunément. Nous condamnons formellement la violence. Comme il est inacceptable aussi que ces malfaiteurs ne soient pas poursuivis.
L'événement aujourd'hui est l'initiative du parti Majd, qui a lancé un appel pour constituer un comité de partis. Vous n'avez pas répondu à cette appel, pourquoi? Premièrement, personne ne nous a proposé de rejoindre ce mouvement. Deuxièmement, on pense dans notre parti que la question n'est pas de trouver de nouvelles instances, mais de profiter des espaces démocratiques déjà en place. Il faut savoir être à l'écoute de différents partis par rapport aux sujets et aux problèmes posés. D'ailleurs c'est là où revient, la question de légitimité. Quel pouvoir va avoir ce comité? Est-ce que ce comité va jouer le rôle d'un gouvernement parallèle? Nous pensons au sein de notre parti qu'il y a, d'un côté, un gouvernement provisoire et d'un autre, un comité électoral, et que les deux partis doivent impérativement respecter la date du 23 octobre, car il y va de la stabilité du pays et de sa sécurité. Il faut donc que chacun assume ses responsabilités. Quant aux partis politiques, eh bien, il faut qu'ils pensent à des programmes réalistes et performants, car le Tunisien va voter pour celui qui lui proposera l'alternatif. Il est donc important de produire des idées mais aussi il est important que le vis-à-vis écoute ces idées. Il faut qu'il ait une concertation au sujet des problèmes fondamentaux. Cette concertation ne doit pas se limite à 4 ou 5 partis. En effet, nous avons remarqué que c'est toujours les mêmes partis et particulièrement leurs leaders qui sont appelés à s'exprimer aux sujets lors des grands débats. Ce sont toujours les mêmes têtes qui reviennent. Cette approche semble donner la légitimité à ces partis-là aux dépens des autres. Nous sommes sûrs que si les forums où se posent les plus importants dossiers économiques, politiques, etc. s'élargissent pour inclure le plus grand nombre de partis possible, notre parti Afek Tounès sera loin devant les autres partis de par ses idées pionnières et ses solutions efficaces qu'il apportera aux différents problèmes.
Dans la salle des congrès, nous avons observé la présence d'une majorité de «fils à papa»? Dans la salle des congrès, nous n'avons pas demandé aux présents leur CV ni leur carte d'identité ni leur extrait de naissance. Parmi les gens qui étaient présents, il y avait certainement des gens de catégorie privilégiée, mais il n'y avait pas qu'eux. L'apparence ne reflète pas la valeur des gens et elle n'est pas un indicateur de richesse. Ceci dit, je vous rassure que nous ne somme pas des fils à papa. En effet, ceux qui ont réussi parmi nous ne sont pas nécessairement des personnes ou des personnalités qui sont issue des milieux aisés.
Vous parlez des maux et des problèmes des Tunisiens, comment les saviez-vous? Tout d'abord, vous ne savez pas de quelle catégorie sociale je suis issue. Ensuite, je peux vous dire qu'il n'est pas nécessaire de vivre les problèmes sociaux pour s'y intéresser. J'ai toujours travaillé dans un hôpital où je me débattais quotidiennement avec les problèmes que connait le secteur de la santé public. Je n'ai pas découvert la pauvreté le 14 janvier, ni l'exclusion dans les régions et encore moins les inégalités à cette date là. Je visitais les régions de l'intérieur où j'étais en contact direct avec les gens de ces régions là, ces mêmes gens qui se déplacent eux aussi pour se soigner à l'hôpital où je travaille dans la capitale. Donc, j'étais très bien au courant de leurs problèmes. Etre à l'écoute de ses concitoyens est à la base de la prise de conscience des maux de la société et dans notre parti nous considérons que la citoyenneté n'est pas, en fait, d'avoir uniquement des droits, mais aussi d'avoir des devoirs comme, par exemple, prendre conscience des difficultés de nos concitoyens. Pour revenir à l'allusion que comporte votre question et sans citer des noms, je peux vous affirmer que parmi les adhérents de notre parti, il y en a ceux qui ont connu la pauvreté dans sa plus dure expression mais qui ont pu, malgré tout, surmonter leurs conditions de vie et, avec des efforts, ils ont admirablement réussi dans leur vie. Pendant la décennie 80, c'étaient pour notre génération, les années de nos études et de notre première embauche. Il y avait encore la valeur générique et la possibilité d'une ascension sociale. La corruption n'était pas encore de grande ampleur comme celle qu'a connue la Tunisie ces dernières années, une corruption qui était nécessaire pour avoir un diplôme ou un poste de travail. Aujourd'hui, dans le parti Afek Tounès, nous défendons l'idée de la nécessité de faire revivre cet ascenseur social.